Supplément Damme

Photo de couverture extraite du film JCVD © Copyright Gaumont Distribution

Star déchue, clown cathodique… Jean-Claude Van Damme est devenu avec le temps un personnage aussi attachant que fascinant. Retour sur le destin d’un Belge qui s’est façonné tout seul. Seul contre tous et surtout lui-même.

Par Sylvain Monier

On est en 2008, Jean-Claude Van Damme vient de sortir le film JCVD réalisé par un cinéaste-fan, un certain Mabrouk El Mechri auparavant réalisateur de Virgil. Le film, sorte de polar hommage à Un après-midi de chien (Sidney Lumet, 1975), offre une mise en abyme de la geste « van dammienne ». Le genre de démarche plutôt appréciée par la presse en général. Cette année-là, c’est l’année du come-back (un de plus) pour le Belge qui jouit de bons articles rendant désormais ringard et hors de propos tout ricanement le concernant.

« J’habite Hongkong depuis trois ans, Tsim Sha Tsui, au 70e étage d’un building. J’ai huit parachutes. »

C’est ainsi que « Libération », un journal qui l’a toujours pris au sérieux, lui consacre une interview. Un long entretien où JCVD évoque sa carrière, la drogue, son personnage de clown cathodique et notamment son quotidien à Hong Kong où il vit avec sa famille et ses chiens au sommet d’une tour de 70 étages. Extrait : « J’habite Hongkong depuis trois ans, Tsim Sha Tsui, au 70e étage d’un building. J’ai huit parachutes. Avec ma femme et nos trois gosses, on est déjà cinq. Si jamais, on a des invités et que tout à coup ça prend feu, j’en ai trois en plus. J’ai pris l’option avec le sac, pour les clebs. »

« Huit parachutes » ? A la première lecture, cette anecdote paraît complètement extravagante. Mais en réfléchissant quelques secondes tout semble totalement signifiant, en se disant que les victimes du 11 septembre 2001 auraient sans doute apprécié de disposer de parachutes pour s’échapper d’une tour du World Trade Center en flammes…

Tel est Van Damme : un personnage singulier à la fois costaud et fragile, burlesque et visionnaire qui depuis 40 ans n’a eu de cesse de se forger une légende au point d’en devenir une de son vivant. Du reste, rien que sa venue au monde est légendaire : l’acteur serait né avec le cordon ombilical serré autour du cou. On le croit mort… Mais déjà le petit Jean-Claude Van Varenberg se bat. Vrai, faux, extrapolation ? On s’en fout, l’enfant bleu se bat déjà seul contre tous et survit.

JC est un petit garçon fluet et bigleux que son père mettra aux arts martiaux et à la danse classique.

Il grandit auprès de parents fleuristes à Berchem-Sainte-Agathe, une commune bilingue de la région Bruxelles-Capitales. JC est un petit garçon fluet et bigleux que son père mettra aux arts martiaux et à la danse classique.

Il devient ceinture-noire de karaté (option : shotokan et kickboxing), se consacre à la musculation en parallèle, et abandonne le collège à l’âge de 13 ans pour passer professionnel. Il multiplie les championnats et les trophées, devient « Mr Belgium » en bodybuilding et monte une salle de sport et de fitness.

Mais Jean-Claude rêve plus grand depuis que son père lui a fait voir Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962) au cinéma quand il était gamin : devenir une « movie star » comme Bruce Lee, Delon ou Belmondo ses idoles.

Il s’envole dans un premier temps à Hong Kong puis s’installe à Los Angeles en 1982 à l’âge de 22 ans avec son pote Mohamed Qissi – qui se fait appeler Michel Qissi pour déjouer les réticences des castings. Il bien décidé à accomplir son « american dream » mais problème : Jean-Claude, ne parle pas anglais – il l’apprendra au fur et à mesure en regardant Les Pierrafeu à la télé) – ne connaît personne à L.A. et ne sait pas jouer la comédie. Ça va être compliqué…

Le travailleur clandestin enchaîne alors les petits boulots sans green card : coach sportif, chauffeur de maître, masseur, portier dans le restaurant de l’épouse de Chuck Norris avec lequel il noue une amitié (tour à tour intéressée puis intéressante) en fréquentant sa salle de sport… Il court les castings, fait une brève apparition en karatéka gay dans un tuc baptisé Monaco Forever (1984), incarne le méchant russe dans Le Tigre rouge (1985) de Corey Yuen où il apparaît pour la première fois sous le nom de « Van Damme » (comme « Damage »).

