Agnès B. : mes films à moi

Photo de couverture © Kazouohishi

Créatrice de mode, galeriste, mécène… Agnès Troublé alias Agnès b. est également une cinéphile exigeante aux goûts divers et variés. Elle a aussi aidé beaucoup de cinéastes à boucler leur budget. Petit condensé de ses films préférés.

Propos recueillis par Sylvain Monier

Trash Humpers de Harmony Korine (2009)

« Derrière l’aspect provocateur, trash et punk, il y a une authentique œuvre d’art selon moi. Harmony Korine rend un hommage poétique à l’esthétique VHS et cette tradition des masques dans les arts américains. Visionnaire, il annonce surtout l’influence de cette Amérique white trash que personne n’a voulu voir venir. Celle de ces gens délaissés qui finiront par voter Donal Trump huit ans plus tard. »

Regardez la bande-annonce de Trash Humpers

Love Streams de John Cassavetes (1984)

« Ce récit entre ce frère et cette sœur qui finissent par se retrouver, alors que le vide s’est progressivement construit autour d’eux me bouleverse à chaque visionnage. J’ai rencontré Gena Rowland à Cannes pour, entre autres choses, lui demander la permission d’utiliser le titre de ce film pour celui de ma société de production. J’adore cette femme. D’ailleurs, la maison Agnès b. travaille actuellement sur les costumes d’Isabelle Adjani qui va prochainement jouer Opening Night au théâtre des Bouffes du Nord. »

Regardez la bande-annonce de Love Streams

L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison (1968)

« Il y a une vraie élégance qui émane de ce film, dans son esprit, sa réalisation, ses costumes… La scène de la partie d’échecs entre Steve McQueen et Faye Dunaway reste toujours imparable puisque très drôle et audacieuse. Et puis cette partition incroyable de Michel Legrand ! D’ailleurs à chaque fois que je vais dans un bar où il y un pianiste, je lui demande toujours de jouer Les moulins de mon cœur. »

Regardez un extrait de L’Affaire Thomas Crown

Les amour d’une blonde de Milos Forman (1965)

« Il s’agit du deuxième long métrage de Milos Forman qui vivait encore sa période tchécoslovaque. Il relate les amours émancipateurs mais déçus d’une jeune fille et annonce, par conséquent, ce désir de liberté – violemment oppressé – qui agitera le pays trois ans plus tard, au printemps 1968. J’adore singulièrement le début du film quand on voit et entend ces ouvrières en usine qui chuchotent entre elles derrière l’autorité des petits chefs. C’est très beau. »

Regardez un extrait des Amours d’une blonde

The Party de Blake Edwards (1968)

« C’est une comédie culte que je revois invariablement à mes enfants. Avec eux, j’ai dû le projeter une bonne quinzaine de fois. Il s’agissait de leur film préféré avec Bagdad Café également (de Percy Aldon, 1988). »

Regardez la bande-annonce de The Party

Farinelli de Gérard Corbiau (1995)

« On a longtemps cru que qu’il s’agissait d’une kitscherie. Or, il n’en est rien. Je l’ai revu récemment et il traverse admirablement le temps. Et vous pouvez me croire, j’ai été élevée à Versailles, donc le XVIIIe siècle, je connais bien. Dans le même registre, il y aussi Meurtres dans un jardin anglais de Peter Greenaway (1982) qui tient parfaitement la route. Cette appétence pour l’opéra ? Elle me vient certainement de ma mère qui adorait cela. »

Regardez un extrait de Farinelly

Accatone de Pier Paolo Pasolini (1961)

« L’œil bienveillant de Pasolini vis-à-vis de la jeunesse des bidonvilles italiens dans les années 60 est saisissant. Et cette esthétique néo-réaliste qui trouve son origine via une image très blanches n’est pas pour me déplaire. Quant à l’idée d’accompagner les pérégrinations du personnage principal par la musique de Bach, c’est tout simplement génial. »

