M. NIGHT SHYAMALAN, LE SORCIER D’HOLLYWOOD

Auteur du Sixième Sens, Incassable ou Le Village, empereur du thriller métaphysique, champion du twist abyssal, M. Night Shyamalan a enchaîné pendant une dizaine d’années les films médiocres, indignes de son talent. Mais depuis The Visit, il déploie à nouveau ses ailes de géant et avait reconquis sa couronne en janvier 2019 avec Glass.

Par Marc Godin

C’est une belle histoire d’ascension (vertigineuse) et de chute (monumentale), comme les affectionne Hollywood, avec à l’arrivée – peut-être – une rédemption. L’histoire d’un cinéaste qui signe à 28 ans Sixième sens, un des plus gros succès du cinéma de tous les temps. « Mon but est de créer des phénomènes de société, comme Titanic », avoue alors Manoj “ Night ” Shyamalan, qui chope très vite le melon.

Sauf que le Wonder Boy, mix entre Alfred Hitchcock et Steven Spielberg, va se prendre les pieds dans le tapis, avant de mordre la poussière en signant des films indignes de lui (notamment After Earth ou Le Dernier maitre de l’air).

« A douze ans, je crois que j’ai vu un fantôme. Pour Sixième Sens, je me suis souvenu du sentiment qui m’avait envahi alors, de cette peur irraisonnée… » M. Night Shyamalan

haley joel osment dans sixieme sens – 2000

Né le 6 août 1970 à Pondichéry (« mes parents vivaient aux Etats-Unis mais voulaient que je naisse en Inde pour avoir la nationalité indienne »), M. Night Shyamalan grandit au sein d’une famille de blouses blanches : père cardiologue, mère obstétricienne, tante médecin-légiste. « De la naissance à la mort, la boucle est bouclée ».

Une vocation qu’il n’a finalement pas épousée (sauf dans Sixième Sens, où il campe un médecin l’espace d’un caméo) mais qui l’a sans doute influencée, tout comme sa culture hindouiste, dont il tient peut-être son goût de la spiritualité et son attirance pour le surnaturel. « A douze ans, je crois que j’ai vu un fantôme. Pour Sixième Sens, je me suis souvenu du sentiment qui m’avait envahi alors, de cette peur irraisonnée… ».

« Le plus souvent, il s’agissait de copies de films que j’adorais. Je disais à un ami : ‘‘Toi, tu vas être Indiana Jones’’. Et à un autre : ‘‘Toi, tu vas être le méchant de James Bond’’. Je me souviens même d’un film que j’avais réalisé qui s’intitulait Promenons-nous dans les bois. » M. Night Shyamalan

A douze ans, il découvre également Les Aventuriers de l’arche perdue, puis Lawrence d’Arabie et La Règle du jeu et décide qu’il sera réalisateur. « Ado, je n’arrêtais pas de tourner des petits films amateurs avec un caméscope, tous les week-ends. J’ai commencé comme une distraction, je trouvais ça drôle de filmer des proches, des voisins, des amis, de leur confier des rôles, de raconter une histoire.

Puis, j’ai commencé à considérer la réalisation de plus en plus sérieusement. Plus je tournais des films, plus j’apprenais et je créais mon propre univers. Le plus souvent, il s’agissait de copies de films que j’adorais. Je disais à un ami : ‘‘Toi, tu vas être Indiana Jones’’. Et à un autre : ‘‘Toi, tu vas être le méchant de James Bond’’. Je me souviens même d’un film que j’avais réalisé qui s’intitulait Promenons-nous dans les bois. » Ainsi, âgé à peine de seize ans, Night compte 45 courts-métrages à son actif et a écrit des dizaines de scénarios.

BRUCE WILLIS ET SAMEUL JACKSON DANS INCASSABLE – 2000 © gaumont buena vista international

« Le public est intelligent, il faut s’en servir. »

A 21 ans, il est diplômé de la Tisch School of Arts, et réalise en Inde un premier film semi-autobiographique, Praying with Anger, sur le parcours d’un jeune indo-américain qui retourne en Inde à la mort de son père. Six ans plus tard, Night signe Wide awake, financé par Miramax, l’histoire d’un élève mystique obsédé par la mort.

