Du 8 au 19 mai, le gotha du cinéma mondial a rendez-vous à Cannes pour une dizaine de jours de glamour, de marketing cool et accessoirement de films, quelque chose de la foire aux vanités en Louis Vuitton ou du Salon de l’agriculture en Chanel Vintage. Première épreuve : la cérémonie d’ouverture…
Par Marc Godin
Pendant des années, le festival de Cannes a proposé en soirée de gala pour son parterre de people millionnaires un big nanar glam et friqué, un blockbuster sans âme mais avec stars comme Da Vinci Code, Le Cinquième élément, Fanfan la tulipe, avec Penélope Cruz, ou encore l’inénarrable Grace de Monaco, avec une Nicole Kidman momifiée. C’est bon pour la montée des marches et BFM, un peu moins pour le cinéma et la crédibilité de Cannes… Cette année, Thierry « Big Melon » Frémaux a choisi de présenter de l’auteur hardcore avec Everbody knows, de l’Iranien Asghar Farhadi, avec (encore) Penélope Cruz et son mari, Javier Bardem. Le résultat est un gros Kouglof pas très ragoutant, un thriller social pour divertir les millionnaires de la Croisette, plutôt cocasse, non ?
Frémaux casse l’ambiance
Mais avant de visionner le chemin de croix Farhadi, il a fallu se fader la traditionnelle cérémonie d’ouverture, présentée par Edouard Baer. Costard sombre, somptueux coiffé/décoiffé, barbe de trois jours, Baer s’est contenté de faire ce qu’il fait le mieux : le baratinage cool et classe. Et c’est parti pour un long monologue gentiment philosophico-poétique (qu’il a écrit sans auteur) où il décrit le processus de création d’un réalisateur.
Six minutes avec piano et accordéon, où il balance des trucs essentiels comme « Vas-y fonce, prends autour de toi ! Recueille les choses, prends une pelleteuse en soi, fais en sortir un film ! » Il y a des fans… Bref, c’est Radio Nova sur la Croisette. Les choses se gâtent avec l’arrivée de Thierry Frémaux.
L’arrivée de Cate Blanchett sur scène aura été précédée d’un beau moment, un montage exceptionnel d’extraits de ses meilleurs films, comme quoi Canal peut encore ciseler des instants d’émotion…
Les autres années, on avait l’habitude de voir Frémaux, visage sombre de maître d’école de la Troisième république, sagement au fond de la salle, en train de veiller au bon déroulement de la cérémonie. Cette année, il est la STAR, et il présente pendant dix bonnes minutes les jurés, ânonnant leurs faits d’arme. Et quand les regards sont scotchés sur Léa Seydoux, il lance un pathétique « Regardez-moi ! » Il y aura aussi un Pierre Lescure, après le catastrophique article du Point, qui vient siroter un whisky avec Edouard, Léa Seydoux en Luis Vuitton, Kristen Stewart en Chanel et Cate Blanchett en Armani Privé. L’arrivée de Cate sur scène aura été précédée d’un beau moment, un montage exceptionnel d’extraits de ses meilleurs films, comme quoi Canal peut encore ciseler des instants d’émotion…
Un Farhadi tout petit
Puis les extraits des films en compétition sont balancés sur le grand écran (une sélection « audacieuse et engagée », selon Le Monde qui s’y connaît, mais ont-ils vu les films ?). On découvre enfin les premières images de Dogman, Plaire, aimer et courir vite, Under the Silver Lake, En guerre ou le Godard…
Cate Blanchett dans sa belle robe ne fera jamais d’allusion à Weinstein et seul Baer se risquera un très drôle « Il y a ceux qui ont couché, ceux qui ont refusé de coucher, ceux qui ont couché avec les mauvaises personnes… » Alors que le festival est maintenant décrit come l’ancien terrain de chasse d’Harvey Weinstein et qu’il apparaît que tout le monde savait, on fait des blagues, à défaut d’un mea culpa et on nomme des jurés femmes pour faire la blague… La société du spectacle !
Alors que le film d’ouverture va commencer, une multitude d’invités en profite pour s’éclipser. On peut dire qu’ils ont eu le nez fin, car Everbody knows, grosse saga viticole sous le soleil ibérique, sent le téléfilm qui tâche ou la télénovela industrielle. Ca commence TRES mal et ce dès le générique. Farhadi a tellement confiance en son spectateur qu’il signe une série de plans sur-signifiants sur le mécanisme grinçant d’un clocher, métaphore du destin inéluctable qui broie les êtres, du temps qui passe… Bref, c’est du lourd.
Débarquée d’’Argentine avec ses deux enfants, Penélope Cruz rentre en Espagne pour le mariage de l’une de ses sœurs. On picole, on mange des tapas, on danse le flamenco : ce n’est plus un film, mais une pub du syndicat d’initiative de Castille, sublimée par l’image du chef op d’Almodovar.
Ce n’est pas follement original et Farhadi, en toute petite forme, s’offre un twist asthmatique.
Mais bon, on n’est pas là pour rigoler et Asghar Farhadi va bientôt te mettre le seum. Lors de la fiesta, l’ado de Penélope disparaît, s’ensuit une nuit d’angoisse, avant une mystérieuse demande de rançon. Passé le choc, la cellule familiale va exploser, tout le monde soupçonnant… tout le monde, et les vieilles haines recuites refont surface. Ce n’est pas follement original et Farhadi, en toute petite forme, s’offre un twist asthmatique.
Pour le reste, les acteurs font ce qu’ils peuvent. Penèlope en mater dolorosa se frotte les yeux entre deux tremblements d’effroi venus des années 50. Javier s’en sort un peu mieux, même s’il n’est pas aidé par les dialogues. La palme à Ricardo Darin, très constipé, qui balance des platitudes comme « J’ai demandé à Dieu de me tuer ou de me sauver ». Au secours ! Parce que Farhadi est un AUTEUR, il y aussi quelques considérations sur les étrangers ou même Dieu, avec en final le plan symbolique d’un employé municipal nettoyant une croix au Karcher. Bobo la tête !
Sorti de la salle, j’avais déjà oublié ce pathétique Everybody knows, qui laisse dubitatif sur le reste de la compétition de ce 71e festival de Cannes. Et surtout sur la suite de la carrière de Farhadi qui, – rappelez-vous – a quand même signé des merveilles comme A propos d’Emily, La Fête du feu ou Une séparation.
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