Depuis près de 50 ans, Dario Argento, le réalisateur de la première version de Suspiria, filme avec raffinement des tueurs masqués qui tailladent de belles jeunes femmes. Portrait d’un esthète de l’horreur qui a malheureusement sombré dans la ringardise.
Par Marc Godin
Deux yeux très noirs enfoncés au fond de leurs orbites, une coupe au bol monastique pour masquer une calvitie galopante, le teint blafard, Dario Argento n’est plus le jeune homme en colère du cinéma italien, le cinéaste rock-star célébré par tous les fondus d’horreur.
Pourtant, Dario Argento, 78 ans cette année, met encore en scène des tueurs gantés de cuir noir, masqués, qui massacrent à l’arme blanche de jolies jeunes filles sans défense, même si son dernier film, le calamiteux Dracula, en 3D, remonte à six ans !
« J’aime les femmes, spécialement les belles femmes. Si elles ont un beau visage et un beau corps, je préfère les voir se faire tuer elles plutôt qu’une fille laide ou un homme. Je n’ai certainement pas à me justifier envers quiconque de cela. Je me moque de ce que les gens en pensent. »
Il est capable de planter le journaliste venu l’interviewer au bout de deux questions. Puis de lui serrer la main, dix minutes plus tard, en lui assurant que c’était le meilleur entretien qu’il ait donné depuis longtemps
DANIA NICOLIDI DANS TENEBRES – 1983
Pape de l’horreur « opératique », Dario Argento est imprévisible. Venu à Paris pour un hommage à la Cinémathèque française, il est capable de planter le journaliste venu l’interviewer au bout de deux questions. Puis de lui serrer la main, dix minutes plus tard, en lui assurant que c’était le meilleur entretien qu’il ait donné depuis longtemps (véridique, cela m’est arrivé). Les lauriers sont arrivés trop tard… De fait, il a commencé à être reconnu en France il y a une vingtaine d’année, s’étalant dans les pages de Libération ou des Inrocks, recevant des hommages dans les Cinémathèques du monde entier, alors que son cinéma périclitait (son dernier bon film, Ténèbres, remonte à… 1982).
Il était une fois… un oiseau de cristal
Fils du célèbre producteur italien Salvatore Argento et d’un mannequin brésilien, Dario débute en tant que critique cinéma dans les colonnes du quotidien communiste Paese Sera. Il collabore ensuite à divers scénarios tels Une corde, un colt, cinq hommes armés, Probabilité zéro, et signe avec Bernardo Bertolucci le scénario de Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. Sa carrière est sur orbite…
Dans ce thriller horrifique, il décrit le parcours d’un jeune écrivain qui, témoin impuissant d’un crime, devient le suspect numéro un avant d’être harcelé par le dément.
En 1969, il passe à la mise en scène avec L’Oiseau au plumage de cristal, hommage tant à la littérature policière de gare (appelée « Giallo » en Italie) qu’au cinéaste Mario Bava. Dans ce thriller horrifique, il décrit le parcours d’un jeune écrivain qui, témoin impuissant d’un crime, devient le suspect numéro un avant d’être harcelé par le dément qui continue ses méfaits sans raisons apparentes.
Le film contient en germe les bases du cinéma d’Argento : la mise en image de nos cauchemars et de nos fantasmes les plus inavouables. Grâce à une mise en scène au rasoir, Argento brouille les pistes, alterne rebondissements, faux semblants et séquences macabres où de belles romaines se font taillader le visage ou le corps par un maniaque masqué.
LES FRISSONS DE L’angoisse – 1975
Le succès est immédiat et Dario Argento continue son exploration du giallo, mi-polar, mi-horreur, avec des films labyrinthiques : Le Chat à neuf queues et Quatre mouches de velours gris, avec notre Jean-Pierre Marielle national. Après un passage par la comédie et un projet avorté sur Frankenstein transposé à l’époque du Troisième Reich, il revient au thriller baroque avec Les Frissons de l’angoisse (Profondo Rosso, 1975), considéré par beaucoup comme son meilleur film.
Une nouvelle fois, un tueur se déchaîne sur ses victimes, les plaies déversent un sang trop rouge. Dans l’ombre, Argento manipule, joue sur la réalité et l’illusion (comme dans L’Oiseau au plumage de cristal ou plus tard Suspiria, Trauma), se délecte avec des cadrages bizarres, des effets de zooms invraisemblables, et ouvre sur le surnaturel.
A Los Angeles, un admirateur le menace de mort au téléphone, imitant la voix doucereuse des maniaques de ses films.
C’est à cette époque qu’il va devenir un réalisateur culte en Italie, une star fêtée par des milliers de fans. Une célébrité parfois difficile à porter. A Los Angeles, un admirateur le menace de mort au téléphone, imitant la voix doucereuse des maniaques de ses films. A Rome, un barbu se fait passer pour lui, et l’attend devant sa demeure avec un grand bâton…
La décade prodigieuse
En 1977, Dario Argento entame la seconde partie de sa carrière avec Suspiria. Il délaisse le giallo classique et se lance dans un délire esthétisant chic et choc où des sorcières se déchaînent et persécutent la fragile Jessica Harper (Phantom of the Paradise) dans une académie de danse.
