Bertrand Blier : « Mes Films à moi »

Le réalisateur qui a électrifié la France plan-plan et son cinéma avec Les Valseuses, il y a 47 ans, s’est prêté pour SEE au jeu de « Mes films à moi ». De Ingmar Bergman à Albert Dupontel en passant forcément par Bernard Blier et Gérard Depardieu, le cinéaste se confie sur ses films préférés et décrypte une partie de sa filmo.

Par Christelle Laffin

Selon Vincent Pérez, fondateur des Rencontres 7 e art Lausanne qui se se sont déroulées du 26 avril au 2 mai, qui avaient donné l’occasion à Bertrand Blier d’y présenter une masterclass et de projeter deux de ses films, « Les Rencontres 7e Art Lausanne célèbrent les artistes qui ont contribué à repousser les limites du cinéma. »

Un univers unique

Inclassable, en dix-neuf longs-métrages, Bertrand Blier, fils de l’immense comédien Bernard Blier, figure incontournable du cinéma français d’après-guerre, a fait mieux que cela. Il a su imposer un univers unique, entre dialogues audacieux, situations cocasses et un certain désenchantement, portés par des acteurs-fétiches qu’il aime faire jouer à contre-emploi, dont Gérard Depardieu, sa « muse » (8 films ensemble).

Depuis Convoi exceptionnel, en 2019, il travaille à un projet littéraire « qui ressemble à un roman, dans lequel il sera un peu question de son père.» Ce grand admirateur de David Lynch et de Stanley Kubrick, dont il avoue « s’inspirer de temps en temps, notamment d’Orange Mécanique pour Les Valseuses » place sa passion des comédiens au-dessus de tout.

Un style provoc’, surréaliste et souvent désespérément drôle

Sa cinéphilie ? Eclectique. « Je vois tout, des bons et des mauvais films. Car ce sont les acteurs qui m’intéressent. Je les adore. Ça finit par fabriquer un bonhomme… » Et une carrière. Le cinéaste au style provoc’, surréaliste et souvent désespérément drôle, nous donne ici un avant- goût de sa leçon de cinéma, au travers de ses œuvres phares, celles qui l’inspirent et ceux qui les font.

MES FILMS A MOI

Sonate d’Automne – 1978

Film d’Ingmar Bergman avec Liv Ullmann, Ingrid Bergman…

« Il reste un de mes films de chevet. J’aime toutes les œuvres de Bergman, mais celle-ci est plus immédiatement bouleversante que les autres. C’est une histoire très pure : une tentative de retrouvailles entre une mère, pianiste célèbre et sa fille, après des années de séparation. Un huis clos sidérant. Bergman met extrêmement bien en scène le thème des violents non-dits familiaux, qui lui est si cher. Les actrices, Ingrid Bergman, dans son dernier rôle à l’écran et Liv Ullmann, y sont grandioses. Un des plus beaux films que j’ai vus. Pas beaucoup de défauts ! »

La Soif du Mal – 1958

Film d’Orson Welles avec Charlton Heston, Janet Leigh, Orson Welles…

« Dès l’incroyable plan séquence d’ouverture de 3 minutes (le plus long jamais réalisé à la grue, ndlr), Welles nous nous plonge dans un bain de cinéma merveilleux. On est séduit par sa réalisation : le scénario de ce polar où il se met en scène en flic ripou face à Charlton Heston en homologue mexicain idéaliste, est quasi-inexistant : dix pages max. Le film repose sur sa mise-en-scène. Je le revois régulièrement. Il met de bonne humeur quand on n’a pas le moral. Le dernier long-métrage de studio de l’ex-enfant prodige d’Hollywood. Un génie rare. Je suis admiratif, mais les cinéastes français n’ont pas les moyens de réaliser de tels films. On ne peut pas se dire « je peux faire aussi bien. » C’est comme regarder des jeux olympiques… »

Magnolia – 1999

Film de Paul Thomas Anderson avec Julianne Moore, Tom Cruise, Philipp Seymour Hoffman…

« Je suis sensible à la dimension musicale dans cette œuvre chorale. Un film de charme, de séduction, d’atmosphère. On ne sait pas pourquoi on l’aime. Les acteurs y sont parfaits. Quand Tom Cruise joue aussi bien, c’est que le réalisateur a réussi son coup. »

Adieu les Cons – 2020

Film d’Albert Dupontel avec Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié…