« Une fois dans son bureau, je ne savais pas quoi faire. J’ai alors sorti ma botte secrète : mon fameux grand écart »

Jean-Claude (ou plutôt sa silhouette) est alors engagé pour incarner le Predator dans Predator mais il quitte vite fait le tournage se plaignant d’étouffer sous le costume. D’aucuns disent que JCVD voulait, en réalité, apparaître en chair et en os dans ce film. Jouer la créature se révélant trop la lose pour ce jeune homme ambitieux qui vise l’exposition totale et le haut de l’affiche. L’avenir lui donnera raison.

Un jour, il tombe sur le producteur de la Cannon, Menahem Golan, à la sortie d’un restaurant. Van Damme l’alpague à l’arrache via une démo de high-kicks et décroche un rendez-vous pour le lendemain : « Une fois dans son bureau, je ne savais pas quoi faire. J’ai alors sorti ma botte secrète : mon fameux grand écart », raconte à l’envi l’acteur pour parfaire sa légende.

Séduit par le culot et la motivation de l’impétrant qui lui assure qu’il va jouer prochainement dans Predator de John McTiernan, Golan lui propose le premier rôle dans « Bloodsport ». Entre temps, le producteur a appelé la production de Predator pour vérifier les dires de ce gamin marrant mais un peu farfelu et tombe sur une secrétaire presque bien informée qui lui assure que oui : Jean-Claude Van Damme sera bel et bien à l’affiche du film. Coup de bol…

On est en 1988, Bloodsport, un film au scénario simple (un tournoi clandestin d’art martiaux inspiré de la vie d’un certain Frank Dux), devient un succès-surprise. D’abord sorti en vidéo, le carton est tel que le film sort en salles. La carrière de JCVD est lancée aussi brutalement qu’un high-kick.

Car dès lors, il enchaîne avec Cyborg d’Albert Puyn (1989), Kickboxer (1990) et la même année Full Contact. Pour ces deux derniers, il est épaulé par son complice Mohamed Qisi pour la chorégraphie des combats qui vont, en ce début de décennie 90, imposer leur marque dans l’univers du cinéma d’action. Il y a l’affrontement avec les « poings verre pilé » dans Kickboxer et surtout l’ultime scène de combat dans Full Contact sublimée par l’art consommé du slow motion, la violence des coups portés, la grâce de l’ex-danseur JCVD face à la robustesse de son adversaire Attila (incarné par Qisi).

Dès lors, le Belge a trouvé son credo et devient pour les Etatsuniens le « Muscles form Brussels ».

Il y a aussi un supplément d’âme dans Full Contact : le regard cynique de la haute société de L.A. qui assiste à la bagarre… Aux yeux du grand public, Van Damme est alors consacré comme le working-class hero de son temps. Dès lors, le Belge a trouvé son credo et devient pour les Etatsuniens le « Muscles form Brussels ».

Il enchaîne les hits : Coups pour coups de Deran Sarafian (1990), Double impact de Sheldon Lettich où il entame cette notion de dualité (en mode Alain Delon) qui interviendra par la suite à intervalles réguliers dans sa filmo, et surtout Universal Soldier de Roland Emmerich (1992) qui sera son premier (très gros) box-office.

Jean-Claude apporte un vent de fraîcheur dans l’univers des actioneurs avec sa fan base innovante composée d’ados, de fans de films d’action mais aussi de filles et d’un public gay qui se pâment devant le physique du Belge. D’où d’ailleurs de réguliers plans-fessier dans ces séries B où JC défend la veuve et l’orphelin porté par les valeurs simples et universelles de fraternité et de de loyauté.

