Couronnée « Reine de la série d’auteur » depuis son envol avec Mad Men, Top of Lake et La Servante Ecarlate, Elisabeth Moss choisit ses rôles aussi judicieusement dans le cinéma indé. Après The Square, The Invisible Man, on la verra en fin d’année dans The French Dispatch de Wes Anderson. Portrait d’une actrice au parcours exigeant et inspirant.
Par Christelle Laffin
A en croire le laconique Matthew Weiner, le créateur de Mad Men, il n’y aurait que deux choses à savoir sur Elisabeth Moss : « Elle tient mal l’alcool et elle ne rate jamais une scène ».
A la lumière de ces observations éclairées, on applaudit la performance de l’interprète de Peggy Olson, qui a su rester sobre comme une papesse pendant sept ans sur le plateau d’une série où, à l’écran du moins, le Bourbon et les vodka martini coulaient à flot. On comprend mieux, aussi, la passion que l’actrice aussi brillante que secrète inspire chez les réalisateurs.trice.s et les directeurs.trice.s de casting depuis 15 ans . Hello, les économies de prises de vue ?! Mais surtout, de Top of Lake de Jane Campion (Arte) à Hand Maid’s Tale (OCS), celle que New York Magazine a surnommé « La Reine de la télé d’auteur » est devenue « la fille à appeler » dès qu’une personnage féminin inflexible lutte contre un patriarcat brutal et délétère.
Exemple…criant ? Le film d’horreur The Invisible Man de Leigh Wannell en ressortie le 22 juin dans lequel Elisabeth Moss incarne une femme harcelée par un ex manipulateur et sadique qui aurait simulé son suicide. Pour mieux la terroriser. Une ré-adaptation glaçante du roman de H.G. Wells, aux troublants accents de #MeToo, à propos d’une victime que l’on ne croit pas, confrontée à une menace que l’on ne voit pas et dont la souffrance est décuplée par l’incrédulité de ses proches. Cela tombe plutôt bien, car à l’écran, Elisabeth Moss sait morfler comme personne ! Physiquement comme émotionnellement.
« Je trouve ça flatteur, que l’on me pense capable de me mettre dans tous les états émotionnels, du plus subtil au plus extrême »
Pour sa deuxième incursion dans un film d’horreur engagé, après le génial US de Jordan Peel en 2019, elle déploie à nouveau, dans The Invisible Man, « ce mix de force et de vulnérabilité, nimbé de mystère » (dixit Jane Campion) devenu sa signature. « Je me suis habituée à ce que l’on me propose ce type de rôles et je trouve ça flatteur, que l’on me pense capable de me mettre dans tous les états émotionnels, du plus subtil au plus extrême », confiait-elle au New York Times fin février 2020 pour la sortie « pré-Covid 19» de The Invisible Man.
D’une évidente humilité, Elisabeth Moss s’estime « chanceuse » qu’on lui offre ces personnages nuancés plutôt que les unidimensionnelles « girlfriends », « femmes de », voire « mère de » qui peuplent encore les blockbusters et la télé mainstream.
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Cette California Girl, élevée dans les canyons « arty » de L.A., précise sa volonté de conjuguer, dans tous ses choix, « fun » et exigences personnelles. Un instinct sûr, et une boussole pour ne jamais perdre le Nord de la qualité. « Je gravite d’abord vers les meilleurs scénarios. Premier ou second rôle, seule l’écriture compte. Et si je me mets inconsciemment à répéter les dialogues dans ma tête, c’est déjà bon signe » a-t-elle avoué au Guardian en février dernier. Celle qui, après US, avait envie, « d’être la fille du film d’horreur qui s’enfuit en hurlant » a aussi accepté The Invisible Man pour la force de son message : « J’ai adoré le regard neuf que portait Leigh Wannell sur cette histoire, déjà adaptée plusieurs fois à l’écran (la dernière en date Hollow Man de Paul Verhoeven, avec Kevin Bacon, date de 2000, ndlr): qu’elle soit racontée du point de vue d’une victime. Tellement d’actualité ! » s’enthousiasmait-elle.
Bombardée « actrice féministe » dès 2017 « Queen Elisabeth » assume totalement son statut et en joue.
