Mélanie Laurent : une femme qui a du souffle

PHOTO DE COUVERTURE © HOWARD SANDLER/SHUTTERSTOCK

A l’affiche le 12 mai d’Oxygène d’Alexandre Aja sur Netflix, Mélanie Laurent est désormais une actrice-réalisatrice respectée. Mais tout ne fut pas si facile. Retour sur le parcours d’une femme de caractère chic et cash.

Par Sylvain Monier

C’est un film à suspense claustrophobe que n’aurait pas renié le regretté Larry Cohen, le scénariste expert en high concept (la série Les Envahisseurs, le film de Joel Schumacher Phone Game), décédé en 2019. Dans Oxygène d’Alexandra Aja, Mélanie Laurent joue une amnésique prisonnière d’un caisson de cryogénisation où l’air se raréfie… Un film au confinement maximum qui devrait faire œuvre de catharsis en ces temps troubles et troublés.

« A mon avis, les gens vont être très impressionnés par sa performance »

Un projet au départ 100 % américain avec Anne Hathaway puis Noomi Rapace au casting. A l’arrivée, ce sera un film tourné en pleine pandémie, dans des studios d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), en langue française avec une Mélanie Laurent contrainte de jouer allongée pendant des semaines dans une boîte. « A mon avis, les gens vont être très impressionnés par sa performance », expliquait en février Alexandre Aja qui signe ici son retour dans l’Hexagone 18 ans après Haute tension.

Et il est vrai que Mélanie Laurent est capable d’impressionner son monde. Tant la réalisatrice de Respire n’a jamais manqué d’air. Quitte à déplaire, parfois.

On est au Festival de Cannes en mai 2009 : les photographes et la foule de fans ont leur regard braqué sur le tapis rouge où une Mélanie Laurent vêtue d’un élégant smoking blanc mène la danse avec Quentin Tarantino façon Pulp fiction.

L’actrice et le cinéaste sont venus présenter en avant-première Inglourious Basterds, et les deux sont soudainement saisis par envie de faire le show sur le red-carpet. Enfin, surtout Mélanie puisque c’est elle qui a pris l’initiative de ce rock endiablé sous l’œil circonspect de certains observateurs.

En 1999, elle est apparue pour la première fois à l’écran dans Un pont entre deux rives de et avec Gérard Depardieu. Mélanie Laurent avait 16 ans et la plus grosse star du cinéma français devenait son mentor.

En fait-elle trop ? Mélanie s’en fout en entend fêter ce moment (son moment) qui consacre ses dix ans de carrière. En 1999, elle est apparue pour la première fois à l’écran dans Un pont entre deux rives de et avec Gérard Depardieu. Mélanie Laurent avait 16 ans et la plus grosse star du cinéma français devenait son mentor.

Dès lors, l’actrice a emprunté une trajectoire optimale qui ne semble pas près de s’arrêter. La preuve, un an après cette danse de la joie avec Tarantino, elle devient carrément la maîtresse de cérémonie du 64e Festival de Cannes.

Dans la foulée, elle sort un album En t’attendant composé avec le folkeux/hype/beau gosse du moment, Damien Rice, son ex-boyfriend à l’époque. On est en avril 2010 et Mélanie enchaîne les interviews en faisant montre d’une (trop) belle assurance que certains considèrent désormais comme de l’arrogance. En coulisse, une fronde commence à se consolider et en 2014, la jeune star va passer de « la fille so fresh et tendance » à « la fille crispante qu’on adore détester ». Comment en est-elle arrivé là ?

Son père est comédien de doublage : il prête sa voix à Ned Flanders, le voisin de la famille Simpsons et d’autres héros de dessins-animés.

Cette assurance instinctive et un peu insolente prend sa source dans l’enfance particulièrement heureuse de la star. Sa mère est une danseuse qui a œuvré au Châtelet pendant 15 ans. Son père est comédien de doublage : il prête sa voix à Ned Flanders, le voisin de la famille Simpsons et d’autres héros de dessins-animés. « C’était la meilleure excuse pour rester devant la télé : on écoute papa ! Quant à mes grands-parents, ils éditaient des poèmes. Ils faisaient aussi l’agenda des théâtres, les affiches de La Colline et du Rond-Point. » (Télérama, janvier 2018)

Une famille aimante et paisible portée sur les arts, la culture où l’idée même d’une dispute conjugale n’existe pas. Avec son frère, Mélanie est au centre des attentions de parents qui ont fait le choix d’une éducation souple pour leur progéniture. Et entre deux manifs SOS Racisme, Mélanie fréquente le collège alternatif Decroly à Saint-Mandé (Val-de-Marne), une institution autogérée sans notes où on tutoie les profs qui la conduira vers un bac L option cinéma.  

