Photo de couverture © tinseltown
Consacrée aux derniers Oscars, Jessica Chastain occupe une place de choix dans le circuit hollywoodien : celle de la star à la fois classy et sexy, intello et populaire. Retour sur un parcours hors normes et flamboyant qui cache toutefois des failles et un douloureux secret de famille
Par Sylvain Monier
La cérémonie des Oscars marquée par le soufflet irréel de Will Smith infligé à Chris Rock aura un peu éclipsé le palmarès dont celui de la meilleure actrice, décerné à Jessica Chastain pour Dans les yeux de Tammy Faye de Michael Showalter.
Dans ce (vrai) biopic l’actrice y incarne une télé évangéliste-chanteuse accusée d’escroquerie et de détournements de fonds dans les années 80. Méconnaissable sous un maquillage semi-permanent outrancier, Jessica Chastain y compose une performance de haute volée en femme freaky-flippante-attachante emblématique d’une époque et d’une certaine Amérique ici parfaitement restituée – la production design dans son souci de redonner vie aux années 80 est ici carrément bluffante.
Objet de moquerie par les comiques-présentateurs de talk-shows de l’époque, Tammy Faye va surprendre tout le monde en se révélant l’une des premières célébrités à s’engager auprès des malades du Sida. D’où une vision du personnage entre satire et humanisme portée par une Jessica Chastain particulièrement inspirée et empathique vis-à-vis de son héroïne.
Sur la scène des Oscars ce soir-là, Chastain rendait hommage aux gens isolés pendant la pandémie, aux exclus en général, à la communauté gay et à ceux qui se sont suicidés en particulier. Des mots qui font vrais et pas dans le « look good » quand on connaît l’histoire intime de cette comédienne surdouée.
On est en juin 2003, Jessica Chastain, 26 ans, est à 3 jours de l’obtention de son diplôme de la Julliard School, la prestigieuse école de musique et de théâtre new-yorkaise. Intégrer cette institution, elle en rêvait depuis l’âge de huit ans, quand sa grand-mère Marylin l’emmena au théâtre pour la première fois.
Dès le début, les dirigeants de l’école ont tout de suite cru au talent de cette rousse au teint de porcelaine dotée d’un sourire éclatant à la Julia Roberts.
Aussi, devenir sous peu lauréate de la Julliard School, c’est une forme d’aboutissement pour la jeune comédienne. Dès le début, les dirigeants de l’école ont tout de suite cru au talent de cette rousse au teint de porcelaine dotée d’un sourire éclatant à la Julia Roberts.
A l’examen d’entrée, l’actrice a choisi d’interpréter le monologue de Juliette où l’amoureuse éperdue se languit de la présence de Roméo. A la surprise générale, Chastain décide de jouer à fond les ballons sur la charge sexuelle de la situation en incarnant une Juliette en mode ado de 14 ans en sueur à la perspective de perdre sa virginité.
Risqué mais payant à l’arrivée puisque c’est elle qui bénéficiera d’une bourse financée cette année-là par Robin Williams, l’un des célèbres anciens élèves. Tous les voyants sont au vert et l’avenir semble radieux pour cette apprentie-actrice un peu anxieuse de nature mais néanmoins sûre d’être la bonne personne à la bonne place…
Las, une terrible nouvelle va brutalement obscurcir son champ de vision : Juliet, sa sœur cadette âgée de 24 ans, s’est suicidée d’un coup de pistolet. Quand elle apprend cela, le sol semble se dérober sous les pieds de Jessica. Elle sait que Juliet a toujours été la plus fragile des deux, qu’elle a connu des problèmes avec la drogue et bataillait depuis 10 ans contre la dépression… « Elle avait fait plusieurs tentatives de suicide mais vous ne pensez jamais que ça va arriver même si au fond de votre esprit vous savez que ça va arriver », déclarera Jessica à People Magazine en 2016, deux ans après un autre suicide marquant : celui de son parrain dans le métier, Robin Williams. Deux morts tragiques qui agissent comme un fatum.
Jessica Chastain est une enfant d’adolescents, Michael Monasterio et Jerri Chastain étant encore lycéens quand leurs deux filles sont nées. Papa est musicien de rock tendance glam-metal à la Mötley Crüe et son style de vie ne va pas cadrer avec la vie de famille. Fort logiquement, le couple vole en éclat et Jerri fuit en emmenant Jessica et Juliet avec elle pour refaire sa vie à Sacramento (Californie) avec Michael Hastey, pompier de son état. Un métier qui semble a priori plus fiable et sécurisant que celui de rockeur-loser.
C’est que pense en tout cas Jessica qui considèrera Hastey comme son vrai père refusant, à la différence de Juliet, de renouer avec son géniteur, lequel décèdera en février 2013 des suites de complications liées à une bronchite.
