Ringo Lam est mort : 2018, année assez merdique pour tous, s’éteint sur cette mauvaise nouvelle cinéphilique. Retournons-nous sur 52 semaines de films où tout n’est évidemment pas à jeter.
Par Jean-Pascal Grosso
01 – Battleship Island
Parce que le cinéma c’est aussi – voire surtout- un gros plaisir gourmand d’images et de récits touffus, saluons cette merveille épique d’une Corée qui parvient toujours à surprendre sur un marché asiatique dominé par la Chine et artistiquement de plus en plus exsangue. Une galerie fouillée de personnages – un musicien fantasque désespérément attaché au bonheur de sa fille, un gangster au grand cœur… – tente de s’échapper d’une île-prison (bien réelle) tenue par les Japonais. Battleship Island se termine sur un hommage à Sergio Leone beaucoup plus probant et bandant que les habituelles circonvolutions tarantiniennes.
02 – Leto
Fascinante cette plongée presque archéologique dans la scène rock soviétique pré-glasnost. Sur plus de deux heures qui passent à vitesse grand V, hirsute, rebelle, poétique, dramatique, le film de Kirill Serebrennikov bat le rappel pour une histoire si proche et déjà si lointaine où la moindre chanson était sous contrôle d’un état policier. Ses héros, néanmoins, vivent, aiment, créent. D’une grande beauté électrique, Leto n’a malheureusement rien pu faire, en cette époque de bontés plastiques, face à la mièvrerie passe-partout d’Une Affaire de famille dans la course à la Palme d’or. Et c’est bien dommage.
A lire : notre critique de Leto ici
03 – Le Poulain
Exercice hautement difficile, la comédie a tendance, en France, à engraisser des producteurs plus calculateurs que bosseurs. Même avec Alexandra Lamy (sa meilleure prestation à ce jour probablement), Le Poulain n’a pas trouvé son public et c’est – amèrement – bon signe. Vif, drôle, incisif, il se risquait à la critique casse-gueule du monde de la politique et y brillait tel un désopilant jeu de massacre à la foire (d’empoigne). Tout y est bon : de Finnegan Oldfield, initié au genre en assistant aux premiers pas maladroits, à Gilles Cohen excellent dans la peau d’un politicien ultra-sensible. Mais voilà : le public avait déjà marché dans Les Tuche 3… Fatalitas !
04 – Les Confins du monde
Rien de gratuitement viril – n’en déplaise à certains critiques qui n’y ont vu, honteux alléchés, qu’une succession de vits – dans le film de Guillaume Nicloux. Les Confins du Monde, ce n’est pas un Rambo franchouillard au Tonkin mais la dérive d’un homme seul se muant soldat d’élite par désir de vengeance et le désenchantement. Charnel, sanglant, carnivore, ses chairs y sont brûlées au feu des passions des bordels et sous celui de l’ennemi, implacable, introuvable. Gaspard Ulliel y est inspiré. Guillaume Gouix campe un second déchirant. Un grand film de guerre, c’est à dire à hauteur d’homme et qui ne fait, finalement, que parler d’autre chose.
A lire : notre critique des Confins du Monde ici
05 – La Prière
Enfiévré, le film de Cédric Khan commence par la révolte brutale d’un gamin désœuvré (Anthony Bajon, explosif, et véritable crème dans la vie). De son parcours spirituel détaillé avec humanité et minutie, il reste, chez le spectateur, un sentiment fort, qui évite les clichés, les réflexes d’anticléricalisme qui font toujours cyniquement recette au cinéma. La Prière parle de foi sans virer ni à la raillerie facile ni à l’apologie forcenée. Film plein, intense, tranche de vie d’une jeunesse en quête d’absolu et qui finira par le trouver en se fiant, comme toujours, à ses propres choix.
06 – Oh, Lucy !
Une vieille fille japonaise s’éprend du bel Américain qui lui donne des cours d’Anglais dans le cadre bizarre d’une boîte de nuit tokyoïte… Oh, Lucy !, qui doit beaucoup à la présence à son affiche de Josh Hartnett (sans oublier le délicat Koji Yakusho), laisse un souvenir tenace d’après-projection. Conte de la solitude moderne entre le Japon et l’Amérique, au carrefour des ratés, des mal-aimés, son histoire enchante autant qu’elle attriste, dans la quête désespérée de ses personnages à s’arracher le moindre lambeau de bonheur. Et la poésie, comme le drame, débarque là où on ne l’attend pas.
07 – L’Amour est une fête
D’accord, pas un chef-d’œuvre et le tandem Canet/Lellouche, encore faut-il se le coltiner sans se demander si on n’est pas là à regarder, un molasse dimanche après-midi, Drucker de son salon. Mais L’Amour est une fête n’est pas dénué de charme. Cette apologie tout à fait décomplexée du porno de papa des années 70/80, mâtinée d’une intrigue policière dont on finit par se ficher très vite, séduit à force d’humour, de la truculence de ses personnages et de la performance de ses comédiennes sur tous les plans irréprochables. Cela donne un esprit à la fois étrangement égrillard et nostalgique maîtrisé par un Cédric Anger arrivé à maturité. Qui plus est, les bigotes du néo-féminisme sur internet ont détesté : bon point !
08 – Dogman
Si l’obsession de Matteo Garrone pour les architectures post-apocalyptiques comme extirpées d’un nanar de Sergio Martino peut d’office énerver, l’humanité de ses personnages, ses pupetti dans un théâtre de ferrailles, de murs délavés, de gravas industriels, prend vite le dessus. Chronique âpre, sociale, politique, Dogman est la mainmise sur un fait-divers par un réalisateur dont on continuait à attendre, dix ans après Gomorra, le meilleur. Il revient au mieux de sa forme dans ce film d’une noirceur exemplaire soutenu par un casting de tronches idéales – et pas seulement celle de l’atypique Marcello Fonte.
09 – The Rider
Plus vrai que nature ce portrait d’un champion de rodéo déclassé qui porte sa famille à bout de bras sous la caméra sensible et sincère de Chloé Zhao. The Rider restera comme un de ces « petits » films au très grand cœur, beau moment d’émotion de l’année 2018. Et Brady Jandreau, martyr à Stetson, révélé ici en acteur épatant, est aussi noble et généreux dans la vie qu’il l’est à l’écran. Chapeau !
10 – Phantom Thread
Du plus talentueux des cinéastes américains actuels – au risque de finir par se regarder filmer -, Phantom Thread est un film beau – qui a dit chiant ? – comme un voyage en Pulman. Du cinéma de première classe dont on ne sort finalement pas si épâté que ça tant on a notion des talents presque infinis de son réalisateur. En reste une scène magnifique, tout en non-dit, un silence réconciliateur entre les deux personnages principaux, qui suit une scène de beuverie mondaine. Une composition de haut-vol qui se devait de figurer dans ce « top dix ».
a lire : notre critique de phantom thread ici