Par Alexandre Poncet
« J’ai les yeux en vrac après un film en 3D. » « Quand on porte des lunettes de vue, les lunettes 3D sont très inconfortables. ». « La luminosité est tellement basse en 3D qu’on n’y voit plus rien ! » « La 3D, c’est juste pour augmenter le prix du billet. Ils feraient mieux de se concentrer sur l’histoire ! » « Franchement, dans la plupart des films, vous la voyez, vous, la 3D ? » « À mort le relief, rendez-nous notre cinéma ! »
Voici un petit digest de ce que l’on peut trouver, en quelques clics de souris, sur divers forums autoproclamés « cinéphiles ». Le relief serait donc une arnaque, une hérésie tout juste bonne à plomber encore un peu plus le portefeuille du chaland en temps de crise. « Le cinéma, c’est en deux dimensions », affirment quelques-uns, avec une verve comparable à ceux qui condamnaient sans procès équitable la stéréo naissante, ou même le maléfique CD en fin d’âge d’or du vinyle. L’ironie dans cette tornade de propos réactionnaires, c’est que chaque argument peut être réfuté, et l’a même déjà été à plusieurs reprises sans pour autant que le public n’y prête grande attention. Je me risquerai donc à répéter quelques faits : déjà, les réprimandes adressées au format concernent en réalité autant les producteurs que les exploitants eux-mêmes. Depuis le triomphe inattendu d’Alice au Pays des Merveilles de Tim Burton, film 2D converti en relief en postproduction pour un budget bien inférieur à celui d’Avatar, les studios ont vite décidé de s’engouffrer dans le marché de la 3D factice.
Industriels sans scrupules
Je ne vais pas le nier : mis entre les mains d’industriels sans scrupules, le processus de post-conversion peut donner des résultats catastrophiques. Post-convertis en quelques semaines alors que Titanic l’aura été en presque un an (le résultat parle de lui-même), des blockbusters tels que Le Choc des titans, Le Dernier Maître de l’air, Captain America ou Thor en ont fait les frais, et ont largement contribué à l’agacement général. Mais ce que les spectateurs ignorent, c’est que ces bidouilles opportunistes ne sont que des broutilles comparées à la malhonnêteté et au manque de professionnalisme de certains exploitants qui, sous couvert de sauvegarder leur matériel (une ampoule, ça coûte cher), ont pris l’habitude de réduire la luminosité de leurs projections. Et ce, au point de ne plus satisfaire les minima requis. La fameuse « nuit américaine permanente et monochrome » dénoncée par tant d’anti-3D ne résulte donc pas des films proprement dits, mais des circonstances dans lesquelles ils ont été présentés au public.
Une immersion sans précédent
Dans des conditions de projection optimales, et dans le cadre d’une véritable intégration du relief au sein d’un projet de mise en scène global, la 3D peut faire des miracles. Je ne perdrai pas mon temps ici à défendre contre un cynisme grandissant le pouvoir d’immersion sans précédent d’Avatar. Des exemples plus « cinématographiquement corrects » existent, comme Hugo Cabret de Martin Scorsese ou Pina de Wim Wenders, dont l’émotion à fleur de peau découle en partie de leur profondeur de champ. D’ailleurs, une grammaire nouvelle est en train de prendre forme, et les expérimentations hallucinantes d’Ang Lee sur L’Odyssée de Pi laissent à penser que tout reste encore à écrire. La 3D avance, et l’auteur de ces lignes sera le dernier à s’en plaindre : à l’heure où vous lirez cet article, Le Hobbit : un voyage inattendu est visible en 48 images par seconde, une cadence de prise de vue inédite en salles permettant des images plus claires, plus nettes et plus amples. Un risque supplémentaire de voir disparaître la texture de cette bonne vieille pellicule 35mm, diront certains ? L’existence même d’un film comme The Artist, ou la ressortie de classiques comme L’Étrange Créature du lac noir de Jack Arnold ou Le crime était presque parfait d’Alfred Hitchcock, rendue possible grâce à la démocratisation du relief, sauront rappeler aux obscurantistes que le 7e Art n’a jamais eu vocation d’adopter une esthétique uniforme.