Remonté par Miramax, le film est un échec, mais Night ne baisse pas les bras et écrit le scénario de Sixième sens. Il le met aux enchères et la productrice de Spielberg, Kathleen Kennedy l’achète pour le compte de Disney pour un peu moins de… 3 millions de dollars !

Inconnu à l’époque, Night est chargé de mettre en scène son scénario, décroche Bruce Willis, star aux choix navrants, pour le haut de l’affiche et un gamin, Haley Joel Osment, que l’on voyait à la fin de Forrest Gump.

Avec Sixième Sens, Night crucifie le spectateur avec un twist final qui compte parmi les plus stupéfiants de l’histoire du 7e art. Le film rapporte près de 600 millions de dollars.

Le sujet est complètement inattendu, le scénario vissé comme une mécanique de précision, la maîtrise de la mise en scène touche à la perfection (les mouvements d’appareil, la maîtrise du hors champ, le jeu sur les couleurs, notamment le rouge…) et Night crucifie le spectateur avec un twist final qui compte parmi les plus stupéfiants de l’histoire du 7e art. Le film rapporte près de 600 millions de dollars (près de 4 millions de spectateurs en France), tout le monde frissonne en chuchotant la réplique « I see dead people » et Night est propulsé dans la stratosphère et devient la sensation du moment.

Il réalise dans la foulée Incassable, avec Bruce Willis et Samuel L. Jackson, un drame sombre et dépressif qui se révèle, lors d’un nouveau twist final insensé, un film de super-héros.

Pour cette superproduction, Shyamalan obtient des conditions démentes : il tourne à Philadelphie, sa ville de cœur, avec une équipe locale, filme les scènes dans l’ordre du scénario et garde systématiquement les premières prises.

« Je suis particulièrement fier de faire des films à suspense, des films lents, qui soient aussi commerciaux. Je crois au public, à sa connaissance des ficelles du cinéma, et je prends un grand plaisir à jouer au chat et à la souris avec lui.

Le public est intelligent, il faut s’en servir. » A la fois thriller d’une profondeur immense et objet pop spectaculaire et cool, Incassable ne réitère pourtant pas le l’exploit de Sixième sens au box-office (100 millions de dollars seulement, si on peut dire…).

mel gibson et rory culkin dans signes – 2002 © dr

Un suicide artistique

En 2001, Night tourne Signes, une histoire d’invasion extraterrestre dans… une cave. Le film est une nouvelle fois un modèle de mise en scène et Night prouve qu’il a la maîtrise formelle d’un Spielberg, avec un sens du casting stupéfiant, puisque ses deux frères sont incarnés par Mel Gibson et Joaquin Phoenix.

Le film, post-11 Septembre, parle de foi, de fin du monde, de la mort de l’amour et se termine sur un nouveau twist renversant. Est-ce que Night va pouvoir continuer longtemps à concevoir et réaliser des twists aussi forts qui sont sa marque de fabrique et assurent son succès ?

« Le suspense permet de désarmer les gens, de les rendre plus émotifs. J’ai une grande capacité à m’émouvoir ou à pleurer, que tous ne partagent pas. En faisant peur, j’amène les spectateurs à un même niveau de sensibilité. » M. Night Shyamalan

Il enchaîne avec Le Village, l’histoire d’une communauté qui vit repliée sur elle-même, en 1897. Autour du village, une enceinte fortifiée derrière laquelle rôdent des monstres assoiffés de sang. Une nouvelle fois, la mécanique Shyamalan tourne à plein rendement : le scénario est d’une rare finesse, la mise en scène au cordeau, la distribution étincelante (Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Adrien Brody, Sigourney Weaver, Brendan Gleeson…) et le twist décoiffant, peut-être le plus beau de la carrière de Night.

