Karin Viard : « C’est ma période pas gentille »

Photo de couverture © andrea raffin/shutterstock

Nous avons rencontré Marc Fitoussi et Karin Viard pour Les Apparences, en salle le 23 septembre. Le réalisateur de Copacabana a planté ses caméras à Vienne pour donner vie à un thriller se déroulant chez les expatriés français de la haute. Fitoussi y propose un couple de cinéma inédit : Karin Viard et Benjamin Biolay. Avec eux, on a parlé mise en scène, genres, incarnation, et… Biolay

Entretien réalisé par Grégory Marouzé

Vous avez réalisé de franches comédies, d’autres plus douces-amères. Aujourd’hui vous réalisez un thriller avec Les Apparences. Prenez-vous du plaisir à naviguer d’un genre à un autre ?
Marc Fitoussi : C’est un film qui est difficile à qualifier très clairement. On a besoin de mettre un genre, des étiquettes pour vendre un film. A un moment, on a tenté de le vendre comme un thriller conjugal ou un thriller sentimental. On en est arrivé là. Mais c’est vrai que Les Apparences peut être vu comme une comédie de mœurs, teintée de thriller. En tout cas, celui-ci, mélange beaucoup de genres. Peut-être plus que les précédents, qui n’étaient déjà peut-être pas très clairs. Mais au moins étaient peut-être plus clairement dans la comédie.

Je n’ai pas l’impression d’avoir fait un virage à 180 degrés. Alors, effectivement, ce film est l’adaptation d’un polar, donc il y avait des passages obligés. Mais le ton, le côté mordant du film, ou l’ironie qu’on peut y trouver, c’est quelque chose que je traitais déjà. Moi, j’ai toujours l’impression de creuser le même sillon. Mais il y a peut-être des personnages moins aimables qu’avant, que j’assume. Il y a sans doute quelque chose de plus tordu dans ce film. Alors qu’on est dans un genre plus classique de thriller …
Karin Viard : Moi, je ne suis pas d’accord avec toi !
Marc Fitoussi : Ah ouais ?
Karin Viard : Non, parce que, quand je tournais avec toi, j’avais le sentiment que tu te déplaçais…
Marc Fitoussi : Oui, je me souviens ! Tu me l’avais dit !

« Quand on est dans la comédie, quand les séquences sont écrites comme des séquences de comédies, le but de la mise en scène est de faire en sorte que tout cela soit naturel, juste. » Marc Fitoussi

Karin Viard : C’est à dire que je trouve que tu continues de creuser le même sillon avec une comédie, de ricaner en regardant au microscope, parce que c’est ta sensibilité de cinéaste. Mais je trouvais que tu te déplaçais parce qu’il y avait comme un souffle, un lyrisme, que tu assumais. Et ce n’était pas le cas avant !
Marc Fitoussi : Mais tu as raison ! Quand on est dans la comédie, quand les séquences sont écrites comme des séquences de comédies, le but de la mise en scène est de faire en sorte que tout cela soit naturel, juste. Sans que la comédie se voit ! Là, il y avait les ingrédients du thriller qui m’ont donné plus de liberté en termes de mise en scène. Là, je pouvais franchement m’amuser, faire des choses que je n’avais jamais faites avant.

Parce qu’avant, j’étais davantage dans la chronique. Dans la chronique, on a davantage l’envie de coller à la réalité. Et donc, que la mise en scène ne se voit pas. C’est un choix d’invisibilité ! Là, avec cet écrin qu’est la bourgeoisie, et avec Vienne comme décor, je pouvais presque assumer quelque chose d’un peu plus tape-à-l’oeil ! Je trouvais que ça allait avec le sujet, avec les expatriés, avec cette manière, finalement, de revendiquer leur argent. Moi, je pouvais alors revendiquer la mise en scène !

Eve n’est pas un personnage aimable. Et c’est très bien comme ça. Ce que vous aviez déjà explorer auparavant dans des films comme Chanson Douce
Karin Viard : C’est ma période ! C’est ma période pas gentille … et c’est pas fini ! (rires). Oui c’était le cas dans Chanson Douce, dans Les Chatouilles, dans Jalouse

Vous incarnez un personnage qui est dans une zone grise, qui n’est pas un personnage manichéen. Qu’est-ce que ce personnage, Eve, vous a permis d’explorer, que vous n’aviez pu incarner auparavant ?
Karin Viard : Je n’avais jamais fait un film avec un esprit thriller. Je pense qu’Eve est très amoureuse de son mari. Je pense qu’elle aime cet homme. Je pense qu’elle a un souffle amoureux qui est fort pour elle. Je m’étais toujours débrouillée pour dévier, diluer le rapport amoureux. Là, je m’y confronte davantage.

Moi, je suis une actrice qui aime ausculter les sentiments humains. Me dire : « Tiens, ici, est-ce qu’il n’y aurait pas un peu de mauvaise foi ? ». C’est ça qui m’intéresse ! Traquer ça ! Si c’est jouer quelqu’un qui a toujours raison de penser ce qu’il pense, et de penser ce qu’il fait, ça ne m’intéresse pas tellement ! Eve, c’est vraiment la princesse, en fait. Et moi, je n’ai jamais été une princesse. Malheureusement ! J’ai vraiment voulu quand j’étais jeune fille, mais malheureusement, ça n’a pas été mon karma. L’archétype de la princesse. La fille qui fait tout bien, en fait ! J’aime quand c’est dissonant. Quand elle fait tout bien, et qu’à un moment, elle fait tout mal !

