Emilia Clarke a frôlé la mort deux fois, sa carrière au cinéma est au plus bas mais « la mère des dragons » n’a pas dit son dernier mot. Avec Last Christmas, en salles le 27 novembre, elle joue « tapis » et pourrait rafler la mise.
Par Sylvain Monier
Le matin du 11 février, dans la moiteur d’une salle de sport londonienne, une petite brune est en passe d’achever son âpre séance quotidienne. Elle s’appelle Emilia Clarke, elle a 24 ans, elle est comédienne et elle dispose d’un statut un peu particulier dans l’échelle de la célébrité : c’est la jeune femme connue la moins connue du circuit. Car en ce début d’année, sur les petits écrans du monde entier, la première saison de Game of Thrones va se clôturer dans un triomphe public et critique sans précédent dans l’histoire de la série. Certains évoquent un « phénomène de société », d’autres adorent cette série d’heroic fantasy d’un nouveau genre pour la simple raison que Barack et Michelle Obama en sont fans. Comme si le fait d’être fan de GOT était corrélé à une sorte de rayonnement social.
« J’étais terrifiée. Terrifiée par l’attention, par une industrie que je découvrais à peine, terrifiée par le fait d’assurer et de prouver aux créateurs de Games of Thrones qu’ils avaient eu raison de me faire confiance. »
Et dans cette série grand luxe où l’argent investi est perceptible à l’écran, où les dialogues d’inspiration shakespearienne alternent avec des scènes érotiques ou de têtes coupées, Clarke tire à fond son épingle du jeu. Son personnage de jeune fille en apparence frêle qui mène néanmoins d’une main de fer son armée d’eunuques la transforme en icône féministe.
Elle qui, deux ans auparavant, était serveuse ou opératrice et dont le seul fait d’arme était un emploi dans un téléfilm de dinosaures belliqueux pour la chaîne SyFy… La voilà passée désormais classée en Premier League grâce à Daenerys Targaryen alias « la Khaleesi » alias « la mère des dragons ».
Reste un problème cependant : ce succès soudain, si soudain, lui fait vivre un stress plombant : « J’étais terrifiée. Terrifiée par l’attention, par une industrie que je découvrais à peine, terrifiée par le fait d’assurer et de prouver aux créateurs de Games of Thrones qu’ils avaient eu raison de me faire confiance. » (The New Yorker, 2019). Et si elle s’entraîne si dur, ce 11 février, c’est sans doute pour évacuer cette angoisse qui l’étouffe. Le genre d’angoisse qui, lorsque vous avez la vingtaine, vous conduit à accepter les coups de pression de votre hiérarchie, de ceux qui savent.
C’est alors que dans cette salle de sport, Clarke ne se sent plus bien du tout. Elle demande à son coach de stopper l’effort, rejoint les vestiaires puis s’effondre prise de maux de tête atroces et de vomissements. Conduite aux urgences, les médecins établissent le diagnostic : rupture d’anévrisme. Ils l’opèrent immédiatement. « Je n’avais jamais connu une telle peur », confessera-t-elle au magazine The New Yorker huit ans plus tard, via un article rédigé à la première personne du singulier.
A l’issue de l’opération, Clarke perd l’usage de la parole et reste hospitalisée un mois. La guérison est lente, compliquée, sa mémoire est vacillante mais elle reprend cependant le chemin des tournages de la saison 2 et 3 malgré une fatigue corollaire d’un traitement lourd à la morphine. Plus tard, elle apprendra qu’elle a subi un second anévrisme. Il est de moindre importance certes, mais à la faveur d’un examen de routine, Clarke ne peut plus nier la réalité : le mal a doublé de volume et se révèle très préoccupant. Nous sommes maintenant en 2013, et la comédienne doit alors subir une nouvelle opération. Et celle-là, Clarke n’est pas prête de l’oublier car à la suite de complications, la guérison s’est révélée encore plus douloureuse.
La Britannique a toujours connu les problèmes de santé et son cortège de traitements. Petite fille, on lui avait déjà diagnostiqué un Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et elle s’était retrouvée, comme pléthore d’enfants des années 90, sous traitement à la Ritaline.
