Alors que Terminator 2 fête ses trente ans, retour sur la carrière de celui dont le crédo en 1968, était : « L’échec n’est pas une option, tout le monde doit réussir ». Le moins que l’on puisse dire c’est que notre poto Arnold a depuis, appliqué ce précepte à la lettre à quelques détails près… Rewind.
Par Denis Brusseaux
Arnold Schwarzenegger est né deux fois au cinéma. L’autrichien le plus célèbre de Californie a en effet connu un premier début de carrière sur grand écran en 1968 avec Hercules à New-York (il n’a alors que 22 ans), et un second en 1982 dans Conan le Barbare.
Les quatorze années qui séparent ces deux films ont permis à notre homme de développer son intelligence stratégique, de se donner une légitimité artistique (il tient un rôle secondaire dans Stay Hungry de Bob Rafelson, ce qui lui rapporte un Golden Globe) et lui ont appris à repousser les cadeaux empoisonnés, ceci afin de se forger une carrière vraiment à sa mesure.
Il y a fort à parier que le Schwarzy que nous connaissons n’aurait jamais existé. Il se serait appelé Arnold Strong (le nom que ses premiers producteurs lui avaient trouvé), aurait enchaîné quelques sous-péplum variablement médiocres, et aurait sans doute fini dans des productions italiennes, a l’instar des deux héros de son enfance.
Car si la première tentative avait été couronnée de succès, et non privée de distribution tant le résultat était nul (Hercules à New York sortira finalement en 1970, pour profiter de la notoriété montante du culturiste), il y a fort à parier que le Schwarzy que nous connaissons n’aurait jamais existé. Il se serait appelé Arnold Strong (le nom que ses premiers producteurs lui avaient trouvé), aurait enchaîné quelques sous-péplum variablement médiocres, et aurait sans doute fini dans des productions italiennes, a l’instar des deux héros de son enfance.
Ceux-ci s’appellent Steve Reeves et Reg Park, d’anciens Mister Univers à qui leurs silhouettes de statues grecques ont permis d’incarner Hercules ou Maciste à Cinecitta. A la clé, des filmographies sympathiques mais très brèves. Arnold Schwarzenegger ne marche dans leurs pas qu’en apparence. Certes, il s’adonne à la musculation dès ses quinze ans au point de rafler tous les prix imaginables.
1982, Conan le Barbare de John Milius, le début de la gloire
Oui, il souhaite dès le départ devenir acteur. Mais à la grande différence de ses aînés, il refuse de jouer les utilités dans la première série B venue, de n’être que le gros musclé du moment, et de sombrer dans l’oubli.
Non, son ambition folle, cet orgueil qui le rend absolument unique, c’est sa détermination à gagner ses galons à Hollywood-même, d’être l’égal des nouvelles superstars (Jack Nicholson, Warren Beatty et, déjà, Sylvester Stallone), à une époque où le bodybuilding est pourtant quasi-inconnu du grand public américain, et relégué au rang de sous-sous-discipline. Ajoutez à cela qu’il parle à peine l’anglais et ne sais pas jouer la comédie, pour vous faire une idée du challenge. Mais Arnold Schwarzenegger a un truc, hérité de la musculation : ne jamais être satisfait de soi-même, se forcer à grandir, par tous les moyens…
1984, Terminator de James Cameron, le début de la saga
Surprendre son propre corps, le placer dans une position d’incertitude quant à ce qui l’attend, voilà l’étrange auto-manipulation physiologique à laquelle Arnold Schwarzenegger va s’employer. Le bilan auquel parvient notre homme laisse songeur : « Je leur avais montré qui était le boss (à ses deltoïdes !). Ils n’avaient pas le choix : ils devaient se rétablir et se développer ».
Outre que ce passage témoigne de l’incroyable volonté d’Arnold Schwarzenegger, commandant la moindre fibre de ses muscles à la façon d’un dictateur (« La limite est dans la tête », lui professe son modèle, Reg Park), il fournit la clé de tous ses choix et succès à venir. Tel un muscle à taille humaine et en continuelle expansion, Schwarzenegger va ainsi s’efforcer d’être toujours là où on ne l’attend pas, et refusera de rentrer dans une catégorie identifiable.
Sa terreur absolue ? Ressembler à tous ces culturistes qui passent leur temps à bronzer sur la plage de Venice (la célèbre Muscle Beach), à Los Angeles, et que son manager Joe Weider surnomme « les branleurs ».
Sa terreur absolue ? Ressembler à tous ces culturistes qui passent leur temps à bronzer sur la plage de Venice (la célèbre Muscle Beach), à Los Angeles, et que son manager Joe Weider surnomme « les branleurs ». Des types sans le sou, allergiques au travail, dont l’unique horizon est la salle de sport, et la seule ambition de monter sur les podiums, encore et encore… Contrairement à eux, Arnold s’intéresse à tout, et démontre un réel talent pour apprendre. Au fil des rencontres, il devient vendeur par correspondance, amateur d’art, travailleur du bâtiment, spéculateur dans l’immobilier, sans omettre ses cours d’anglais et de commerce à la fac.
