Son nouvel album, Même pas sommeil, est inspiré de son expérience de vie américaine. Au cinéma, CharlElie Couture avait débuté en 1983 avec la B.O., magistralement sombre, du Tchao Pantin de Claude Berri. Plus d’une vingtaine ont suivi dont des chansons pour la délicieuse saga Toy Story. Le rendez-vous avec ce passionné du grand écran était donc immanquable.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Vous avez signé au long de votre carrière 22 des musiques de films. Comment ce lien avec le cinéma s’est-il noué ?
Quand je suis entré aux Beaux-Arts, j’avais pour rêve de devenir réalisateur de cinéma. J’espérais, par le biais du film réunir à la fois l’image, le texte et le son. J’avais l’idée qu’en sachant dessiner, je pourrais rentrer dans le cinéma. Je n’étais pas très doué en mathématiques et, à l’époque, c’était les maths qui faisaient la différence pour l’entrée à l’Idhec. J’aurais pu y rentrer peut-être par le biais de la déco…
Finalement, je me suis inscrit aux Beaux-Arts mais avec ce rêve toujours tenace de faire du cinéma. Chaque fois que j’ai eu une relation avec l’écriture, j’ai essayé de la rendre très visuelle. Mes chansons se « visionnent ». Je m’oblige à une logique. Si je décris un personnage, je commence par ses bottes pour passer à sa ceinture puis à son chapeau. Plutôt que de décrire un sentiment, je vais choisir de le mettre en image.
Regardez Les nuits sont trop longues, la musique de Tchao Pantin de Claude Berri, signée CharlElie en 1983
C’est cette relation forte que j’ai avec le cinéma. Alors, bien entendu, lorsqu’on m’a demandé d’écrire des musiques de film, chaque fois que je lisais le scénario, j’entendais déjà la bande-son de manière implicite. Pour moi, la musique d’un film, c’est comme la surface au sol : selon que c’est du gravier ou de la moquette, des dalles en ciment ou de la tomette, on évolue dans un confort différent. La musique, c’est ce qui va porter le spectateur sur une sensation, une humeur. C’est toujours comme cela que j’ai abordé les musiques qu’on me demandait de faire.
« Le premier film qui a eu une réelle influence sur moi en termes de musique et de cinéma, c’est Ascenseur pour l’échafaud »
Les films qui vous ont marqué ou influencé en tant qu’artiste ?
Là, c’est une question « cowboy » ! Le premier film qui me vient à l’esprit, qui a eu une réelle influence sur moi en termes de musique et de cinéma, c’est Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle. Surtout pour la musique de Miles Davis. Après ça, chaque fois que j’ai « pensé » trompette, j’ai toujours cité cette bande-son comme une de celles qui m’auront artistiquement construit.
Polanski aussi. J’hésite entre Le Couteau dans l’eau et Le Locataire. Le scénario de ce dernier était signé de Roland Topor. J’avais bien aimé cette proximité. Je garde un grand souvenir de Zabriskie Point d’Antonioni aussi. Il y a également The Servant de Joseph Losey, un film dont j’aimais bien la construction et le drame à la Pinter, cette ambiance très grave dans laquelle se métamorphosent les personnages comme des cristaux dans une kaléidoscope.
M le Maudit de Fritz Lang pour la peur omniprésente et un rapport au monde très angoissant. Little Big Man d’Arthur Penn pour la relation différente que se forge le personnage de Dustin Hoffmann avec les autres : tout d’un coup, dans le cinéma américain, les indiens devenaient des gens comme les autres. Et puis, très important, L’Evadé d’Alcatraz de Don Siegel.
Regardez un extrait d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, mis en musique par Miles Davis en 1957
Quand je suis allé à Alcatraz, moment absolument incroyable d’être face à l’étroitesse des cellules, dont se sont supposément échappés ces mecs-là, c’était très impressionnant. Un moment pour moi de méditation sur le rapport sur la patience.
Qu’est-ce qu’un bandit au juste ? Un bandit, c’est quelqu’un qui refuse le temps. Il veut la fille avant de la séduire : il la viole. Il veut l’argent avant de l’avoir gagné : il le vole… etc. Tout d’un coup, de me retrouver à Alcatraz, avec la bande-son du film, somptueuse, dans les oreilles, j’avais l’impression d’y être comme à l’époque.
Là, ce n’était plus un mythe. Il y avait le froid, la promiscuité, la solitude… Et je ne suis resté qu’une heure ! Qu’est-ce que ce serait si je devais y passer une vie ?
« J’adore quand un film me subjugue et bouleverse mes idées pré conçues. »
Sur les 22 bandes originales que vous avez signées, quelle collaboration reste la plus mémorable ?
La Salle de bain de John Lvoff dans lequel jouais mon frère Tom. Je me rappelle particulièrement les premières versions de musique que j’avais données à John et qui ne le satisfaisaient qu’à moitié. J’avais pourtant l’impression d’avoir vu juste dans l’approche. Lui faisait un peu la tronche. Je lui demande : « Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu m’as bien dit que c’était un film en noir et blanc pourtant… » Je n’avais lu que le scénario à ce moment-là.
Je n’avais encore vu aucune image. John me répond : « C’est plutôt un film en blanc & noir. » C’est-à-dire que le noir ne définissait que des ombres par rapport au blanc. Là, j’avais compris. Les partitions que j’avais composées pour des cuivres – saxophone, instruments un peu brillants… -, je les ai transposées pour des instruments secs – hautbois, clarinette et compagnie. Du coup, ça a collé.
Regardez la bande-annonce d’Amanda de Mikhaël Hers, un des coups de cœur 2018 de CharlElie
Vous faites partie des votants pour la cérémonie des Césars. Quels ont été vos coups de cœur pour 2018 ?
C’est quelque chose que je prends très au sérieux. Je m’oblige, chaque année, à regarder les quelques cent films qu’on nous envoie. Et j’ai vu des choses vraiment formidables. Ce coup-ci, j’ai adoré Jusqu’à la garde. J’ai été très ému et suis ravi de voir que je n’ai pas été le seul. J’ai aussi beaucoup aimé Les Frères Sisters.
C’est un film que je trouve intelligent à tout point de vue, dans chacune de ses inventions. Au niveau des documentaires, Ni Juge, ni soumise m’a beaucoup plu. Un portrait dans le style de Strip-tease, le magazine belge. Et Amanda. Moi qui ne suis pas fan de Vincent Lacoste, je l’ai trouvé excellent cette fois. J’adore quand un film me subjugue et bouleverse mes idées pré conçues.
Regardez le clip de Toi ma descendance, extrait du nouvel album de CharlElie Couture
Même pas sommeil de CharlElie Couture.
Label : Rue Bleue. 14,99€. 9,99€ en téléchargement.
Dates de concerts sur : www.charlelie.com
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