« Papa m’a donné sa fibre artistique maman m’a transmis son caractère de lionne »
Elle a grandi en Angleterre, dans la campagne du comté de Berkshire, entre Oxford et Londres. Son père travaille alors comme ingénieur du son pour des comédies musicales tandis que sa mère est vice-présidente d’une société de conseil après en avoir été la simple secrétaire. « Papa m’a donné sa fibre artistique maman m’a transmis son caractère de lionne », résume-t-elle dans Le Parisien Magazine (mai 2018). La petite Clarke est fan d’Audrey Hepburn, du musical Show Boat et rêve de jouer la comédie. Pourtant, elle suit son frère à la St Edward’s School, une école d’Oxford où la jeune fille se sent isolée au milieu de camarades dont l’ambition est de devenir avocat.
Elle change de braquet et après un voyage en Asie et après beaucoup de refus aux entrées d’écoles d’art dramatique, elle est reçue au Drama Centre London, une institution d’où sont sortis, entre autres, Colin Firth, Tom Hardy, Pierce Brosnan et Michael Fassbender. Surnommée le « Trauma Centre », l’école possède la réputation de briser psychologiquement ses impétrants pour mieux (?) les remodeler. Clarke encaisse les humiliations quotidiennes des profs les plus pervers et sort, en 2009, diplômée de cette prestigieuse institution… Suivra une année de relative galère avant qu’un jour, on lui évoque le projet d’« une série avec des dragons ». Les producteurs ont tablé sur une blonde longiligne, elle est brune et mesure 1m57.
Le jour de l’audition, Clarke se serait lancée (selon ses dires) dans une improbable danse du poulet devant les créateurs de la série qui tombent alors sous le charme singulier de cette petite brune à gros sourcils : « Il suffira de lui mettre une perruque » songent-ils. Donc, Emilia Clarke obtient le rôle et la première saison de Game of Thrones, diffusée en 2011, lui vaut l’Emmy Award du meilleur second rôle féminin dans une série dramatique. Et alors qu’elle bataille dur (et secrètement) contre la maladie, elle devient une star internationale au gré de l’importance que prend son personnage. En conséquence, elle pose ses desiderata au fur et à mesure des saisons : mollo sur les scènes de nu et crescendo, en revanche, sur son cachet. A l’arrivée, Clarke est adulée par les fans de GOT mais totalement ignorée par ceux – et ils sont tout de même nombreux – qui sont passés à côté de la série.
Terminator Genesys ne restera pas dans les annales même si elle parviendra à gagner le même cachet qu’Arnold Schwarzenegger.
Côté cinéma, la jeune fille est loin d’avoir fait ses preuves. On pensait qu’elle décrocherait très vite la timbale, il n’en fut rien. Terminator Genesys (Alan Taylor, 2015) ne restera pas dans les annales même si elle parviendra à gagner le même cachet qu’Arnold Schwarzenegger – ce qui peaufinera son image de girl power et une modernité. Solo : A Star Wars Story (Ron Howard, 2018) ne déchaînera pas les foules malgré sa bonne prestation en héroïne sympathiquement ambiguë. Quant au film ? Passable sans plus. Osons le dire, sa carrière au cinéma, tant au niveau artistique que commercial, laisse à désirer. La faute dit-on à une volonté de ne pas s’impliquer outre mesure à Hollywood.
Clarke étant une vraie fille de la campagne qui entend rester auprès de sa famille en Angleterre, son père ayant décédé d’un cancer il y a deux ans. Et puis, quoi qu’elle en dise, il y a cette maladie qui rôde et qui la pousse à s’éloigner du cirque hollywoodien.
La solution reste donc ce film, Last Christmas : une rom-com british de Noël réalisée par un orfèvre du genre, Richard Curtis (Love Actually, Coup de foudre à Notting Hill) avec Wham ! et George Michael en bande son. Soit les pérégrinations romantico-londonienne d’une jeune fille en perdition professionnellement et qui a – suivez mon regard – frôlé la mort l’année d’avant.
De quoi rassembler les fans de George Michael, ceux de Clarke, de rom-com ou de Noël… et de s’assurer un gros carton. La force de l’actrice résidant dans sa capacité à transformer ses faiblesses en force. Comme une princesse albinos qui lutte avec une volonté de fer pour accéder au trône.
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