Rien n’est jamais une fin en soi, mais juste un moyen d’accéder à l’étape suivante, qui reste à découvrir. Quand pour la préparation de Stay Hungry (1976) notre héros commence à suivre des cours d’art dramatique, son coach Eric Morris lui explique qu’il doit puiser dans ses souvenirs pour trouver les expériences vécues susceptibles de lui fournir l’émotion requise.
Logiquement, pour jouer l’euphorie, Morris lui conseille de se rappeler de ses meilleures victoires de culturiste. Mais avec Schwarzenegger, cette technique ne fonctionne pas : il n’a jamais été réellement heureux de triompher. Quand il gagnait, son attention était déjà tournée vers le prochain défi…
Rien n’est jamais une fin en soi, mais juste un moyen d’accéder à l’étape suivante
Alors que Reg Park n’avait fait qu’un bref détour par les plateaux de cinéma avant de retourner à la musculation, Arnold Schwarzenegger décide très vite – c’est-à-dire dès qu’il est choisi par Bob Rafelson pour donner la réplique à Jeff Bridges – d’abandonner la compétition.
Déjà six fois Mister Univers, il ne veut pas se reposer sur ses acquis, mais tout remettre en jeu, avec ce goût du risque qui le caractérise depuis toujours : il sera star de cinéma, ou rien. Mais si, dans sa tête, la musculation professionnelle appartient déjà au passé, son intelligence tactique lui commande de ne pas tourner la page trop vite.
Shows télé, compétition organisée entre potes, documentaire (le célèbre Pumping Iron, en 1977), tout est bon pour transformer les bodybuilders en héros modernes.
D’une lucidité incroyable, Arnold comprend que sa carte de visite à Hollywood, c’est le bodybuilding. Or, ce sport est ignoré aux Etats-Unis, voire méprisé. Afin de satisfaire son ambition et d’entrer par la grande porte, il décide de se consacrer au préalable à promouvoir sa discipline, autrement dit à populariser l’univers dont il est le champion incontesté. Shows télé, compétition organisée entre potes, documentaire (le célèbre Pumping Iron, en 1977), tout est bon pour transformer les bodybuilders en héros modernes. Et ça marche : les musclés et les managers qu’il côtoyait depuis des années deviennent célèbres du jour au lendemain, et la fréquentation des salles d’entraînement explose.
Outre que cette stratégie suppose une réelle abnégation de la part de Schwarzenegger, compétiteur né pour qui il ne faut jamais hésiter à « jeter de la merde sur les autres pour être le seul à briller » (dixit lui-même), elle dénote d’un refus catégorique de se fondre dans un moule. Arnold ne reproduira plus jamais l’erreur d’Hercules à New-York, où il se contentait de la place – minime – que lui accordait l’industrie du cinéma. Désormais, en faisant de son propre corps hypertrophié la chose la plus tendance du moment, il oblige l’industrie elle-même à s’adapter, pour lui faire la place qu’il mérite.
Conan le Barbare, à ce titre, est clairement le produit d’esprits créatifs influencés par cette nouvelle sous-culture estampillée Schwarzy. Oui, vous avez bien compris, Arnold a modelé le monde qui l’entoure de la même manière qu’il s’est sculpté des muscles parfaits.
Souvenez-vous du générique de Commando, en 1986 : au lieu d’y présenter Arnold Schwarzenegger en une seule fois, tel un héros classique comme Rambo, le réalisateur Mark Lester multiplie les gros plans, presque des inserts, sur son pied, son avant-bras, son épaule, un biceps gonflé, enfin son visage, avant de le révéler dans son entier.
Et s’il peut finalement accéder au poste de gouverneur en 2003, c’est parce qu’il a su au préalable façonner Hollywood à son image, créer un Arnold-Land qui lui confère la dimension mythologique idéale pour ses nouvelles fonctions.
Une séquence que Jérôme Momcilovic, dans l’ouvrage collectif Le Cinéma des années Reagan (éditions Nouveau Monde), compare à la chaîne d’assemblage d’une machine. Autrement dit, le film se réduit à un simple outil, une usine bâtie au seul service de la gloire de Big Arnold, et non un cadre contraignant où il devrait simplement interpréter un rôle. Et s’il peut finalement accéder au poste de gouverneur en 2003, c’est parce qu’il a su au préalable façonner Hollywood à son image, créer un Arnold-Land qui lui confère la dimension mythologique idéale pour ses nouvelles fonctions.
Une tactique identique à celle mise en place avec le bodybuilding dans les années 70. Il n’hésitera d’ailleurs jamais à évoquer ses rôles les plus célèbres lors des meetings. Mais cette méthode, jusque-là imparable, trouve sa limite infranchissable dans l’univers de la politique : une fois en place, et malgré tous ses efforts, il ne peut en changer ni l’image, ni les règles, et se limite à n’être qu’un acteur (médiocre, fatalement) dans un film trop gros pour lui.
Son retour au cinéma depuis 2012, par la régression qu’il suppose (il ne sera jamais président des USA), souligne sa ressemblance finale avec Reg Park et résonne, de ce point de vue, comme finalement, le premier constat d’échec de toute sa vie.
S’il a pu accéder au poste de gouverneur en 2003, c’est parce qu’il a façonné Hollywood à son image
Il fut le 38e gouverneur de l’Etat de Californie de 2003 à 2011
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