Les studios Universal lui font en corollaire les yeux doux et Jean-Claude passe à la vitesse supérieure avec Chasse à l’homme de John Woo (1993), TimeCop de Peter Hyams (1994) et Street Fighter de Steven E. de Souza la même année qui vont rapporter des centaines de millions de dollars. « The Muscles from Brussels » est devenu une « movie star » qui supplante Stalonne et Scwharzenegger alors en grosse perte de vitesse.

Pour les costards-cravates d’Hollywood, l’avenir du cinéma d’action s’incarne avec Van Damme. D’ailleurs, en fin connaisseur du cinéma hong-kongais, c’est lui qui a fait venir en Amérique le maître John Woo afin de régénérer le genre.

Pourtant en coulisse, ça s’est mal passé : « Les projections tests de Chasse à l’homme étaient catastrophiques. Alors j’ai complètement remonté le film avec un type qui s’appelle Scott Smith et après ça, les avis des spectateurs étaient excellents. Si je ne l’avais pas fait, John Woo serait rentré dans son pays, seul avec ses colombes. C’est un très grand réalisateur, mais il avait livré un film qui était destiné au public chinois, pas au public américain. Il n’avait pas réussi à exporter son style. Le patron d’Universal avait même dit que Chasse à l’homme était catastrophique : il fallait réagir, et vite. Je lui ai sauvé la mise mais il m’en a voulu. J’étais dévoué à sa cause, pourtant. C’est moi qui l’ai fait venir aux Etats-Unis… Une sale histoire, vraiment. », explique JCVD dans « Première » près de 30 ans plus tard.

C’est l’époque où ses « potes » (son entourage, on va dire…) le surnomment « Jean-Claude Vingt Grammes »

Autre caillou dans la godasse : la « movie star » est devenue sérieusement addict à la cocaïne et devient vraiment ingérable. On raconte que pendant le tournage de Street Fighter, le Belge a disparu des radars pendant une semaine laissant de Souza en panique. Motif : monsieur était parti faire la bringue à Macao.

C’est l’époque où ses « potes » (son entourage, on va dire…) le surnomment « Jean-Claude Vingt Grammes », où il divorce de la culturiste Glady Portugues pour se remarier avec le mannequin Darcy La Pier qui porterait bien son nom : « Une fille… superbe, mais dans le genre très sauvage, avec sa liberté d’aigle, tu sais. Le problème, c’est que je suis d’une personnalité abusive , elle m’a fait tomber dans les goodies. Je veux dire la drogue. Au début elle disait que ça nous ferait du bien même pour les plans sexe… » confesse-t-il dans « Elle » en mai 2008.

En 1995, il divorce de LaPier mais pas de la drogue. Un signe avant-coureur, son dernier film en date Mort subite de Peter Hyams (un thriller pas mal à la Die Hard qui évolue dans la patinoire de Penguins de NYC) ne marche pas autant que prévu. Universal lui propose toutefois un contrat pour trois films à 12 millions de dollars l’unité. Le jugement salement biaisé par la poudre colombienne, Jean-Claude refuse exigeant 20 millions comme Jim Carrey, la star qui monte depuis The Mask en 1994. « Ce fut la plus grosse connerie de ma vie » juge aujourd’hui le Belge à l’esprit plus clair.

Il enchaîne avec The Quest, une resucée de Bloodsport avec plus d moyens et Risque maximum du regretté Ringo Lam (surnommé le Martin Scorsese hong-kongais par Tarantino) aux succès mi-figue mi-raisin. La cata viendra avec Tusi Hark et deux films coups pour coups : Double team et Piège à Hong Kong qui achèveront de le griller à Hollywood. Sur ces deux tournages, JCVD miné par son addiction s’est montré complètement à côté de la plaque.

