Article publié le 28 décembre 2017 et mis à jour le 3 août 2020.
Avec La Haine, traverser le périph’ sent le souffre avec Mathieu Kassovitz. La Haine choque le bourgeois, définit un genre nouveau sur grand écran et s’offre un prix de la mise en scène à Cannes. Alors que le long-métrage ressort en salles, décryptage d’un film culte.
Par Denis Brusseaux
Si historiquement La Haine est le film qui a introduit la banlieue parmi les thèmes majeurs du cinéma hexagonal, la nature profonde de l’œuvre de Mathieu Kassovitz reste à discuter. Car à revoir ce film parfaitement maîtrisé et (presque) sans fioritures – caractéristiques qui seront de moins en moins présentes dans son cinéma – on est avant tout frappé par son extrême classicisme, qu’il s’agisse de la structure narrative purement tragique et implacable, du jeu des acteurs qui lorgne du côté du néoréalisme italien, ou encore de la forme empruntée à plusieurs grands stylistes du réel (on pense notamment à Godard et à Fuller).
Le malaise des cités ne doit-il être qu’un sujet parmi d’autres…?
Très travaillé, peu spontané, ciselé jusque dans le « langage banlieue » – maintes fois répété – de ses personnages, La Haine est à l’arrivée un objet tellement écrit et mis en scène qu’il questionne forcément sur ce que doit être un « film de banlieue » en France.
Le malaise des cités ne doit-il être qu’un sujet parmi d’autres, traité avec une science cinématographique pouvant servir à n’importe quel matériau, ou bien doit-il contaminer jusqu’au film lui-même et en faire un art nouveau, un peu l’équivalent du rap au cinéma ?
Le fait est qu’avec La Haine, Mathieu Kassovitz impose une approche marquée du sceau de la cinéphilie, articulant impeccablement son drame autour d’un nombre impressionnant de citations et de références au 7e art.
Si le réalisateur est, de nature, très en colère et attiré par les sujets polémiques (la télé dans Assassin(s), le crime d’État dans L’Ordre et la Morale), le cinéma pur passe toujours chez lui avant le discours, si bien que ce qu’il a à montrer finit par prendre le pas sur ce qu’il a à dire.
Une envie de « choquer le bourgeois »
L’explication du succès de La Haine, de sa consécration en tant que film sur la banlieue, ainsi que la réputation de brulôt qui lui colle à la peau, tient donc avant tout au public auquel il s’adresse. Pas du tout celui issue des barres HLM des cités (qui sera en revanche directement visé par Luc Besson), mais au contraire celui qui n’y a jamais mis les pieds, et que Mathieu Kassovitz veut bousculer, avec une envie de « choquer le bourgeois » finalement assez soixante-huitarde.
Enfant de la balle turbulent et en révolte, Kasso évoque d’ailleurs sa vraie cible dans Les Inrocks de mai 1995 : « Le film s’adresse à des gens comme mes parents » La férocité de certaines attaques contre la police fait d’autant mieux scandale qu’elle vient dynamiser une approche traditionnelle du cinéma. Stratégie que l’on peut considérer – selon son humeur – comme un habile Cheval de Troie subversif, ou au contraire comme un simple effet d’annonce, un coup de pub opportuniste surfant sur un état des lieux (le film de Richet sort d’ailleurs la même année) de toute façon inévitable.
Saïd Taghmaoui, Hollywood boy
Saïd Taghmaoui en 2017 dans le rôle de Sameer dans Wonder Woman
Co-scénariste de La Haine, Saïd Taghmaoui s’est depuis, exilé de l’autre coté de l’Atlantique. Bonne idée… ou pas ?
« A l’époque où j’étais boxeur, se souvient Saïd Taghmaoui, un type n’arrêtait pas de venir au gymnase pour me prendre en photo. Un jour je lui ai demandé s’il était homo : y’a pas de problème, hein, mais moi je ne suis pas homo ! » Il me répond : « Non, en fait je fais un film sur la boxe, t’as un corps photogénique… » Je lui dis : « Formidable, mais qu’est-ce que tu veux ? Et il me dit : « Je veux faire un court-métrage avec toi. » Là, j’ai pensé « cinéma ». J’étais jeune et je me suis dit que j’allais gagner plein d’argent. « C’est payé combien ? » « Oh, les courts-métrages c’est gratuit. » « Quoi ?! Mais casse-toi de là ! Moi je suis boxeur, pas acteur. Je veux bien jouer avec toi mais il faut que tu me payes. Il est revenu deux jours après avec 500 francs.
Le mec s’appelait Olivier Dahan. Vincent Cassel était un pote et on lui a demandé de venir jouer dans le film, sans lui dire que j’étais payé… parce que j’étais le seul ! »
Arrivant devant la caméra sur un malentendu, Taghmaoui écrira La Haine aux côtés de Cassel et Kassovitz, puis se paiera un ticket sans retour pour Hollywood grâce à sa prestation mémorable dans Les Rois du désert de David O. Russell. Un bel exemple d’American-dream, avec ces derniers temps, un rôle premier dans Wonder Woman.
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