« Si tu me fais massacrer une famille entière (rires) pendant que je suis coureuse cycliste, ah tiens, ça va me plaire ! » Karin Viard

J’aime l’idée qu’on suive un héros et que, finalement, ses épreuves nous ressemblent. Ce qui m’intéresse, c’est vraiment d’ausculter l’âme humaine ; Du coup, ce qui est nouveau, je ne sais pas très bien. Je ne prends pas le choses comme ça, en fait. Je vois juste qu’un personnage est de la même famille qu’un autre. Si demain, je joue une fille qui est complètement flippée dans sa chambre, miséreuse, et qui va tuer quelqu’un, ça me fera trop penser à Chanson Douce. Je n’aurais pas envie de le faire, parce que j’aurai déjà exploré ça ! Par contre, si tu me fais massacrer une famille entière (rires) pendant que je suis coureuse cycliste, ah tiens, ça va me plaire !
Marc Fitoussi : Bon pitch, en tout cas !
Karin Viard : C’est une conjonction de la tuerie de Chevaline ! (rires)

Quel comédien est Benjamin Biolay ? En tant que musicien, en tant que comédien, il semble avoir un côté détaché, une certaine nonchalance.
Marc Fitoussi : Dans ce film, c’est précisément ce que je lui ai demandé. Je trouvais qu’il y avait déjà quelque chose de provoquant (lui qui est chanteur, dont on aime la voix) à lui proposer un personnage très taiseux. Je trouvais ça assez ironique et drôle. Mais, surtout, ce rôle impliquait qu’il soit comme ça, assez détaché ! Très observateur, en réalité très lucide. Et j’ai joué un peu sur ce rebondissement, où ce type semble un peu absent dans tous les lieux qu’il traverse. Mais en réalité voit tout, sait tout, et balance à Eve ses quatre vérités. Je dis ça parce que c’est comme ça que je l’ai dirigé.

Et Benjamin, que je trouve être un très grand comédien, peut être au contraire très présent si on lui demande ! J’ai eu énormément de plaisir à le diriger car c’est quelqu’un que je trouve très docile. Et je le dis dans le bon sens du terme ! Dans le sens où il est curieux de jouer, et il aime ça ! Il aime aussi le fait de partager l’affiche avec une actrice comme Karin, avec laquelle il s’est très bien entendu. Et je ne dis pas cela de tous les acteurs avec lesquels j’ai pu travailler.

D’ailleurs, on va taire le nom du comédien qui, au départ, devait tenir le rôle de Benjamin, je pense que, parmi les raisons de son départ, il y avait aussi le fait que c’était un personnage qui était beaucoup plus en retrait par rapport au personnage d’Eve. Et Benjamin n’est absolument pas comme ça !

« Quand tu joues avec Benjamin, il plante ses yeux dans les tiens, et tu sens que ça communique en fait. » Karin Viard

Karin Viard : Benjamin n’a pas la légitimité de l’acteur. Il est chanteur et se vit comme chanteur. Acteur, ça l’intéresse beaucoup, mais moi, je suis actrice et je sais qu’en face d emoi j’ai quelqu’un qui est profondément acteur. Il a une intériorité, une profondeur, une qualité de présence, que beaucoup d’acteurs peuvent lui envier !

Quand tu joues avec lui, il plante ses yeux dans les tiens, et tu sens que ça communique en fait. Donc ça, c’est une chose que certains acteurs n’ont pas ! Il a ça. Il est très puissant, il est très fort ! Il est très charismatique. Je pense que, comme il n’a pas fait d’études d’acteur, il joue avec sa sensibilité, sa spontanéité, mais il a envie d’apprendre. Mais il n’a pas la même gamme que moi. C’est comme si, moi, j’arrivais dans la chanson. Moi, je n’ai aucune gamme ! Donc, lui est en train de faire ses gammes.

C’est un acteur assez jeune, mais qui a une chose devant laquelle tous les acteurs s’inclinent : il a de la puissance ! Et il est complètement dans le partage. Je pense qu’il est comme ça aussi, parce qu’il a un mélange de grande légèreté et de beaucoup de profondeur. Une certaine noirceur. Il est sans doute quelqu’un de très angoissé. Mais qui a l’élégance et la politesse, de ne jamais te montrer cette face-là de lui. Il est vraiment délicieux. Et un partenaire que j’aimerais vraiment retrouver.

Les Apparences de Marc Fitoussi

Pitch : Vienne, ses palais impériaux, son Danube bleu et… sa microscopique communauté française. Jeune couple en vue, Ève et Henri, parents d’un petit Malo, ont tout pour être heureux. Lui est le chef d’orchestre de l’Opéra, elle travaille à l’Institut français. Une vie apparemment sans fausse note, jusqu’au jour où Henri succombe au charme de l’institutrice de leur fils.

Librement adapté du roman Trahie de Karin Alvtegen
Avec Karin Viard, Benjamin Biolay, Lucas Englander, Laetitia Dosch, Pascale Arbillot, …
Musique de Bertrand Burgalat
Sortie le 23 septembre 2020 – Durée : 1h50 – SND Films

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