Article publié le 26 janvier 2018, et mis à jour le 24 janvier 2020.
Après avoir enfilé pour la première fois, le costume de 007 en 2006 pour Casino Royale, Daniel Craig l’a gardé pour Quantum of Solace en 2008, Skyfall en 2012 et Spectre en 2015. Alors que les rumeurs vont bon train concernant son remplaçant au MI6 après Mourir peut attendre, réalisé par Cary Joji Fukunaga, et que de son côté, il se prépare un nouvel avenir, il était temps de faire un « bond » en arrière sur la carrière du 007 bientôt retraité.
Par Benjamin Cuq
Le 14 octobre 2005, la vie de Daniel Craig a basculé. L’acteur anglais vaguement connu à l’époque pour avoir joué dans quelques productions européennes (dont Obsession (Berlin-Niagara), avec Charles Berling en co-vedette) et moult troisièmes rôles dans des blockbusters américains (Les Sentiers de la perdition, Lara Croft ou Munich) allait devenir l’une des plus grandes stars au monde : Eon Productions et Barbara Broccoli l’annonçaient dans les pompes cirées du prochain épisode de James Bond.
Comme d’habitude, les prétendants au rôle se sont bousculés. Mais comme d’habitude, c’est celui qui n’était candidat à rien qui est finalement devenu 007. Dans la short-list, figuraient deux autres noms d’acteurs britanniques : Christian Bale et Clive Owen. Le premier, Gallois, allait s’embarquer dans une autre aventure de héros avec Batman. Qui plus est, avec le tact qu’on lui prête, Bale fit savoir qu’à ses yeux « Bond est le personnage qui réunit les plus odieux clichés sur l’Angleterre ». Il mit une fin de non-recevoir en précisant aux producteurs : « J’ai déjà joué un tueur en série » (cf. Patrick Bateman dans American Psycho). L’Anglais Clive Owen semble également avoir tenu la corde. Mais il apparaissait comme un peu trop subtil et pas assez physique pour le style qu’Eon Productions voulait donner au James Bond des années 2000.
C’est donc un autre Anglais qui a été retenu : Daniel Craig. Le premier depuis Roger Moore. Il vient alors de connaître un petit succès avec un polar dans lequel il joue un dealer, Layer Cake. Comme à chaque fois, les producteurs choisissent un comédien suffisamment connu pour être légitime, mais suffisamment méconnu pour être économique et, surtout, pour qu’il ne vampirise pas le personnage. C’est James Bond la star, l’acteur qui le joue n’est qu’accessoire au final.
Il faut dire qu’à 50 ans, l’Irlandais Pierce Brosnan et son brushing impeccable venait de prendre un méchant coup de vieux face à l’arrivée de nouveaux agents secrets tous plus musclés et virils les uns que les autres.
une de ses premières apparitions au grand écran dans the mother de roger mitchell en 2004 © DR
Avec Daniel Craig, l’Anglais, Barbara Broccoli voulait réaliser un retour aux sources. Il faut dire qu’à 50 ans, l’Irlandais Pierce Brosnan et son brushing impeccable venait de prendre un méchant coup de vieux face à l’arrivée de nouveaux agents secrets tous plus musclés et virils les uns que les autres : Vin Diesel dans xXx, Matt Damon dans Jason Bourne. Sans oublier que question gadgets high-tech, Tom Cruise s’est joint à la fête et a explosé le box-office avec la série des Mission : Impossible. Autant vous dire que
James Bond, avec ses accessoires de beauf, ses copines pétasses et ses « vannes а deux balles » avait du plomb dans l’aile !
Alors que faire ? Pourquoi ne pas tenter le reboot ? En clair : on prend les même et on recommence. La réalisation est confiée à Martin Campbell. En 1995, c’était lui qui avait déjà « ressuscité » James Bond – après huit ans d’absence – avec GoldenEye (360 millions de dollars au box-office mondial).
Pour le scénario, c’est le tandem éprouvé Neal Purvis / Robert Wade qui s’y colle. Les deux sont les fiers paternels des opus Le Monde ne suffit pas et Meurs un autre jour. Pour la nouveauté, on leur adjoint le Canadien Paul Haggis. Scénariste de Million Dollar Baby et de Collision pour lequel il reçut l’Oscar en 2004, le pépère est en charge de donner de l’épaisseur à Bond. Ce sera fait.
