Mylène Farmer, une cinéphile dans le jury cannois

Discrète pour ne pas dire quasiment absente des médias, Mylène Farmer est la surprise du jury du 74e Festival de Cannes qui débute ce 6 juillet. Un choix qui peut sembler surprenant a priori, mais qui ne l’est finalement pas tant que ça. En effet, depuis le début de sa carrière, la chanteuse n’a jamais caché son amour immodéré pour le cinéma.

Par Cédric Choukroun

L’annonce de la composition du jury de l’édition 2021 du Festival de Cannes le 24 juin dernier en a étonné plus d’un. Car au côté du président Spike Lee, de Tahar Rahim, Mélanie Laurent, Maggie Gyllenhaal, Mati Diop, Song Kang-ho, Jessica Hausner et Kleber Mendoça Filho, on retrouve la chanteuse Mylène Farmer.

Pourtant, sa présence ne doit rien au hasard car, comme le souligne le communiqué de presse du Festival, « son univers musical est indissociable du monde de l’image et du cinéma qui la fascine depuis toujours ». Et en effet, Mylène Farmer, qui cite volontiers Elia Kazan, David Lean, Stanley Kubrick, Jean-Jacques Annaud, Henri-Georges Clouzot, Andreï Tarkovski, Steven Spielberg ou encore David Lynch lorsqu’on l’interroge sur ses goûts en matière de cinéma, n’a eu de cesse de faire des clins d’œil appuyés au septième art.

Sans doute parce que, avant de venir à la chanson un peu par hasard, la jeune Mylène Gautier, qui ne s’appelle pas encore Farmer, se destine à une carrière de comédienne. « Je n’avais qu’une chose en tête quand j’ai arrêté mes études : être actrice. Je me disais que si je ne faisais pas du cinéma, j’en mourrais », confiera-t-elle d’ailleurs.

Elle fait de la figuration dans le film Le dernier combat de Luc Besson. Mais en 1984, sa rencontre avec Laurent Boutonnat va sceller son destin de chanteuse et l’éloigner pour un temps de la comédie et du cinéma.

Elève au Cours Florent au début des années 80, Mylène y côtoie notamment le couturier Thierry Mugler, Anne Roumanoff, Vincent Lindon et Isabelle Nanty. « C’était une super actrice, se souvient cette dernière. Elle était toute mimi, et tout le monde était amoureux d’elle ». Bien loin de son image d’aujourd’hui, Mylène y joue même Zézette dans Le Père Noël est une ordure. Pendant ses années au Cours Florent, elle tourne dans quelques publicités et fait de la figuration dans le film Le dernier combat de Luc Besson. Mais en 1984, sa rencontre avec Laurent Boutonnat va sceller son destin de chanteuse et l’éloigner pour un temps de la comédie et du cinéma.

Pour autant, elle ne tire pas un trait définitif sur sa passion. Rien que le choix de son nom de scène est révélateur de sa cinéphilie : Mylène Gautier choisit de s’appeler Farmer comme Frances Farmer, actrice des années 30 au destin tragique. Mais ce pseudonyme n’est pas le seul indice cinématographique que sème la chanteuse. Auteure de ses textes, Mylène Farmer glisse très régulièrement des références du septième art dans ses chansons. Ainsi, sur son premier album, Cendres de lune, figure un titre intitulé Greta, hommage évident à l’immense Greta Garbo, « une comédienne, un personnage et un destin hors du commun » comme l’explique la chanteuse lors d’une interview.

En 1999, dans l’album Innamoramento, elle cite La fille de Ryan, en référence au film de David Lean. Rien d’étonnant quand on sait que ce long-métrage de 3h15 est le film-culte de la chanteuse.

Sur son troisième album, L’autre…, on peut entendre un sample de la réplique-culte du film Elephant Man de David Lynch, « I am not an animal, I am a human being ! », au début de la chanson Psychiatric. Sur ce même disque, Mylène Farmer emprunte la réplique « It’s beyond my control » de John Malkovich, alias le Vicomte de Valmont dans Les liaisons dangereuses de Stephen Frears, pour en faire le titre de l’une de ses chansons. 

Et en 1999, dans l’album Innamoramento, elle cite La fille de Ryan, en référence au film de David Lean. Rien d’étonnant quand on sait que ce long-métrage de 3h15 est le film-culte de la chanteuse. « La Fille de Ryan fera partie des films que j’encenserai toujours » répète-t-elle à l’envi.

Mais c’est surtout au travers de ses clips que Mylène Farmer, avec la complicité de Laurent Boutonnat, laisse libre cours à sa passion pour le cinéma. Dès Plus grandir, son deuxième single sorti en 1985, le duo utilise le CinemaScope pour réaliser le clip de la chanson. Avec Libertine, sortie l’année suivante, Farmer et Boutonnat enfoncent le clou et flirtent ouvertement avec le septième art.

