Jusqu’en 2008, Tarantino puisait dans ses souvenirs cinéphiliques pour choisir les premiers rôles de ses films. En 2009, il changea de stratégie et porta son choix sur un inconnu. Résultat : un Oscar ! Sacrée ironie qui aura profité à Christoph Waltz, déjà bien usé lorsqu’il rencontre le rôle de sa vie : Hans Landa dans Inglourious Basterds. Rewind sur un acteur à part.
Par Denis Brusseaux
C’est le rituel imposé pour tous les fans de Quentin Tarantino : se procurer le scénario de son prochain film dans les quelques mois qui précèdent la sortie, non seulement pour découvrir l’histoire et les dialogues, mais aussi pour se délecter du style très particulier du maître, à base de titres écrits à la main, de ratures, de mentions de la B.O. à la place exacte qu’elle occupera dans le film, etc. Inglourious Basterds n’y a pas coupé, et dès le script dispo en ligne (avec l’aval du cinéaste lui-même), ce fut l’effervescence sur les forums à propos d’un personnage en particulier, qui s’annonçait d’emblée comme l’un des méchants les plus effrayants de l’histoire du cinéma : le colonel SS Hans Landa.
Un type absolument atroce, pervers, manipulateur, séduisant, multilingue, aussi habile à manier les conventions de la haute société que dans l’art de cuisiner un suspect, allant jusqu’à terroriser les nazis qui l’emploient. De lui, Tarantino a dit qu’il était sans doute le meilleur « bad guy » qu’il a écrit et qu’il écrirait jamais, précisant qu’à ses yeux le choix du bon comédien était une condition sine qua non pour faire le film.
Aurait-il échoué à trouver son Hans Landa, nous n’aurions jamais vu Inglourious Basterds. Le cinéaste craignait même d’avoir inventé un personnage « injouable »… Dès lors, les rumeurs allèrent bon train, et un nom revenait avec obstination dans toutes les bouches, celui de Leonardo DiCaprio, vraiment pressenti. Un choix risqué pour l’acteur, même auréolé de sa collaboration au long cours avec Martin Scorsese. Les fans s’étaient déjà fait une idée du personnage (quelque chose comme Henri Fonda dans Il йtait une fois dans l’Ouest), rien ne les préparait donc au jeu complexe, outré, parfois à la limite de la parodie, et néanmoins glaçant, de celui qui fut finalement choisi à la dernière seconde : l’Autrichien Christoph Waltz, un parfait inconnu…
Christoph Waltz à droite de la photo dans l‘Inspecteur derrick, il a 32 ans
Bien connu en Allemagne pour ses participations à des séries télévisées comme… Tatort et Le Renard.
Enfin, pas un inconnu pour tout le monde, et certainement pas pour mon père qui figure parmi les spectateurs assidus de l’Inspecteur Derrick et de Rex, chien flic, et qui s’exclama : « Mais je le connais ce gars-là ! », lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes en 2009. Imaginez la scène : alors que je découvrais à peine le faciès de l’acteur, il venait d’être associé dans mon esprit avec ceux d’Horst Tappert et d’un berger allemand. D’autant que le commentateur de Canal + en rajoutait une couche : « Christoph Waltz, bien connu en Allemagne pour ses participations à des séries télévisées comme… Tatort et Le Renard ».
Mon père n’avait donc pas confondu, et il fallait se rendre à l’évidence : Quentin Tarantino avait fait très, très fort sur ce coup-là. Certes, le cinéaste s’était fait le spécialiste dans l’art de recruter des comédiens sur le retour, de vieux routards du show-biz lassés par les cachetons, à deux doigts de la retraite, et auxquels il apportait quasi invariablement la gloire et un nouveau départ offerts sur un plateau.
On pense bien sûr à John Travolta, Pam Grier, Kurt Russel, David Carradine, Daryl Hannah… Lui-même doté d’une solide carrière de second couteau à la télévision, et s’étant déjà exprimé sur l’impression d’échec que lui renvoyait sa filmographie, Waltz s’inscrivait dans ce type de profil. Avec pourtant une variation d’importance : si de nombreux téléspectateurs se remémoraient son visage et son expression à la fois dédaigneuse et fuyante, personne n’était capable de dire son nom, en dehors des frontières de l’Allemagne.
Plus fort encore : Quentin Tarantino ne le connaissait pas, ce qui rompait avec le processus « admiration/résurrection » habituel. Si Waltz s’est retrouvé à interpréter Landa, rôle qui allait lui valoir un prix а Cannes, un BAFTA Awards et surtout un Oscar, c’est parce qu’il parlait couramment le français, l’anglais et l’italien, en plus de sa langue maternelle. Rajoutez à cela sa nationalité et son type très teuton, et il devient clair que Quentin Tarantino venait de découvrir n’ont pas l’interprète de Hans Landa, mais son incarnation pure et simple.
C’était la première fois qu’il ne faisait pas un choix de cinéphile pour son rôle principal, mais conditionné par l’écriture. La reconnaissance qui s’en est suivie confirma qu’en castant Waltz, le bon Quentin venait de franchir un pas décisif dans son parcours de cinéaste.
Christoph Waltz et jamie foxx dans djangho unchained de quentin tarantino – 2012
Pas moins de quatre films en une seule année
À 53 ans, Christoph Waltz devint donc une star du jour au lendemain, et joua dans pas moins de quatre films durant la seule année 2011, où il put chaque fois donner libre court à son goût du cabotinage : il fut Richelieu dans Les Trois Mousquetaires (version techno) de Paul W.S. Anderson, directeur de cirque dans De l’eau pour les йlйphants (Francis Lawrence), méchant de service du Frelon Vert de Michel Gondry, et parent d’élève retors dans Carnage, de Polanski.
Dans la moitié des cas, il venait en remplacement d’autres comédiens (Sean Penn et Nicolas Cage), et ses prestations, bien qu’impeccables, ne pouvaient faire oublier Hans Landa. Osons poser la question qui tue : et si le rôle qui l’a sorti de l’ombre, était condamné à lui en faire (de l’ombre) pour le restant de sa carrière ? La réponse était déjà inscrite sur le négatif de Django Unchained, car s’il est bien un cinéaste capable de renouveler ce comédien – un peu trop – emprunt des automatismes acquis au fil d’innombrables téléfilms interchangeables, c’est bel et bien Quentin Tarantino, le meilleur ami des acteurs.