Un palmarès politiquement correct et convenu, au terme d’un festival politiquement correct et convenu. Le début de la fin ?
Par Marc Godin
Bon, ça a commencé super mal avec Edouard Baer et son slam poético-lourdingue où il s’astique, jouit de son brio, remercie son producteur, et nous refait du (Mamie) Nova. « Allez on remballe, le festival. Le Festival de Cannes qui remballe ses valises, ses valoches. Ses fraternités, ses vanités, ses sincérités parfois. » A tes souhaits !
Après cette intro-impro de Grand Baer Malade, les choses sérieuses commencent. Les vedettes en Chanel et les prix s’enchaînent. Puis, tout à coup, il se passe enfin quelque chose dans le Bunker. Asia Argento est sur scène, robe noire, l’air grave, et elle balance, dans une rage froide. « En 1997, j’ai été violée par Harvey Weinstein, ici, à Cannes. J’avais 21 ans. Ce festival était son terrain de chasse (que la traductrice a traduit par « une chasse gardée » erroné). Je vais faire une prédiction : Harvey Weinstein ne sera plus jamais le bienvenu ici.
« Vous savez qui vous êtes, et plus important encore, nous, nous savons qui vous êtes. Nous n’allons pas vous permettre de vivre dans l’impunité. »
Il va vivre dans la disgrâce, fuit par une communauté qui l’avait adopté et l’avait couvert pour ses crimes. Et parmi vous, dans le public, il y a ceux à qui on n’a pas encore demandé de comptes sur leur comportement envers les femmes, un comportement indigne de cette industrie, un comportement indigne de n’importe quelle industrie. Vous savez qui vous êtes, et plus important encore, nous, nous savons qui vous êtes. Nous n’allons pas vous permettre de vivre dans l’impunité. »
C’est simplement dingue, hallucinant. Asia Argento raconte son viol, incrimine Cannes et assure que d’autres violeurs sont dans la salle. La cérémonie ne peut pas continuer, ne doit pas continuer. Mais c’est la société du spectacle, et Cate Blanchett, pourtant associée au mouvement Time’s up, annonce le prix d’interprétation féminine. The show must go on…
De beaux messieurs et de belles dames montent sur scène, s’auto-congratulent, s’embrassent. Il y a un moment de grâce quand Roberto Benigni (« Je suis plein de joie comme une pastèque ») remet le prix d’interprétation masculine (ultra mérité) à Marcello Fonte, pour le crépusculaire Dogman de Matteo Garrone. Humble, celui-ci hésite à monter sur scène, à prendre sa récompense. Ce fils de paysan a les yeux de Buster Keaton et on voit bien qu’il ne joue pas, comme tous les cabots qui miment l’émotion dès qu’ils sont sur l’estrade… C’est vraiment beau.
On récompense un film réalisé par une femme, un film qui nous dit que le racisme c’est mal, un autre qui raconte que la misère, c’est trop triste, un grand cinéaste qui n’a pas torché un film regardable depuis 30 ans…
Pour le reste, le palmarès ressemble à la sélection : tiède, sans véritablement d’éclat, ni de surprise avec une Palme pour Godard ou un prix pour Spike Lee. C’est incroyablement prévisible, politiquement correct. On récompense un film réalisé par une femme, un film qui nous dit que le racisme c’est mal, un autre qui raconte que la misère, c’est trop triste, un grand cinéaste qui n’a pas torché un film regardable depuis 30 ans…
Même si je regrette que le jury soit passé à côté de l’irradiant Eté, de Kirill Serebrennikov, la Palme récompense un film beau et généreux, Une affaire de famille, du Japonais Hirokazu Kore-Eda, abonné à Cannes, et surtout déjà récompensé deux fois pour le sublime Nobody knows et Tel père, tel fils. Tu parles d’un renouveau !
Ca sent le formol, la fin d’une époque. Un festival où il n’y a plus de folie, de fêtes, de stars. Un festival qui ne parvient plus à décrocher les meilleurs films, qui fait une guéguerre stupide à Netflix, un festival à la ramasse qui offre une énorme rampe de lancement à une daube sidérale et sidérante comme Solo, un festival qui qui met hors compétition Gaspar Noe ou Lars Von Trier et en compet’ Stéphane Brizé !
A la fin, Sting et Shaggy, en promo à Cannes après un passage à The Voice, lancent sur les Marches un prophétique « SOS to the World ». Thierry Frémaux bouge son body en tentant d’enlacer Léa Seydoux, les heureux lauréats font des risettes aux pauvres en bas des Marches.
SOS to Cannes ?
Le palmarès complet :
Palme d’or : Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda
Palme d’or spéciale : Le Livre d’image pour Jean-Luc Godard
Grand prix du jury : BlacKkKlansman de Spike Lee
Prix du jury : Capharnaüm de Nadine Labaki
Prix de la mise en scène : Pablo Pawlikowski pour Cold War
Prix du scénario : Alice Rohrwacher pour Lazzaro Felice ex aequo avec Nader Saievar et Jafar Panahi pour 3 Faces
Prix d’interprétation féminine : Samal Yeslyamova pour Ayka de Sergey Dvortsevoy
Prix d’interprétation masculine : Marcello Fonte pour Dogman de Matteo Garrone
Caméra d’Or : Girl de Lukas Dhont
Palme d’or du court métrage : All These Creatures de Charles Williams (mention spéciale pour On The Border de Wei Shujun)