Colm Meaney, Daniel Craig et George Harris dans layer cake de mathew vaugh en 2005( © DR
James Bond est un voyou, une brute chargée d’exécuter les basses œuvres.
Quand sort Casino Royale le 22 novembre 2006 (soit quasiment onze mois après que Daniel Craig soit annoncé), c’est la stupéfaction dans le public : James Bond est un voyou, une brute chargée d’exécuter les basses œuvres. Le film commence à Prague où il n’est même pas encore un agent 00, le code bénéficiant du « permis de tuer ». Le muscle épais, James Bond ressemble plus à un champion de culturisme russe piqué aux anabolisants qu’à un élégant commander de la marine britannique (capitaine de frégate chez nous). Craig ne possède plus rien des attributs habituels de Bond.
007 roule en Ford de location. Son Aston Martin DB5, il la gagne au poker. Il ne sait pas choisir un costume puisque c’est sa fiancée, Vesper Lynd (Eva Green), qui lui achète « un smoking digne de ce nom ». Quant à son fameux cocktail vodka-Martini réalisé « au shaker et non pas à la cuillère », il envoie carrément balader le serveur qui le lui propose préparé de cette manière. Pendant quarante ans, beauf consumériste qui se passionnait pour les gadgets à la con et qui balançait au choix des blagues salaces ou carrément racistes (il faut revoir la période Roger Moore), James Bond – sous les traits de Daniel Craig – est maintenant un être sensible à défaut d’être subtil.
Sans compter que pour la première fois en 21 films, l’indestructible agent secret souffre et saigne. Il s’en prend même « plein la gueule » – et surtout « plein les couilles » – puisque Le Chiffre attente à sa virilité à coup de corde à nœuds. Au final, Bond se retrouve à l’hôpital en Suisse comme n’importe quel type normal qui aurait subi un écrasement des testicules après avoir fait sept tonneaux avec son Aston Martin.
avec le grand méchant javier barden dans skyfall de sam mendes en 2012 © DR
Avec Daniel Craig, James Bond est revenu а la base de ce qu’il est : un agent secret qui fait son boulot sans états d’âme dans l’unique intérêt de la couronne britannique.
Les fans tendance geek hurlent alors au crime. « James Bond est mort. Vive James Bond ! » répondent les millions d’autres qui se ruent dans les salles. Au total, Casino Royale réalise près de 600 millions de dollars de recette au box-office. C’est 240 de plus que GoldenEye. Et tout ça sans le moindre gadget.
Avec Daniel Craig, James Bond est revenu а la base de ce qu’il est : un agent secret qui fait son boulot sans états d’âme dans l’unique intérêt de la couronne britannique. C’est ainsi qu’il était décrit par son auteur, Ian Flemming, qui avait imaginé un homme sans vie ni passé (son père écossais et sa mère suissesse sont censés être morts dans un accident d’alpinisme alors qu’il est enfant), un soldat avec un fort penchant pour la bagarre, les femmes et l’alcool.
Si James Bond ne sert que les intérêts de sa Gracieuse Majesté, il le fait maintenant avec une dose d’éthique. L’époque où il se comportait pire qu’un soudard envoyé aux colonies est révolue. Il ne cherche pas à avoir de bonnes manières avec les puissants qu’il les zigouillera à la fin du film. Dans Quantum of Solace, il ne sollicite pas l’amitié du méchant joué par Mathieu Amalric. Ses enjeux sont moins la grandeur de la Couronne que l’intérêt général et, pour le coup, que les Sud-Américains n’aient pas un nouveau dictateur qui les fera crever de soif.
Chaque nouvel acteur qui incarne le personnage est automatiquement confronté à Sean Connery, mètre étalon de la mythologie James Bond. Daniel Craig adepte de la salle de muscu quotidienne (1 heure par jour) se rapproche en cela de l’ancien culturiste, Sean Connery. Mais avec l’Aston Martin DB5 et le costume trois-pièces gris, la comparaison s’arrête là.
daniel craig et léa seydoux dans spectre de sam mendes en éà&( © dr
Il sourit presque aussi souvent que Vladimir Poutine auquel il ressemble vaguement. C’est tout dire.
