Article paru le 10 mai 2020 et mis à jour le 6 septembre 2021.
Jean-Paul Belmondo vient de s’éteindre à l’âge de 88 ans. Héros de la Nouvelle vague, entre cinéma intello et grosses machines, il était devenu rapidement un des comédiens préférés des Français. Retour sur le parcours atypique et impeccable de Bébel.
Par Marc Godin
Jean-Paul Belmondo vient de nous quitter à 88 ans. Véritable monument, il a été une des vedettes préférées des Français dans les années 60-70, comme son ami Alain Delon, une machine à blockbusters qui cognait les méchants, se suspendait sous un hélico et emballait de belles blondes le sourire aux lèvres.
Héros de divertissements populaires comme Le Cerveau, Le Casse, Peur sur la ville, L’animal, Le Professionnel ou L’As des as, Belmondo a également tourné avec les plus grands réalisateurs de l’époque, notamment avec Jean-Luc Godard, François Truffaut, Louis Malle, Claude Sautet, Peter Brook, Vittorio De Sica, Claude Chabrol, Jean Becker, Alain Resnais ou Jean-Pierre Melville…
Boxe, Conservatoire et CGT
Né en 1933, Jean-Paul Belmondo est le fils d’un sculpteur célèbre et d’une artiste peintre. Chahuteur, turbulent, il est fréquemment renvoyé des prestigieux établissements scolaires (Louis Le Grand, Henri IV et Montaigne) qu’il fréquente.
« La boxe, j’en ai fait en amateur et j’ai très vite compris que je ne serais pas Marcel Cerdan. »
Passionné par le sport, notamment la boxe, et le cinéma, il décide à 16 ans de devenir acteur. « La boxe, j’en ai fait en amateur et j’ai très vite compris que je ne serais pas Marcel Cerdan. »
Malgré une audition calamiteuse devant André Brunot, de la Comédie Française, il ne se décourage pas et prépare le Conservatoire. En 1951, il passe le concours d’entrée, devient l’élève de Pierre Dux et fait la connaissance de Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort, Michel Beaune et Pierre Vernier qui deviendront ses amis fidèles. « J’étais un besogneux au départ. Je voulais travailler la tragédie, c’est vous dire comme j’étais à côté de la plaque ! Pour emballer, il fallait que je me fasse remarquer, que je fasse le mariolle. J’ai fait le Conservatoire, vous allez rire, on ne m’a jamais fait dire un texte sérieux ! J’ai passé Sganarelle, Scapin, Don César de Bazan. Mon professeur, Pierre Dux, Dieu ait son âme, me disait : ‘‘Vous ne pouvez pas tenir une femme dans vos bras, on ne vous croira pas !’’ Quant à mon père, qui était pourtant un artiste et qui m’aimait, il m’a dit, quand je suis entré au Conservatoire : ‘‘Mais qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir te faire jouer ?’’ »
En 1953, il épouse Elodie – la meilleure danseuse de Saint-Germain-des-Prés – dont il aura trois enfants : Patricia, Florence et Paul. Bientôt, Belmondo joue au théâtre de la Huchette, à L’Atelier, à la Gaîté-Montparnasse, La Mégère apprivoisée avec Pierre Brasseur… et tourne dans un petit film produit par la CGT, Les Copains du dimanche, avec Julien Bertheau, Michel Piccoli, dans lequel il incarne un petit ouvrier qui travaille sur son avion. Mobilisé, il doit servir sous les drapeaux pour la guerre d’Algérie. A son retour, il enchaîne les tournages avec Marcel Carné (Les Tricheurs, 58), Marc Allégret (Un drôle de dimanche) ou Claude Chabrol (A double tour).
Un drôle de Suisse nommé Godard
Un beau jour, un type mal rasé avec un drôle d’accent suisse l’aborde et lui demande s’il veut faire du cinéma. Il lui propose 500 francs (environ 75 €) pour un court-métrage et lui demande de le rejoindre dans sa chambre.
L’acteur se rend donc dans la chambre de Jean-Luc Godard, puisque c’est de lui qu’il s’agit, et tourne Charlotte et son jules, le « brouillon » d’A bout de souffle.
Persuadé qu’il a affaire à un homosexuel, Belmondo en parle à sa femme qui lui conseille d’y aller mais de rester sur ses gardes. L’acteur se rend donc dans la chambre de Jean-Luc Godard, puisque c’est de lui qu’il s’agit, et tourne Charlotte et son jules, le « brouillon » d’A bout de souffle.