« J’ai passé mon enfance et mon adolescence dans un environnement qui ne me convenait pas. Nous avions très peu d’argent. Avoir des moments difficiles, je sais ce que c’est. »
Jessica grandit donc à Sacramento entre deux demi-frères et une sœur, son beau-père et Jerri sa mère qui est devenue entre-temps cheffe cuisinière végétalienne. A l’école, Jessica n’est pas vraiment une foudre de guerre. Mauvaise élève, ses camarades se moquent de ses cheveux roux. « J’ai passé mon enfance et mon adolescence dans un environnement qui ne me convenait pas. Nous avions très peu d’argent. Avoir des moments difficiles, je sais ce que c’est. », résume-t-elle dans les colonnes de « Paris Match » en octobre 2014. La jeune fille a besoin d’ailleurs, d’autres choses, elle se cherche….
Quand sa grand-mère Marylin (rousse elle aussi) lui fait découvrir l’art dramatique, c’est le déclic. « Je ne me suis pas dit : “voilà ce que je veux être”, mais “voilà ce que je suis”. » (Paris Match, octobre 2014) Malgré les réticences de son entourage, plutôt circonspect concernant ses velléités d’acting, Jessica tiendra le cap jusqu’à Julliard à Manhattan, la plus grande école d’art dramatique des Etats-Unis. Joli parcours, pas gagné d’avance et qui en dit long sur le talent et la motivation hors norme de miss Chastain.
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Après le suicide de Juliet, l’actrice déménage à Los Angeles où elle connaît la galère des faux plans et des rendez-vous manqués : « J’ai commencé par le théâtre où le look n’est pas essentiel. Le jeu passe avant tout. Lorsque je me présentais à un casting, j’arrivais ébouriffée, pas maquillée et habillée n’importe comment. Difficile d’être retenue dans ces conditions. » (Paris Match, janvier 2018) Retour à New York et Boston au théâtre et c’est lors d’une de ses prestations que Marthe Keller va repérer Jessica en 2005 alors que celle-ci joue dans La Cerisae off-off Brodway. La comédienne suissesse en glissera un mot à son ex-compagnon (Al Pacino) dont elle est restée proche, lequel engagera miss Chastain dans sa pièce et son film Salomé d’après Oscar Wilde en 2011.
Un mentor prestigieux, un rôle de femme ultra-fatale… Dès lors, son téléphone n’arrête plus de sonner et en mai de la même année, on la retrouve sur les marches du palais du Festival de Cannes entre Brad Pitt et Sean Penn pour The Tree of Life de Terence Mallick qui sera consacré par la Palme d’or.
Suivront dix ans au top qui feront de Jessica Chastain une parfaite star hollywoodienne cochant toutes les cases de la parfaite star hollywoodienne : véganisme, féminisme, anti-trumpisme, beau mariage avec un noble italien, deux enfants acquis via la GPA…
Avec des belles réussites artistiques comme Take Shelter, Zero Dark Thirty, Interstellar, A most violent year, des films où elle est en tête d’affiche comme Sloane ou Le Grand jeu, des œuvres plus populaires comme Crimson Peak ou X-Men : Dark Phenix… Avec toujours ce supplément d’âme illustré par son côté « intello-théâtreuse » qui forge sa singularité.
C’est ainsi qu’elle préfère vivre à New York qu’à L.A. ou qu’elle aime à préciser à longueur d’interviews son admiration pour Isabelle Huppert ou le cinéaste Olivier Assayas.
C’est ainsi qu’elle préfère vivre à New York qu’à L.A. ou qu’elle aime à préciser à longueur d’interviews son admiration pour Isabelle Huppert ou le cinéaste Olivier Assayas. Dans le style beauté rousse spectaculaire, Jessica est de l’étoffe d’une Katharine Hepburn, Barbara Stanwyck ou Nicole Kidman et les grandes marques se l’arrachent pour profiter de son aura classy-sexy.
Elle n’oublie cependant pas de se peaufiner une stature populaire : depuis 2016, elle a monté sa boîte de production, Freckle Films, avec la volonté ferme de réaliser des projets liés aux femmes avec une nette propension aux films d’action comme Ava et 355 exclusivement féminins qui ont bien fonctionné aux box-office. Au point de créer un nouveau genre : le « womenploitation ».
L’Oscar arrive au bon moment, à 45 ans, à l’âge où on ne s’embarrasse plus de grand-chose, un âge où seule l’envie de faire ce dont vous avez envie vous guide. Et on sait que cette récompense ne risque pas trop de griser l’actrice.
Depuis le suicide de Juliet, Jessica a appris à différencier l’utile du futile comme elle l’expliquait en décembre 2014 dans InStyle : « La mort de ma sœur, ça a complètement changé la personne que je suis. Un Oscar, un film, de la haute couture, les gossips etc. Rien de tout cela n’a vraiment d’importance. »
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