Le public la découvre vraiment en 2002 dans Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, puis dans Je vais bien, ne t’en fais pas de Philippe Lioret

« Sans Gérard Depardieu, je n’en serais pas là, il m’a donné ma chance », analyse Mélanie Laurent au Figaro (octobre 2018). « Gégé » la remarque alors qu’elle accompagne une amie sur le tournage d’Astérix et Obélix contre César et la voilà engagée pour Un pont entre deux rives en 1998.

Le public la découvre vraiment en 2002 dans Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, puis dans Je vais bien, ne t’en fais pas de Philippe Lioret, qui lance alors sa carrière. Pour ce rôle saisissant d’une jeune fille à la recherche de son frère mystérieusement disparu, Mélanie gagnera le prix Romy Schneider et le César du meilleur espoir féminin (2006). L’année 2009 agit comme un coup d’accélérateur puisqu’elle deviendra une star internationale avec Inglourious Basterds.

Nous voici en 2014. Mélanie est au top. Son style vestimentaire est décortiqué et loué dans les magazines féminins, son nom est obligatoirement cité dans les scénarios les plus attractifs, et elle est en promo de son deuxième long-métrage en tant que réalisatrice (le très réussi Respire) qui bénéficie d’excellente critiques. Tout semble sourire à la « fille la plus cool et succesful du cinéma français ».

C’est alors qu’une mystérieuse vidéo (baptisée Mélanie Laurent is curious of everything), repérée par Brain magazine, fait le tour du Web. Il s’agit d’un astucieux montage d’interviews de l’actrice où celle-ci fait preuve d’un ego incommensurable avec des punchlines du genre : « Je crois que j’ai cinq ans quand je monte ma première pièce. À 18 ans j’avais trois scénarios de longs métrages qui traînaient. » ou « Artistiquement, je peux faire ce que je veux, c’est barge. », ou encore : « On avait fait un tour de table et personne n’avait parlé de ce film, et moi j’ai fait : “J’ai adoré ce film“ et Corneau avait dit : “attendez si Mélanie a aimé, c’est Mélanie qui a raison.“ J’avais trouvé cette phrase géniale. »

« Surcoté, sa prestation dans Inglourious Basterds était aussi mauvaise que celle de Marion Cotillard dans « The Dark Night Rises ».

Plutôt drôle mais néanmoins perfide, la vidéo fait rire le métier (et pas seulement). Résultat : les langues commencent à se délier. Son talent d’actrice ? « Surcoté, sa prestation dans Inglourious Basterds était aussi mauvaise que celle de Marion Cotillard dans The Dark Night Rises. Ses talents de cinéaste ? « C’est son chef opérateur qui réalise ses films en réalité ». La nouvelle tête à claques du moment serre les dents, encaisse, ne regardera jamais la vidéo en question (prétend-elle) et se mure dans le silence.

Quatre ans plus tard, Mélanie Laurent évoquera finalement le sujet dans les pages de Télérama : « La vidéo sur les réseaux sociaux était due à mon ultra-présence médiatique. Ce fut un concours de circonstances et je peux comprendre l’allergie que j’ai provoquée. », reconnaît-elle avant de contre-attaquer en surfant sur le féminisme : « J’ai juste été blessée que personne ne prenne ma défense dans les médias ni ne se demande pourquoi ce genre de bashing arrive rarement aux hommes… »

Revenue de cette affaire, Mélanie Laurent se concentre sur la réalisation (Plonger en 2017) et trace désormais sa route notamment aux Etats-Unis où sa ténacité n’est pas confondue avec de l’arrogance. Elle y tournera l’étonnant et maîtrisé Galveston : soit la cavale sans issue dans le sud des Etats-Unis d’un malfrat mourant (Ben Foster) et d’une prostituée à la dérive (Elle Fanning).

Elle vient d’ailleurs de terminer la réalisation de The Nightingale, avec Elle et Dakota Fanning. L’année dernière, elle jouait les actionneuses convaincantes dans un Michael Bay (Six undergroud) diffusé sur Netflix. Dans la presse, elle évoque régulièrement son engagement éco-citoyen, le féminisme et l’éducation de ses enfants, « sa cabane » de Belle-Ile-en-Mer (Morbihan) tout en louant la vie quotidienne en mode low-fi… comme une star lambda qu’on n’écoute pas. Elle va bien, on ne s’en fait pas.

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