Un peu plus tard, Godard le relance avec un embryon d’histoire : un type qui remonte de Marseille pour trouver sa fiancée et qui, en chemin, tue un policier. Godard assure que pour la suite, il verra bien… Belmondo accepte à nouveau. Un tournage en liberté en moins d’un mois et pour le moins décousu commence. Godard lui demande d’aller prendre une bière au Royal Saint-Germain et de partir sans payer ; Belmondo s’exécute. Il le prie d’entrer dans une cabine téléphonique et d’improviser, Bébel acquiesce.
Pendant une scène à l’hôtel de Suède avec Jean Seberg, Godard vire l’ingénieur du son et la scripte. Belmondo, qui a été payé 4 000 francs (610 € env.), est persuadé que le film restera dans les cartons. Pourtant, A bout de souffle, avec le scénario de JLG, d’après une idée de François Truffaut, et un conseiller technique nommé Claude Chabrol, est bel et bien LE manifeste de la Nouvelle vague où JLG (ré)invente le septième art. Du cinéma en liberté, transcendé par l’interprétation de Belmondo.
« Je cachetonnais depuis dix ans. Après A bout de souffle, du jour au lendemain, je suis parti en Italie, j’ai tourné quatre films d’affilée. Mon téléphone n’arrêtait pas de sonner, j’aurais pu en faire vingt par an si j’avais voulu. »
Le film remporte le prix Jean Vigo, le prix de la mise en scène à Berlin et Belmondo enchaîne avec Moderato Cantabile de Marguerite Duras. Quand A bout de souffle sort sur les écrans, Belmondo est persuadé que l’on va lui jeter des tomates dans la rue et il rase les murs. Mais l’œuvre de JLG est contre toute attente un succès, qui va imposer Bébel comme le nouveau prototype du jeune premier, nature et cool avant l’heure. « Je cachetonnais depuis dix ans. Après A bout de souffle, du jour au lendemain, je suis parti en Italie, j’ai tourné quatre films d’affilée. Mon téléphone n’arrêtait pas de sonner, j’aurais pu en faire vingt par an si j’avais voulu. »
L’as des as
Judicieusement, Jean-Paul Belmondo choisit les contre-emplois. Après Moderato Cantabile, il tourne Léon Morin prêtre avec Jean-Pierre Melville. Pour devenir une vedette populaire, il accepte Un singe en hiver, au côté de Jean Gabin. Pour les dialogues, Audiard va concocter une partition sur mesure pour les deux virtuoses, Gabin adoubant même Bébel comme un fils spirituel dans une scène.
Entre eux, le courant passe aussitôt car outre le cinéma, une passion les unit : le sport. Comme Gabin, le jeune Belmondo adore le vélo (il est fana des courses du Vél d’Hiv), le football et bien sûr la boxe. Lors de sa sortie en salles, Un singe en hiver devient naturellement un des gros succès de l’année, et le ticket d’entrée définitif de Belmondo au panthéon des stars.
Désormais, Bébel est libre de faire ce qu’il lui plaît, et entame avec Philippe de Broca la trilogie Cartouche, L’Homme de Rio, Les Tribulations d’un Chinois en Chine qui vont définir la suite de sa carrière : cascades, séduction et décontraction absolue face à toutes les situations.
Héros d’un cinéma populaire, il tourne néanmoins avec Godard dans Pierrot le fou en 1965. « Je dîne avec Godard et il me donne un roman policier à lire. Je le lis. On se revoit quelques jours plus tard, et je lui dis : ‘‘J’aime le roman, ça me plaît.” Il me répond : “Ça tombe bien, parce que c’est justement pas ça qu’on va tourner.” Godard, il faut accepter tout. S’il vous demande de vous peindre la gueule en bleu, faut le faire, et pas demander pourquoi en bleu. »
Pour Pierrot le fou, grâce à Belmondo, Godard obtient un budget plus important, délaisse le côté policier et réinvente le cinéma à coups de faux raccords, de collages, et d’une bande-son d’une incroyable richesse
Avec Pierrot le fou, librement adapté d’un polar de Lionel White, JLG souhaitait réaliser un petit film interprété par Michel Piccoli et Sylvie Vartan. Grâce à Belmondo, Godard obtient un budget plus important, délaisse le côté policier et réinvente le cinéma à coups de faux raccords, de collages, et d’une bande-son d’une incroyable richesse. « Un film d’une beauté sublime », résumera Aragon.
Belmondo continuera encore quelques années à tourner avec les meilleurs auteurs du cinéma français, notamment Louis Malle (Le Voleur, 66), François Truffaut (La Sirène du Mississippi, 69) ou Alain Resnais (Stavisky, 74) dont il produira le film sans lui dire…
Mais le public le préfère suspendu à un trapèze, volant au-dessus de Paris, courant sur une rame de métro ou corrigeant un nuisible. Il abandonne alors les films exigeants et tourne des productions ultra-calibrées, avec ses réalisateurs fétiches (Georges Lautner bien sûr, mais aussi Jacques Deray, Henri Verneuil) et son cercle rapproché dont Michel Audiard pour le scénario ou les dialogues, ses copains acteurs et parfois ses petites amies.
