Le très mystérieux Stanley Kubrick a donné naissance à un nombre incalculable d’articles, dossiers ou livres. En voici une petite sélection, huit bouquins ou albums absolument passionnants (mais attention, certains sont uniquement publiés en anglais).
Par Marc Godin
Kubrick par Michael Herr (Grove)
Mort en 2016, l’écrivain et correspondant de guerre Michael Herr a écrit l’un des meilleurs livres sur le Vietnam, Dispatches (Putain de mort), qui a révolutionné le récit de guerre. Suite, à cela, il a bossé sur les scénarios d’Apocalypse now et Full Metal Jacket. Et écrit un petit livre indispensable sur Kubrick (en gros, deux articles pour Vanity Fair), qu’il rencontre pour la première fois lors d’une avant-première de Shining. Le livre, profondément intimiste, bourré d’anecdotes, donne à voir un Kubrick humain, loin des clichés.
Stanley Kubrick’s The Shining : Studies in the Horror Film, de Daniel Olson (Centipede Press)
Le meilleur livre, et de loin, sur Shining. 300 pages d’analyses, 400 pages d’interviews fabuleuses : une compilation indispensable pour vous aider à percer les mystères de cette œuvre labyrinthique. Hautement recommandé.
The Stanley Kukrick Archives, d’Alison Castle (Taschen)
Un livre aux dimensions démentes (411 × 300 mm), publié chez Taschen, dont la première partie, admirable, reconstitue en images la filmo de SK, et la seconde l’éclaire avec des documents de travail, interviews rares, textes et notes… Définitif.
Space Odyssey : Stanley Kubrick, Arthur C. Clarke, And The Making Of A Masterpiece, par Michael Benson
Tourner 2001, c’est comme « essayer d’écrire Guerre et paix dans une auto-tamponneuse », a déclaré un jour Stanley Kubrick. Ici, Michael Benson, qui a accédé aux archives de la MGM, dévoile tout : Kubrick qui veut raconter quatre millions d’années d’évolution humaine, « depuis l’âge du singe jusqu’à l’âge de l’ange », la MGM qui souhaite imposer Henry Fonda, Jason Robards ou Jean-Paul Belmondo, l’écrivain-scénariste Arthur C. Clarke qui veut de l’argent, Andrew Birkin parti photographier les déserts africains pendant six mois, Kubrick qui examine 200 fauteuils pour la scène finale… Le meilleur bouquin sur 2001.
Kubrick par Michel Ciment (Calmann-Levy)
Universitaire distingué, journaliste à Positif, le vénérable Michel Ciment a aussi une spécialité dans la vie : il a rencontré Stanley Kubrick plusieurs fois. Ce qui en fait un critique hors norme, et pas loin d’un demi Dieu pour les adorateurs du Maître. En 1980, Ciment signait une analyse intelligente mais parfois un peu abstraite de l’œuvre de Kubrick, avec 300 photos qui célébraient le génie de Kubrick et étayaient les thèses de Ciment et, cerise sur le gâteau, trois entretiens – parmi les plus passionnants jamais réalisés – avec le maître.
A l’occasion de la sortie d’Eyes Wide Shut, Ciment a publié une « édition définitive » de son bouquin. Et c’est, bien sûr, un must, même si la maquette, très seventies, semble poussiéreuse, et que certaines photos sont de piètre qualité. Le livre contient un chapitre sur EWS, de nouveaux témoignages (Andrew Birkin, Frederic Raphael, Malcolm McDowell… et, scoop, une interview passionnante de Jack Nicholson), des photos rares sur le tournage d’EWS, certaines peintures de Christiane Kubrick (que l’on aperçoit dans le film)…
Un livre épatant, à classer dans votre bibliothèque quelque part entre le Hitchbook de Truffaut, les Mémos de David Selznick ou les Mémoires de Buñuel.
Stanley Kubrick par John Baxter (Seuil)
Déjà auteur d’un Buñuel, d’un Ken Russell, d’un Spielberg, d’un Woody Allen et même d’un Fellini, l’australien John Baxter alterne analyse et enquête biographique. Et c’est bien sûr la partie la plus intéressante de cet énorme pavé. A la manière d’un privé, Baxter a retrouvé et questionné la plupart des acteurs, amis (il en avait donc), techniciens, membres de la famille et scénaristes de Kubrick, et compilé les meilleurs articles ou interviews de Mister K.