D’inspiration fantastique, Suspiria fonctionne comme une catharsis où les meurtres délirants (aveugle égorgé par son propre chien, coups de couteau dans un cœur frémissant…) sont noyés sous des néons rouges, bleus, (« des couleurs inspirées par les contes de fées de mon enfance et Blanche Neige et les sept nains de Walt Disney »), sublimés par une mise en scène lyrique et bercés par de la musique rock.
jessica harper dans suspiria – 1977
Après ce chef-d’œuvre barbare, Argento coproduit et s’occupe du montage européen de Zombie, un classique du gore signé George A. Romero, avant de passer à Inferno où il délaisse complètement la narration classique pour un voyage hypnotique au pays de l’inconscient et de la peur. La magie de ce film, qui n’est que couloirs, portes dérobées et escaliers vers l’enfer, est totale. C’est clair, Dario Argento imprime ses rêves, ses cauchemars, sur pellicule.
« Le mécanisme de Ténèbres est celui d’une messe noire, d’un rite antique. Tu y fais le sacrifice de toi-même et la face noire de ton être est sacrifiée au terme de la cérémonie. A ce titre, Ténèbres est le plus bel exorcisme que j’ai jamais mis en scène. » Dario Argento
Il revient au “ giallo ” avec Ténèbres (1982) et situe son film à Rome, dans des appartements ultramodernes, immaculés, baignés de lumières froides. Exit les sorcières, les monstres et les alchimistes fous, place au noir et blanc, à la folie, aux névroses liées au sexe, aux démons intérieurs, avec des meurtres très érotisés. « Le mécanisme de Ténèbres est celui d’une messe noire, d’un rite antique. Tu y fais le sacrifice de toi-même et la face noire de ton être est sacrifiée au terme de la cérémonie. A ce titre, Ténèbres est le plus bel exorcisme que j’ai jamais mis en scène. »
Argento et son double
Dario Argento produit Démons I et II de Lamberto Bava (du gore pas très inventif sur fond de hard rock) et réalise son premier film en anglais, Phenomena, où il greffe un élément surnaturel (une jeune fille communique par télépathie avec les insectes) à sa sempiternelle histoire de psycho-killer (un maniaque masqué tue les jeunes filles dans la “ Transylvanie suisse ”).
JENNIFER CONNELY DANS PHENOMENA -1985
Pas vraiment convaincant ! En panne d’inspiration, Argento va enchaîner une série d’œuvres bancales, indignes de son talent : Opéra (1988), Deux yeux maléfiques (1990), d’après Edgar Poe, ou le calamiteux Trauma (94), interprété par sa fille, la belle Asia Argento. Le public se lasse, les grands studios américains qui voulaient le prendre sous contrat l’abandonnent et ses films ne sont même plus distribués en France.
En 1996, ultime sursaut avec Le Syndrome de Stendhal, film malade, vénéneux, toujours interprété par Asia, qui se balade au milieu des peintures de Botticelli. « Ce film m’a permis de faire autre chose qu’un thriller rationnel tout simple. Il m’a permis de tourner un film sur un phénomène qui agit mystérieusement, inexplicablement sur l’âme humaine, qui la change du tout au tout.
Par l’intermédiaire du Syndrome de Stendhal, je reviens au genre de mes débuts. A une différence près, ici, je révèle immédiatement ou presque l’identité du tueur. Ce n’est pas une maladresse, mais quelque chose d’intentionnel, de réfléchi. Plus l’action progresse, plus les choses s’avèrent moins simples qu’elles paraissaient l’être au départ. J’ai choisi de raconter ainsi l’histoire afin de jouer avec la psyché des personnages, pour mieux surprendre, pour mieux manipuler le spectateur. »
« J’ai peur de devenir fou. Que mes rêves me rattrapent. » Dario Argento
Reconnu dans le monde entier, Dario Argento sort en 1999 un de ses plus mauvais films, Le Fantôme de l’Opéra, pourtant co-écrit avec Gérard Brach, ancien scénariste de Polanski. Un monument de kitsch et de ringardise. Argento bégaie, Argento doute, Argento a peur.
Celui qui filme depuis toujours ses propres démons assure, tel un schizophrène, qu’il cohabite avec un double qui lui souffle ses scénarios et qu’il laisse dans l’obscurité de ses cauchemars. Et lâche : « J’ai peur de devenir fou. Que mes rêves me rattrapent. » Le reste est une longue et pénible descente aux enfers de la ringardise, avec des films ratés comme Card Player, Mother of Tears, Giallo ou Dracula 3D. Du nanar plaqué or… De plus, son cinéma a très mal vieilli (impossible de regarder Inferno, qui vient de ressortir en Blu Ray, sans ricaner) et seul ses premiers films – dont Profondo Rosso et Suspiria – tiennent encore la route.
Si Argento n’a plus rien à dire, il a néanmoins publié récemment ses mémoires, Peur (Editions Rouge profond), un véritable supplice pour le lecteur et/ou le fan. Cette autobiographie est plutôt passionnante au début avec l’enfance du maestro du giallo, puis très vite, c’est le grand vide.
Argento n’a pas grand-chose à dire sur ses films ou leurs tournages (sur Opéra, il ne parle quasiment que des corbeaux), rien sur la médiocrité de son cinéma depuis une quarantaine d’années (en fait, les spectateurs ne comprennent pas ses derniers films).
Alors il parle de Rome ou de Turin, de ses filles, des femmes (« Si je tue plus de femmes dans mes films, c’est que je les aime davantage »), évoque très brièvement la drogue (il fume tous les jours, on s’en serait douté), alors qu’il a une réputation de junkie… Mais à chaque fois, de façon très anecdotique, et jamais sincèrement…
Et de conclure avec cette banalité : « Je n’ai qu’une certitude. Tant que là-dehors se trouvera quelqu’un à qui faire peur, je pourrai me considérer comme un homme heureux. »
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