Regardez un extrait d’Accatone

1900 de Bernardo Bertolucci (1976)

« La scène où Attila, le chef des Chemises noires incarné par Donald Sutherland, viole et tue un petit garçon m’a terrifiée quand je l’ai vu pour la première fois. Des années après, j’ai rencontré Sutherland à la faveur d’un dîner et je lui ai rappelé toute l’horreur que m’avait inspiré cette scène. Il a alors fait écouler le vin qu’il avait dans la bouche sur sa chemise de smoking blanche en me demandant rigolard : « Et là, je vous terrifie encore ? » Et puis il a continué son dîner avec sa chemise souillée, comme si de rien n’était. Il est vraiment marrant ce Sutherland. »

Regardez un extrait de 1900

Let’s Get Lost de Bruce Weber (1988)

« Ce documentaire sur Chet Baker réalisé par Bruce Weber est magnifique. J’y ai participé indirectement puisque j’habillais Chet à ce moment-là. Il revendait alors les vêtements pour s’acheter de la dope, je lui fournissais alors d’autre pièces et ainsi de suite… J’adorais Chet que j’ai vu une semaine avant sa mort. On était au New Morning, il venait de faire un concert de deux heures. Je me souviens qu’on était au bar et qu’il me regardait avec son regard si profond et triste à la fois… Bruce Weber vient de sortir un documentaire sur Robert Mitchum (Nice Girls dont stay for breakfast) que la maison Agnès b. soutient activement. »

Regardez la bande-annonce de Let’s Get Lost

Vous avez toujours été impliqué dans le cinéma en aidant financièrement certains cinéastes…
Agnès b. : Oui, j’ai aidé Claire Denis, Jonathan Caouette, Harmony Korine, Patrice Chéreau ou Gaspar Noé à ses débuts. Celui-ci a été très correct en me rendant l’argent d’ailleurs. Son court-métrage Carne (1991) a été une grosse claque, pareil pour Seul contre tous (1998) ce film très célinien avec Philippe Nahon. Ses derniers films m’ont moins convaincue en revanche. Climax ? C’est très bien filmé, son sens du cadrage est incroyable mais il y a des trucs en trop. Des éléments très douloureux qui ne sont pas utiles, selon moi. »

Regardez un extrait de Seul contre tous de Gaspar Noé – 1998

Vous habillez toujours certaines personnalités du cinéma ?
Agnès b. : Oui, depuis 25 ans, je fais un costume et des chemises pour David Lynch. De lui, j’ai adoré Twin Peaks et Blue Velvet bien qu’il m’ait un peu perdue sur son dernier film… Il y a eu aussi Reservoir Dogs et les fameux costards noirs des protagonistes et John Travolta sur Pulp Fiction. Dix ans après, celui-ci m’a recommandé la même veste qu’il portait sur ce film.

Regardez la scène de danse dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino – 1994

Parlez-moi du long métrage que vous avez réalisé Je m’appelle humm… en 2014. Un film qui traite de l’inceste entre un père et sa petite fille de 11 ans…
Agnès b. : Je tiens à préciser que ce film n’a rien à voir avec mon père que j’adorais. J’ai été victime d’un oncle qui m’aimait trop. Il avait 45 ans et moi 12 ans… Ce film n’est pas mon histoire mais je ne suis pas dupe pour autant. Je l’ai écrit en deux jours, comme un besoin d’exorciser tout cela. Le tournage a duré six semaines. J’avais très peu de temps et d’argent et ce n’était pas évident. Il est resté six mois à l’affiche au Japon, il a été sélectionné à la Mostra et j’ai gagné un prix à Abu Dhabi. Le fait est qu’il a mal été distribué en France, pas au bon moment en tout cas. C’est un road-movie initiatique qui m’a rappelé les longues virées en voiture que je faisais mon père. Je me dis aujourd’hui que le premier film que j’ai vu, c’était ça : le paysage derrière le pare-brise de la CX Concorde de mon père. »

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