« Le suspense permet de désarmer les gens, de les rendre plus émotifs. J’ai une grande capacité à m’émouvoir ou à pleurer, que tous ne partagent pas. En faisant peur, j’amène les spectateurs à un même niveau de sensibilité. Les morts, les extraterrestres, les monstres sont des outils qui me servent à parler de la nature de l’homme. C’est la beauté de l’art que de faire accéder à la vision du monde de quelqu’un d’autre. »

joaquim phoenix dans le village – 2004 © DR

La suite est néanmoins une… grosse gamelle. De fait, en 2006, la machine s’enraye et Night, demi dieu du cinéma qui a déjà rapporté deux milliards de dollars au box-office, se fourvoie complètement avec La Jeune fille de l’eau, l’histoire acadabrantesque à prétention philosophique d’une nymphe qui débarque dans la piscine d’une résidence, poursuivie par des forces obscures. Un suicide artistique que Night résume de la sorte : « La Jeune fille de l’eau est à prendre comme un conte de fées. C’est d’ailleurs en racontant des histoires à mes enfants que l’idée m’est venue.

Quant à la structure du film, il pourrait ressembler à une composition de jazz, c’est-à-dire sans vraiment de refrain ni de couplet, mais où le morceau progresse subtilement. Il faut donc rentrer dedans et accepter de se laisser porter pour l’apprécier. C’est peut-être ça qui a déstabilisé les gens. » Une œuvre brouillonne où un critique de cinéma se fait trucider et où Night incarne un écrivain qui va changer le monde grâce à une de ses créations !

La suite tient du cauchemar avec le duo Le Dernier maître de l’air et After Earth, deux ratages spectaculaires.

Plantes vertes et parano

Deux ans plus tard, Night essaie de renouer avec l’esprit de Signes (et le succès) en tournant Phénomènes, dont l’ambiance évoque les films fantastiques parano des années 50 comme L’Invasion des profanateurs de sépultures.

Il est question d’une épidémie de suicides, de révolte de plantes (oui, oui) et, d’une nouvelle fois, de la cellule familiale comme ultime rempart face au mal. Night parvient à boucler quelques moments d’anthologie, mais le film ne tient pas toutes ses promesses, notamment à cause de la « performance » de Mark Wahlberg.

« C’est déplaisant d’avoir des échecs comme Le Village ou Phénomènes. Mais l’important, c’est de continuer. C’est comme un voyage avec des secousses… » La suite tient du cauchemar avec le duo Le Dernier maître de l’air et After Earth, deux ratages spectaculaires.

Grosse production pour enfants en 3D, Le Dernier maître de l’air est l’histoire nébuleuse d’un garçon « incassable ayant un sixième sens ». Night mixe images de synthèse, manga et spiritualité hindoue pour un Kouglof indigeste. « Il faut le revoir plusieurs fois pour en saisir la richesse, cela explique l’accueil négatif de la critique qui ne se donnera jamais une telle peine… C’est, dans son genre, un film très réussi, et je compte bien en faire une trilogie, comme La Guerre des étoiles. » C’est cela, ouiiii…

Will smith et jaden smith dans after earth – 2014 © sony

Avec After Earth, la chute est encore plus dure. Embauché par Will Smith, Night doit servir la soupe à Will Smith junior avec un survival SF insipide, doublée d’une fable écolo sur les forces et l’harmonie de la nature. Night Shyamlan est-il irrémédiablement foutu, avalé, digéré, recraché par les comptables d’Hollywood ?

En 2015, soit 10 ans après le tournage de La Jeune fille de l’eau, il dirige le pilote de la série Wayward Pines et The Visit, un petit film d’épouvante dans le style faussement doc du found footage. Et c’est le retour en grâce. « Quand on refuse tous vos scénarios, ça vous stimule. C’est plus tard que la mélancolie vient. Faire des petits films, c’est peut-être une manière pour moi de retrouver de l’adversité. De rendre les choses dangereuses de nouveau. »

The Visit fait peur, très peur, Night le virtuose joue sur les ruptures de tons (le rire n’est jamais loin), le hors champ, avec ses obsessions (la famille décomposée, l’héroïsme qui se manifeste dans les conditions banales…).