Bombardée « actrice féministe » dès 2017 « Queen Elisabeth » assume totalement son statut et en joue. Elle l’a mérité, avec trois séries magistrales, et les récompenses qu’elles lui ont rapportées (trois Golden Globes, Un Emmy) : Inspectrice de police de la brigade des mineurs hantée par ses démons d’abus sexuel dans Top of Lake, petite secrétaire timorée brimée par des machos, devenue publicitaire et « directrice de créa » redoutable dans Mad Men ; femme asservie, violée et torturée entrée en résistance dans l’enfer dystopique de Handmaid’s Tale, dont elle est aussi productrice…
Après l’icône féministe Peggy Olson, clope au bec, sourire en coin et lunettes de soleil parée pour de nouvelles aventures dans le dernier épisode de la Mad Men, en 2015, Elisabeth a réussi à créer une nouvelle symbolique, emblème de toute une génération : le costume de son personnage de servante écarlate, oppressée par l’ordre patriarcal, endossé à maintes reprises par des manifestantes, notamment pour le maintien du droit à l’avortement dans certains états des Etats-Unis, et dans le monde. Son rôle de productrice et tête d’affiche de The Handmaid’s Tale, « Lizzie » le prend très au sérieux. « La montée des extrémismes, la fin de nos libertés individuelles…Nous abordons des sujets de réelles inquiétudes, universelles. Si nous avons offert des instruments de résistance en cette période troublée, c’est le rôle le plus fantastique qu’une fiction puisse jouer », nous expliquait-elle sur le tournage, à Toronto, de la saison 3 de la série.
Actrice de composition, comme son idole Meryl Streep, elle n’aime rien de plus que s’effacer derrière les mots et émotions des autres.
Son éthique de travail fascine l’équipe : « Elle est de beaucoup de scènes, mais certains jours, elle est de chaque plan » observait Bruce Miller, le créateur de La Servante…. « Toutes les pensées et émotions d’Elisabeth transparaissent sur son visage. On vit la série au travers d’elle. On ne perd pas espoir tant qu’elle tient bon », rappelait-t-il. Une performance hallucinante, sans une once de vanité, son autre « marque de fabrique ».
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Actrice de composition, comme son idole Meryl Streep, elle n’aime rien de plus que s’effacer derrière les mots et émotions des autres. Jouer la comédie, un « hobby » qu’elle a exploré dès l’âge de 8 ans en parallèle de sa pratique de la danse classique, notamment à la prestigieuse School of American Ballet de New York, s’est mué en « évidence » quand elle avait 10 ans. « En tournant Imaginary Crimes avec Harvey Keitel, que j’ai réalisé que j’aimais vraiment le métier », se souvient-elle. On a connu pire révélateur !
Elisabeth grandit donc sur les plateaux, et perce à 17 ans dans la série A la Maison Blanche, d’Aaron Sorkin, scénariste aux dialogues ciselés (The Social Network) qui lui donnent le goût, déjà, de la télé « qui fait penser » et des personnages féminins « disruptifs ». Elle côtoie Winona Ryder et Angelina Jolie dans Une Vie Volée puis Natalie Portman et Susan Sarandon dans Ma mère, moi et ma mère.
« J’aime les héroïnes capables de se défendre par elles-mêmes »
« J’aime les héroïnes capables de se défendre par elles-mêmes », admet l’anti-star qui incarnait en 2017 la journaliste plus que libérée de The Square, de Ruben Östlund, Palme d’Or du festival de Cannes. Encore un choix de « s’éclater sans limites » dans son métier. Et d’en explorer toutes les possibilités. On l’imagine comme ses personnages-phares, torturée et sombre, hantée par eux. Il n’en est rien.
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Son film préféré ? Quand Harry Rencontre Sally, de Rob Reiner, co-écrit avec Nora Ephron ! Solaire et légère de nature, Elisabeth s’est essayée de l’être sur grand écran cette année, en enchaînant deux comédies : forcément décalée, au sein du casting 4 étoiles de The French Dispatch de Wes Anderson en salles le 14 octobre et résolument déjantée avec Next Goal Wins de Taika Waititi (Jo Jo Rabbit) aux côtés de Michael Fassbender. En attendant le rôle de « méchante de film de super-héros » qu’elle compte bien ajouter « un jour » à son C.V. d’anti-star multi-carte.