Mylène Farmer et son fidèle complice tournent plusieurs vidéos qui marquent durablement l’histoire de la musique par leur vision cinématographique.

Largement inspiré par Barry Lindon de Stanley Kubrick, le court-métrage de 10 minutes et 53 secondes est même diffusé en avant-première le 18 juin 1986 au cinéma Mercury sur les Champs-Elysées.

Encore plus long, le clip de Tristana, transposition de Blanche-Neige et les sept nains dans la Russie de 1917, bénéficie du même traitement puisqu’il est projeté à l’UGC Normandie des Champs-Elysées un an plus tard. Par la suite, avec Sans contrefaçon, Pourvu qu’elles soient douces et Désenchantée, Mylène Farmer et son fidèle complice tournent plusieurs vidéos qui marquent durablement l’histoire de la musique par leur vision cinématographique.

Indissociable de Laurent Boutonnat au début de sa carrière, Mylène Farmer s’est autorisé par la suite quelques infidélités à son complice de toujours pour réaliser les vidéos de ses chansons. Le premier à qui elle confie le soin de réaliser le clip de l’une de ses chansons n’est autre que Luc Besson.

Par ailleurs très ami avec la chanteuse, le réalisateur la dirige dans la vidéo qui accompagne la chanson Que mon cœur lâche. Un court-métrage au scénario teinté d’humour, à mille lieues de l’univers habituel de la chanteuse, mais qui la séduit. « Je crois qu’on a, de toute façon, des univers qui sont très très différents. Ce que lui a peut-être apporté, il me semble en tout cas, c’est un sourire que je n’avais pas dans les autres clips, une légèreté que je n’avais pas », confie Mylène Farmer.

Une « vidéographie » à faire pâlir d’envie plus d’une actrice…

Eclectique, la chanteuse fait appel par la suite à des cinéastes aussi différents qu’Olivier Dahan, Pascal Laugier, l’allemand Marcus Niespel qui a réalisé les remakes de Massacre à la tronçonneuse en 2003 et Vendredi 13 en 2009, l’hong-kongais Ching Siu Tung célèbre pour sa trilogie Histoires de fantômes chinois, l’espagnol Agustí Villaronga ou encore le sulfureux Abel Ferrara. Une « vidéographie » à faire pâlir d’envie plus d’une actrice…

A force de faire de l’œil au monde du cinéma, il était évident qu’un jour ou l’autre, le cinéma lui ferait à son tour de l’œil. En 1994, Mylène Farmer est à l’affiche de Giorgino, le premier long-métrage réalisé par son acolyte Laurent Boutonnat. Elle y interprète Catherine, une jeune femme étrange qui a du mal à quitter l’enfance, au comportement à la limite de l’autisme. Malgré un casting réunissant Jean-Pierre Aumont, Albert Dupontel et Louise Fletcher, l’inoubliable Miss Ratched de Vol au-dessus d’un nid de coucous, le long-métrage de presque trois heures est un échec.

Très loin des millions d’albums que le duo écoule à l’époque, Giorgino attire moins de 70000 spectateurs et disparaît des écrans au bout de quatre semaines seulement.

Très loin des millions d’albums que le duo écoule à l’époque, Giorgino attire moins de 70000 spectateurs et disparaît des écrans au bout de quatre semaines seulement. Il faudra attendre longtemps pour revoir Mylène Farmer à l’écran après ce film.

Si elle écrit et interprète L’histoire d’une fée, c’est… pour la B.O. du dessin animé Les Razmoket à Paris, le film en 2000, puis Devant soi pour celle de Jacquou le croquant réalisé par Laurent Boutonnat en 2007, et si elle prête sa voix à la princesse Sélénia dans le film de Luc Besson Arthur et les Minimoys ainsi que ses deux suites, elle ne fait un retour discret en tant qu’actrice au cinéma qu’en 2018 dans Ghostland, film d’horreur, réalisé par Pascal Laugier. Bien qu’interdit aux moins de seize ans, le long-métrage est récompensé par trois prix au festival du film fantastique de Gerardmer.

« Cannes porte une part de rêve. Pendant une quinzaine de jours, c’est un spectacle vivant avec ses acteurs, son suspense, ses rebondissements »

Aujourd’hui, voici donc Mylène Farmer jurée à Cannes. Un Festival que cette amie de Gilles Jacob apprécie beaucoup. « Cannes porte une part de rêve. Pendant une quinzaine de jours, c’est un spectacle vivant avec ses acteurs, son suspense, ses rebondissements », confiait-elle au magazine Gala en 2017 avant d’ajouter à propos du jury : « Mais dans le fond, je ne sais pas comment on peut décider qu’un film est meilleur qu’un autre. Exercice difficile ! ». Un exercice auquel elle a pourtant accepté de s’essayer sans contrefaçon !

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