Pour retrouver sa liberté, Night Shyamalan finance lui-même The Visit. Projet minimal, le film est basé sur un scénario basique, resserré sur un nombre de décors réduits et cinq acteurs, dont deux enfants. Avec cette histoire de grands-parents zinzins, Night retrouve la grâce de ses débuts et explose le box-office (The Visit coûte moins de 5 millions et en rapportera 100 !).

Le film fait peur, très peur, Night le virtuose joue sur les ruptures de tons (le rire n’est jamais loin), le hors champ, avec ses obsessions (la famille décomposée, l’héroïsme qui se manifeste dans les conditions banales…). L’année suivante, il renoue avec l’inspiration et revient au top avec Split. Le scénario n’est pas une machine de guerre comme Sixième Sens ou Incassable, il y a même de petits problèmes comme avec le personnage de la psy, mais Shyamalan parvient à plonger le spectateur dans la tête d’un psychopathe qui possède pas moins de 23 personnalités.

james mcavoy dans glass, en salles le 16 janvier 2019  © universal pictures

« Je n’ai plus l’obligation de tourner des films familiaux puisque mes enfants ont grandi. Je peux renouer avec mes histoires sombres et démentes, prendre plus de risques. » Il est une nouvelle fois question d’un huis-clos et avec un sens aigu du cadrage et du montage, Night insuffle une complexité passionnante au film de terreur. Il offre à l’excellent James McAvoy un de ses meilleur(s) rôle(s) et lors d’une pirouette démente dans l’épilogue, raccorde Split à… Incassable.

En octobre 2017, dès que l’on apprit que M. Night Shyamalan tournait à Philadelphie, une suite à Split, Glass, avec James McAvoy bien sûr, mais aussi et surtout Bruce Willis et Samuel L. Jackson, les fans du monde entier ont compris qu’ils allaient enfin assister à la lutte finale des super-héros d’Incassable, à savoir David Dunn et M. Glass, promise par Night depuis des années et à de nombreuses reprises. Et en cadeau bonus, la Bête, issue de Split

Welcome back, Monsieur Night.

ILS ONT DIT DE LUI…

Bruce Willis 
« Quand je l’ai rencontré, j’ai senti à quel point il avait tout son film (Sixième Sens) dans sa tête. A quel point cette histoire lui appartenait… Il était donc le mieux placé pour la filmer. Je lui ai fait totalement confiance… malgré son jeune âge ! J’aime bien le côté un peu sauvage qu’il a, cette manière de rester à l’écart d’Hollywood. »

Haley Joel Osment
« C’est vraiment quelqu’un de bien. Et puis, il est brillant. Ca se sent tout de suite dans la conversation. C’était très facile de comprendre ce qu’il attendait de nous. »

Mel Gibson
« Night a écrit Signes pour moi ce qui est flatteur. Après Sixième sens et Incassable, on sait qu’en plus du talent, Night possède aussi la connexion avec le public.  La marque des grands est qu’ils ont une vision très nette, et j’ai rarement rencontré un metteur en scène qui sache autant ce qu’il veut. Par contre, il reconnaît rarement avoir tort ! »

Jason Blum
« Cela fait un bout de temps que je m’intéresse aux cinéastes qui ne parient que sur eux-mêmes et qui vont à contre-courant du système. Qui plus est, M. Night Shyamalan est un orfèvre de l’angoisse : il a très bien saisi le caractère anxiogène de ce qui est tapi dans l’ombre, au coin de la rue… ce qu’on ne voit pas mais que l’on pressent avec un indicible effroi. C’est effarant de simplicité. Il arrive à nous installer dans un climat de parfaite confiance et de sécurité afin de mieux le démanteler et de nous plonger au cœur de nos peurs les plus profondes. »

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