Belmondo va donc faire du Bébel pendant des années (Peur sur la ville, 75, Flic ou voyou, 79, Le Guignolo, 80, Le Professionnel, 81, L’As des as, 82, Joyeuses Pâques, 84, Hold-up, 85, Le Solitaire, 87…) jusqu’à épuiser le filon, jouer dans des œuvres paresseuses, indignes de son talent, et provoquer l’indifférence de ses fans. « Je ne regrette rien. Dans le moment où je les ai tournés, j’y ai cru, à ces films. Même les moins bons. Parfois, je me suis trompé, c’est sûr. Par chance, je n’ai jamais tourné pour payer les impôts. »
Théâtre et télé
En 1988, Belmondo retrouve brièvement les faveurs du public pour Itinéraire d’un enfant gâté, de Claude Lelouch, pour lequel il reçoit un César (qu’il refuse), espace les films et s’offre un dernier baroud avec son ami de quarante ans, Alain Delon, dans Une chance sur deux (98). « Dans le film, on n’arrête pas de se moquer de nous-mêmes avec Alain. Mais les cascades, c’est moi qui les fais pour de bon. Parce que j’aime ça. Même si aujourd’hui, tout ce que j’y gagne, ce sont des phrases du genre : “Il est formidable pour son âge.” Dur. Ou bien, pire encore : “C’est pépé volant !” Mais ça m’est égal. Il vaut mieux s’exposer à la dérision que d’être un vieux con… »
S’il n’attire plus les foules, Belmondo ne baisse pas les bras et met le feu aux planches à partir de la fin des années 80. Mis en scène par Robert Hossein, son Kean sera un triomphe. Puis Belmondo interprète des pièces de Feydeau ou d’Eric-Emmanuel Schmitt au théâtre des Variétés qu’il a racheté. Pour la télé, il donne la réplique à Samy Nacéri lors du médiocre remake de L’Aîné des Ferchaux.
Mais en août 2001, en Corse, il est victime d’un grave accident vasculaire cérébral, qui entraîne une paralysie faciale du côté droit et le contraint à se tenir éloigner des planches ou du cinéma.
En 2008, il tourne pourtant un dernier long-métrage, Un homme et son chien, de Francis Huster, remake d’Umberto D, de Vittorio De Sica. Il est envisagé pour un film de Claude Lelouch en 2012, mais le projet n’aboutira pas, et en 2015, l’acteur annonce sa retraire. Définitive ! Depuis, Belmondo accumule les honneurs, à Cannes, Venise, Lyon, la Légion d’honneur, un hommage aux César…
« Il est toujours en forme, il se bat avec une joie de vivre exemplaire. Une belle leçon de vie »
Lors du confinement, au mois d’avril 2020, on avait pu avoir de ses nouvelles. Dans son appartement parisien, Bébel prenait des bains de soleil sur son balcon, s’entretenait avec de petites séances de musculation et faisait de blagues à ses meilleurs amis, en attendant des jours meilleurs. « Il est toujours en forme, il se bat avec une joie de vivre exemplaire. Une belle leçon de vie », avait assuré sa belle-fille, Luana.
Malheureusement, monstre sacré du cinéma français s’est éteint le 6 septembre 2021.
Repose en paix Jean-Paul Belmondo
BEBEL EN 7 REPLIQUES CULTES
« Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville… Allez-vous faire foutre ! »
A bout de souffle de Jean-Luc Godard (1960)
« Vous savez quelle différence il y a entre un con et un voleur ? Un voleur, de temps en temps, ça se repose. »
Le Guignolo de Georges Lautner (1980)
« Une paella sans coquillages, c’est comme un gigot sans ail, un escroc sans rosette : quelque chose qui déplaît à Dieu ! »
Un singe en hiver d’Henri Verneuil (1962)
« Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent. »
Cent mille dollars au soleil d’Henri Verneuil (1964)
Jean-Paul Belmondo : « Quand je te regarde, c’est une souffrance. »
Catherine Deneuve « Pourtant hier, tu disais que c’était une joie. »
Jean-Paul Belmondo : « C’est une joie et une souffrance. »
La sirène du Mississippi de François Truffaut (1969)
« Il y a des voleurs qui prennent mille précautions pour ne pas abîmer les meubles, moi pas. Il y en a d’autres qui remettent tout en ordre après leur visite, moi jamais. Je fais un sale métier, mais j’ai une excuse, je le fais salement… »
Le Voleur de Louis Malle (1967)
« J’en ai assez d’être aimé pour moi-même, j’aimerais être aimé pour mon argent. »
Docteur Popaul de Claude Chabrol (1972)