Au fil des pages, on apprend des choses absolument ahurissantes sur le Maître : son avarice, ses projets déments (dont un porno avec le scénariste de Docteur Folamour), son goût pour le cinéma commercial (et ce, dès ses débuts ; un exemple, il voulait conclure Les Sentiers de la gloire avec un happy end, et c’est Kirk Douglas qui a imposé la séquence de l’exécution des prisonniers), ses déboires avec les scénaristes (il avait tendance à tirer la couverture et a roulé Jim Thompson au générique, ses rapports houleux avec Arthur C. Clarke ou Gustav Hasford sur Full Metal Jacket)…
Bref, c’est une mine et même le fan incollable de Kubrick en restera sur les rotules. Plus incroyable encore, si le livre éclaire d’un jour nouveau la vie de Kubrick, l’énigme reste entière et l’homme s’échappe encore. Du très beau boulot, malgré une traduction parfois approximative.
Deux ans avec Kubrick par Frederic Raphael (Plon)
Scénariste qui a eu son heure de gloire dans les années 60 – il a signé, entre autres, Voyage à deux -, Frederic Raphael a travaillé pendant deux ans avec Stanley Kubrick sur l’adaptation de Eyes Wide Shut.
Ce livre, c’est son journal, le récit d’une lutte (le scénariste contre le metteur en scène), de ses frustrations (pas facile de bosser avec Kubrick qui réclame tout le temps de nouvelles pages, qui refuse de signer un contrat, avec en plus l’épée de Damoclès au-dessus la tête : est-ce que le film se fera un jour ?), de ses doutes (que restera-t-il de son histoire après l’intervention du bulldozer Kubrick). Bref, Raphael raconte, de l’intérieur, la fabrication d’une œuvre, et c’est absolument brillant.
Par contre, on reste beaucoup plus dubitatif sur le côté règlement de comptes du livre et carrément éberlué quand Raphael prête à Kubrick des propos hitlériens (p. 184 : « Stanley Kubrick m’a dit, peu après le récent anniversaire de Hitler, que A. H. avait “ eu raison sur à peu près tout ” »). Mais on peut recouper ces allégations avec le livre de Baxter quand celui-ci parle à plusieurs reprises de la fascination absolue de Kubrick pour le nazisme et évoque son projet sur Albert Speer. Même s’il laisse un drôle de goût dans la bouche, le livre de Raphael se lit comme un vrai polar
Eyes Wide Shut (Pocket)
Ce petit bouquin offre la nouvelle d’Arthur Schnitzler, Rien qu’un rêve, couplée avec le scénario signé Kubrick et Frederic Raphael. Si la nouvelle est très classique et plutôt poignante, le scénario de Kubrick et de Raphael est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord (et c’est anecdotique), ce n’est pas le scénar définitif : il manque des répliques entières (à comparer avec la version filmée donc).
L’intérêt est ailleurs. Dans les manques, dans les creux. Car si on lit ce scénar sans avoir vu le film de Kubrick, on ne découvre que des personnages fantomatiques, sans aucune profondeur, des situations usées jusqu’à la corde, des rebondissements prévisibles…
Mais à la vision du film, tout s’éclaire. Kubrick a transformé ce matériau basique, transcendé une nouvelle fois la réalité avec un « simple » travelling ou un morceau obsédant de Ligeti. Son scénario, qu’il réécrivait au jour le jour, est juste un canevas. Si le fond dicte la forme, la forme, grâce à la mise en scène extraordinaire de Kubrick, propulse le film dans un « ailleurs » que peu de cinéastes ont pu fréquenter (Fellini, Bergman, Kurosawa, qui d’autre ?). Et on se rappelle ce qu’ont été presque tous les films de Kubrick : des expériences non verbales, des voyages aux tréfonds de l’inconscient.
A lire également :
Stanley Kubrick : perfection et obsession