Halloween : un génie nommé Carpenter

Alors qu’un 12e volet d’Halloween est en préparation, retour sur le seul chef-d’œuvre de la saga, signé John Carpenter, connu également sous le titre La Nuit des masques.

Par Marc Godin

« J’ai fait un film sur un fou furieux en liberté. Je crois que c’est ce qu’il y avait d’efficace dans Halloween : un fou qui n’a aucune raison de tuer et qui le fait quand même. Et pour moi, c’est certainement plus efficace que de montrer des litres de sang et des tonnes de viande hachée… »

A 29 ans, John Carpenter, doté d’un budget ridicule de 300 000 dollars se lance dans l’aventure d’Halloween (qui écopera du titre français La Nuit des masques). Carpenter a en tête l’histoire d’une baby-sitter persécutée par un psychopathe (à l’origine, le film devait s’intituler The Babysitter Murders) et un désir : faire un film au moins aussi effrayant que L’Exorciste.

Une partie du succès phénoménal d’Halloween réside dans la conception du personnage de Michael Myers, le psychopathe masqué, machine à tuer qui extermine ses victimes sans montrer la moindre émotion

Son producteur Irwin Yablans lui suggère alors de situer son histoire pendant la nuit d’Halloween, et même de l’intituler… Halloween. Carpenter se lance dans le casting, engage Jamie Lee Curtis, 19 ans, fille de Janet Leigh, malheureuse héroïne de Psychose, et de Tony Curtis.

De son côté, Tommy Lee Wallace, un ami de Carpenter, a l’idée du masque du tueur. Après des essais avec un masque de clown, Wallace achète pour moins de deux dollars un masque du Capitaine Kirk (de la série Star Trek). Il agrandi les yeux, le peint en blanc : Michael Myers est né…

Michael Myers et le masque

Une partie du succès phénoménal d’Halloween réside dans la conception du personnage de Michael Myers, le psychopathe masqué, machine à tuer qui extermine ses victimes sans montrer la moindre émotion. Avec Halloween, Carpenter invente le psychopathe du troisième type.

Myers n’a pas de visage (comme le mal), juste un masque blanc inexpressif, vide, mort. Démasqué, il ne fait plus peur. Myers doit être masqué, c’est l’axiome de base de la série : pas de visage, pas de motivation, pas de sentiment, il est le tueur ultime, la mort en marche.

Revêtu d’une belle combinaison de garagiste, armé d’un immense couteau de boucher, c’est le croque-mitaine new-look, muet, indestructible et immortel, l’incarnation du mal (« Il a les yeux du diable », déclare solennellement Donald Pleasence) qui décime les baby-sitters et les ados libidineux de sa ville natale (car comme dans tous les slashers, faire l’amour est puni de mort). Mais si Michael Myers, inlassablement poursuivi par le docteur Loomis, qui l’appelle It (ça) et non He (il) dans la V.O., fait aussi peur, c’est principalement à cause de son masque.

Myers n’a pas de visage (comme le mal), juste un masque blanc inexpressif, vide, mort. Démasqué, il ne fait plus peur. Myers doit être masqué, c’est l’axiome de base de la série : pas de visage, pas de motivation, pas de sentiment, il est le tueur ultime, la mort en marche.

Avec un tel héros, Halloween enflamme le public et rapporte lors de sa sortie la somme folle de 70 millions de dollar (après avoir perçu un salaire de 10 000 dollars, Carpenter recevra au moins un chèque d’un million de dollars car il était intéressé aux bénéfices ; moins chanceux, Jamie Lee Curtis toucha 8 000 dollars et Nick Castle, l’interprète de Myers, seulement 25 dollars par jour de tournage…). Michael Myers, surnommé « The Shape » (la Forme) aux Etats-Unis, va donc pouvoir devenir le héros d’une longue et pénible série.

Carpenter réinvente la grammaire du cinéma d’horreur

L’autre raison de ce triomphe, c’est John Carpenter lui-même. A l’époque, il a seulement réalisé Dark Star (1974), blague potache et fauchée de SF, Assaut (1976), polar sauvage, hommage à Rio Bravo (« Dans l’histoire du cinéma américain, il y a trois grands cinéastes, assure-t-il : Howard Hawks, Howard Hawks et Howard Hawks »).

Le premier plan, anthologique, est un plan subjectif qui épouse la vision du jeune tueur. La caméra fait le tour de maison, monte les escaliers, et quand Michael met son masque de clown, nous avons la forme du masque sur la caméra.

Carpenter n’a pas d’argent, mais il a des idées. Des idées de cinéma. Il est censé mettre en scène un petit film d’horreur avec monstre implacable et jeunes filles dénudées, mais pourtant, il va réinventer la grammaire du cinéma d’horreur, avant le Shining de Kubrick.

Le premier plan, anthologique, est un plan subjectif qui épouse la vision du jeune tueur. La caméra fait le tour de maison, monte les escaliers, et quand Michael met son masque de clown, nous avons la forme du masque sur la caméra. Nous sommes le tueur.

Pendant 90 minutes, Carpenter fait naitre l’effroi avec sa caméra portée à l’épaule, ses magnifiques travelings, en utilisant brillamment le hors champ. La caméra glisse, se cache, joue avec les personnages, épouse le regard de l’un, la peur de l’autre, traque le mal derrière les murs ripolinés d’une banlieue typique US.

Ciselée par un esthète, un génie de la mise en scène, n’ayons pas peur des mots, cette belle mécanique de la terreur est démultipliée par la musique de… John (« J’ai composé la musique car je n’avais pas d’argent pour embaucher un vrai musicien ») et par le personnage de Jamie Lee Curtis, qui loin d’être une Scream Queen apeurée, rend coup pour coup.

Cette esthétique de la terreur, c’est ce qui a manqué à tous les autres épisodes de la série, y compris le nouveau film de David Gordon Green, qui ont repris le tueur masqué, le couteau de boucher, mais qui ont oublié les leçons du maitre. Donc cette semaine, vous pouvez voir en salles la version 2018 de David Gordon Green, médiocre, bâclée et impersonnelle. Ou l’original, de 1978, un classique qui n’a pas pris une ride.

Vous hésitez ?

Halloween, La Nuit des masques de John Carpenter avec Jamie Lee Curtis et Donald Pleasence.
Reprise en salles le 24 octobre 2018

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