« John Woo, Tsui Hark, Ringo Lam. On ne peut pas dire qu’ils m’aient beaucoup remercié, hein ? »

La légende raconte même que Tsui Hark se serait vengé du Belge sur Piège à Hong Kong en sabotant son propre film. Témoin, ce montage foutraque qui insiste sur le regard coké et hagard de JC tout en lui imposant une scène où il se fait fouetter les fesses une anguille… C’est moche. Faire venir ces cinéastes hong-kongais n’était pas une si bonne idée que cela finalement ? « John Woo, Tsui Hark, Ringo Lam. On ne peut pas dire qu’ils m’aient beaucoup remercié, hein ? », juge l’acteur vaguement amère en 2008 dans « Libération » tout en reconnaissant « avoir été con et prétentieux » à l’époque.

C’est le moment d’arrêter les conneries : il part en cure de désintox et se remarie avec Gladys en 1999. Il est alors diagnostiqué bipolaire et après quelques rechutes commence à divorcer vraiment de la cocaïne. Côté cinéma, il est rangé au rayon VOD et DTV avec plus ou moins de bonheur.

Il cumule les tournages en Bulgarie, sort des films que si vendent plutôt bien entre deux come-backs sur grand écran comme JCVD (2008) ou Expendables 2 : unité spéciale (2012) où il se bastonne avec Stallone. En juillet dernier, il avouait à « Paris Match » avoir suffisamment d’argent pour faire vivre ses enfants et ses petits-enfants. Rien d’autre ne compte finalement…

Flashback : début des années 2000, JCVD est revenu de la drogue et il semble logiquement plongé dans un épisode new-age et développement personnel tout à fait classique en Californie dans un cheminement post-addiction. Un détail qui paraît alors incongru dans l’Hexagone. C’est la période des célèbres aphorismes, du «aware», où la star tricarde à Hollywood revisite (entre autres) le mythe du jardin d’Eden, prenant la défense, dans des interviews soigneusement coupées et remontées, de la pomme (pleine de pectine, ce qui est bon pour la santé) et du serpent (un animal gentil).

C’est alors que Jean-Claude Van Damme, qui digresse au cours de l’échange, se lance dans une estimation sur le futur du cinéma. Il se met à décrire la diffusion de films disponibles en quelques clics, sans téléchargement, et en échange d’une somme d’argent minime.

La télé, à l’affût de gausseries faciles, met l’acteur à l’index, le résumant à trois saillies maladroites qu’elle rediffuse inlassablement. La presse écrite en revanche ne tombe pas dans cet écueil et défend le personnage. Un épisode particulier de cette époque est revenu sur les réseaux sociaux cette année : le 16 juin 2001, Jean-Claude Van Damme est l’invité du talk-show de Thierry Ardisson : Tout le monde en parle. Et l’animateur-producteurs décide de soumettre Jean-Claude à une « interview-aware » qui consiste à revenir sur les diverses étapes de sa vie.

C’est alors que Jean-Claude Van Damme, qui digresse au cours de l’échange, se lance dans une estimation sur le futur du cinéma. Il se met à décrire la diffusion de films disponibles en quelques clics, sans téléchargement, et en échange d’une somme d’argent minime.

Un dispositif censé toucher 250 millions de spectateurs à travers le monde, jusqu’aux écrans de téléphone. Echange de regards circonspects et entendus entre Thierry Ardisson et les autres personnalités présentes sur le plateau : Paul-Loup Sultizer, Geneviève de Fontenay et Laurent Baffie. Celui-sort alors une vanne et tout le monde rigole se moquant des élucubrations de cet « huluberlu » de Jean-Claude Van Damme.

Pourtant, 20 ans plus tard on comprend que l’acteur venait, ni plus ni moins, d’annoncer l’avènement de Netflix lancée en 2007 et arrivée en France en 2014. Il est d’ailleurs à l’affiche du Dernier mercenaire de David Charhon disponible depuis le 30 juillet sur la plateforme de streaming tandis que l’on ignore en revanche où sont passés Laurent Baffie, Thierry Ardisson, Paul-loup Sulitzer ou Geneviève de Fontenay

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