Par Meiga
C’est toujours un moment délicat quand un garçon que tu ne connais pas, ou peu, t’invite au ciné. Soit il te laisse décider du film. Zéro prise de risque, refilage de la patate chaude. Soit, il est courageux et tente une proposition.
S’il t’a un peu cernée – tu es Parisienne, journaliste, il y a toujours un bouquin dans ton sac et tu portes des slims, des boots, un pull doux, tout ça en gris, les cheveux longs et du mascara – il va te proposer Mommy. Il n’osera pas la comédie sentimentale, d’une part parce que ça l’emmerde et d’autre part, ça pourrait en dire long sur sa virilité. Le film d’action ou de SF, tu es une fille, alors bon… Et puis Mommy, ça te pose à la fois l’intellect et la sensibilité d’un homme.
Toi, de ton côté, tu as déjà fait une overdose de Dolan sur Facebook et franchement une petite voix perfide te demande si tout seul il serait allé voir ce film. Non, le fait qu’il truffe ses textos de fautes d’orthographe n’a en rien influencé ton jugement… ou si peu.
Une question d’étiquette
D’un autre côté, lui proposer d’entrée de jeu un film d’action, au hasard, les Tortues Ninja ou Expandable 3 sortis la même semaine, est un pari osé. Car si je caricature exprès, ces deux films étant probablement très moyens, c’est aussi une façon de dire que j’aime le cinoche de Michael Bay et que retrouver Stallone botoxé et ses vieux potes dans un come-back stéroïdé à l’humour second degré (si, si) ne m’a jamais posé problème. Alors pourquoi m’abstenir ? À cause de ces fichues étiquettes. Celle que l’on colle sur le revers de ton ciré, comme une gamine prête à partir en colo, chaque fois que tu fais un choix : du métier que tu as plus ou moins décidé d’exercer aux vêtements que tu portes, de tes choix ciné jusqu’au bulletin que tu glisses dans l’urne. Paf ! une étiquette thermocollante.
Bref, jeter ton dévolu sur un blockbuster qui dépote des décibels et des effets spéciaux en rafale, c’est risquer de te voir estampillée au mieux de geekette ou de garçon-manqué au pire de meuf un peu beauf. Car le cinéma, sache-le, définit aussi bien ton QI que ton genre. Un peu comme quand, petite, tu cochais les Mecanos au lieu de la poupée qui fait pipi sur le catalogue de la Redoute à Noël. Même si dans le fond tes parents, eux, auraient rêvé que tu cornes la page « jeux de société ». Chacun son truc. Mais quand même, ce sont bien eux qui sont à l’origine de tout.
Eclectique
Tu es l’héritage d’une éducation éclectique car ton père t’a très tôt mis entre les mains les Fondation d’Asimov, tandis que ta mère te faisait lire des San Antonio ou du Zola, tout en te laissant vaciller sur ses stilleto sur la moquette de la chambre. Exercice périlleux mais enrichissant qui a fait de toi cet être construit comme un oignon avec plusieurs couches à l’intérieur. Toutefois, en attendant d’être épluchée par ce beau brun que tu viens de rencontrer, tu t’abstiendras. Et tu te contenteras d’aller voir Pacific Rim avec ton pote de toujours le Colonel Dawa pour qui ce n’est pas un problème. Lui, sait que tu peux être super-calée en héroic-fantaisie au point de connaître le nom de toutes les épées qui pourfendent de l’Uruk-hai dans le Seigneur des anneaux et porter des twelve à paillettes en soirée. Lui sait que tu peux rire dans une comédie franchouillarde et obtenir six camemberts à l’édition Génius du Trivial. Comment ça, ça ne prouve rien ? Quant au beau brun, vous aboutirez probablement à un consensus plus ou moins épicé mais facile à digérer, par exemple Gone Girl, qui aura le mérite d’alimenter la conversation lors du dîner qui suivra et peut-être même celle de l’oreiller en deuxième partie de soirée.
C’est d’ailleurs seulement à ce moment-là, quand le garçon sera rassuré sur ta féminité et toi sur sa virilité, qu’il osera te proposer de voir Punch-Drunk Love en DVD. Et toi, comme un oignon, de joie tu en pleureras.