Avec Roger Moore, hormis la nationalité anglaise, Daniel Craig ne semble absolument rien partager. Sous son ère, James Bond n’a plus aucun humour, plus aucune distance vis-à-vis des événements qui lui arrivent. Il sourit presque aussi souvent que Vladimir Poutine auquel il ressemble vaguement. C’est tout dire. Interrogé au sujet de son livre Bond on Bond (sorti au Royaume-Uni pour les 50 ans du héros au cinéma) Roger Moore a d’ailleurs déclaré : « Daniel Craig est sans aucun doute le meilleur des Bond. J’ai adoré Casino Royale même si j’ai trouvé que le film manquait vraiment d’humour. »
De la même manière, Bond à la sauce Craig n’est plus un « séducteur ». Le beauf qui, sans gène, tripotait sa secrétaire gloussant comme une dinde est aux oubliettes. Il drague de manière franche, directe et égalitaire. Et si ce n’est pas lui qui prend les choses en mains, c’est la James Bond Girl. Mais tout chargé en « viriline » qu’il soit, Daniel Craig ne peut plus jouer les « serial fucker ».
Aussi bien dans Casino Royale que dans sa suite immédiate, Quantum of Solace, James Bond porte la mort pour les femmes. Daniel Craig n’est pas là pour faire le beau ou le joli cœur. C’est un héros solitaire. Aucune des trois femmes avec lesquelles il couche ne lui survit.
Pour arrêter le massacre, il abandonne la dernière de ses conquêtes (Olga Kurylenko) dans un bled paumé de Bolivie avec juste de quoi se payer un billet de train. Et encore, c’est elle qui lui vole un baiser. Là encore, on est très, très loin des moments où Roger Moore s’en allait sa dulcinée contre son torse dans la navette de secours de la base secrète du méchant communiste qui voulait déclencher la troisième guerre mondiale.
dans millenium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes de david fincher en 2012 © Sony Pictures Releasing France
La carrière de Daniel Craig a de fortes chances d’évoluer. Contrairement aux autres acteurs qui ont incarné 007, le comédien britannique n’est pas totalement « bondifié »
Dans Skyfall, c’est le retour de l’agent Q. On le découvre remettant à Bond un pistolet Walther PPK à signature palmaire (seul celui qui a enregistré ses empreintes peut l’utiliser). Un flingue qui n’est pas d’une nouveauté tordante puisque Timothy Dalton utilisait, déjà, un système identique dans Permis de tuer. Face à cet indice, nous sommes donc en droit de dire que la recette ne devrait pas trop changer. James Bond ne devrait sans doute pas, de nouveau, faire exploser la base secrète invisible depuis l’espace d’un maboule qui détient un rayon laser.
En revanche, la carrière de Daniel Craig a considérablement évolué. Contrairement aux autres acteurs qui ont incarné 007, le comédien britannique n’est pas totalement « bondifié ». Avant de décrocher en 1987 un Oscar pour Les Incorruptibles, Sean Connery a joué dans quelques bons films (L’Homme qui voulu être roi ou Le Nom de la Rose). Mais il a aussi cumulé les films alimentaires et quelques nanars mémorables comme Zardoz ou Meteor. Roger Moore idem… en pire. Depuis Dangereusement vôtre (son dernier Bond), il s’est retiré à Monaco et a accumulé, avant son décès le 23 mais 2017, les navets ou les apparitions dans des téléfilms allemands.
George Lazenby a, quant à lui, écumé les apparitions dans des séries cheap entre deux conventions de fans. Il a également été Mario, le vieux beau récurent du remake d’Emmanuelle pour M6. De son côté, Timothy Dalton connaît une carrière après Bond à l’image du Bond qu’il a été : sans grand relief. Enfin Pierce Brosnan rame… Depuis vingt ans, il enchaîne les bides et les seconds rôles. Et quand un film fait un tabac comme Mamma Mia !, ce n’est pas sur son nom. Dur.
Reste Daniel Craig… James Bond lui a offert une célébrité mondiale. Il a su capitaliser dessus avec de vrais films comme Invasion ou Les Insurgés. David Fincher oblige, Millenium a même réussi à être un blockbuster tout en étant un grand film.
Quant à sa jolie prestation dans le rôle du détective Benoit Blanc pour A Couteaux Tirés, de Rian Johnson, elle sous-entend que, vu le succès considérable et inattendu du film, Craig a définitivement remisé son costume de 007 au placard, au profit d’un « après Bond », qui se dessine sous les meilleurs auspices.