« Quand un acteur talentueux passe à la réalisation, cela peut donner La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. Je suis très cinéma français, mais je dois avouer que notre public est moins curieux de nouveauté, moins à la fête au cinéma que les américains. Je ne suis pas fan de la majorité des comédies françaises actuelles, et je trouve que ce sont les acteurs qui « font » la comédie. J’ai beaucoup aimé Adieu Les Cons car c’est un cinéma qui me parle beaucoup, forcément. J’attends qu’Albert (qu’il a dirigé dans Le Bruit des Glaçons, ndlr) réalise plus de films. Il fait du bien à notre cinéma, je trouve réconfortant qu’il rencontre un tel de succès public et critique. »

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MA FILMO A MOI

Les Valseuses -1974

Avec Patrick Dewaere, Gérard Depardieu, Miou Miou…

« J’avais réalisé mon premier long métrage, Hitler connaît pas, onze ans plus tôt. Du cinéma vérité. Pour monter un film, il faut écrire quelque chose. Je n’avais pas l’histoire, juste quelques paragraphes et quelques répliques. Une ébauche de scénario. J’ai donc d’abord écrit Les Valseuses sous forme de roman. Comme il a bien marché, il a ouvert la danse. Les producteurs m’ont contacté pour en acheter les droits, et c’est là que je me suis rendu compte que tout le monde avait envie de voir le film. Il s’est monté assez facilement, dans l’enthousiasme général, qui nous a accompagné jusqu’à la sortie en salles. C’était une espèce de conte de fées, le genre de choses qui n’arrivent qu’une fois. Une alchimie extraordinaire. Il faut engager Gérard Depardieu pour réussir certains films. Cela fait partie des bonnes décisions. Et Patrick, bien sûr. »

Préparez vos mouchoirs – 1978

Avec Carole Laure, Patrick Dewaere, Gérard Depardieu … Oscar du meilleur film étranger 1979.

« Recevoir l’Oscar ? Cela m’a donné de l’énergie, et de la crédibilité pour parler aux producteurs et distributeurs. Les gens avec qui l’on se bagarre, d’habitude. Quand on arrive de Los Angeles et qu’on dit : « j’ai un Oscar », évidemment, les conversations se déroulent de façon plus décontractée. Faire carrière à Hollywood après ça ? Je n’y ai pas songé. Car mes films reposent sur les dialogues et l’écriture avant tout. Je ne compte pas m’aventurer dans une langue que je ne maîtrise pas.  Il vaut mieux être français et tourner Touchez pas au Grisbi plutôt que d’aller chercher des difficultés en Amérique. Et puis mes personnages sont souvent des voyous français. Plus prétentieux, donc plus intéressants ! »

Buffet Froid  – 1979

Avec Bernard Blier, Michel Serrault, Gérard Depardieu, Carole Bouquet…

« Mon processus créatif, pour un scénario : je pars d’une phrase de dialogue, en général. Je réagis en écrivain. Je pose la première phrase, et après je me débrouille. Les personnages arrivent ensuite. Invités par moi, ou ils s’invitent d’eux-mêmes. J’ai écrit le scénario en sept jours. Sans aucun effort, je l’ai « reçu », couché sur le papier, inspirée par Depardieu, qui se baladait tout le temps à l’époque avec un couteau : « J’ai un couteau sur moi, je vous le mets dans le ventre, quel effet cela vous fait-il ? »  Je ne suis pas un auteur facile à analyser. Ecrire un film, c’est une chose. Cela prend de 7 jours à 6 mois. Mais trouver son financement ? Toujours une autre paire de manches. J’ai pas mal de scénarios non réalisés dans mes placards, qui ne verront jamais le jour, car je n’ai pas le courage de les dépoussiérer à mon âge. »

Merci La Vie – 1991

Avec Charlotte Gainsbourg, Anouk Grinberg, Michel Blanc…

« Peut-être mon préféré. Je regrette qu’il n’ait pas trouvé son audience. Le public est lunatique, mes films le sont aussi. J’aime le cinéma déjanté. Cela donne des rencontres improbables, volatiles. Heureusement de temps en temps ça marche, quand même. Après Trop belle pour toi, un film très consensuel, très bourgeois, et qui a eu beaucoup de récompenses, on me permettait de faire ce que je voulais. Mais j’ai d’abord été tenté par un Valseuses au féminin, un nouveau road movie, mais avec des filles. Savoir si j’en étais encore capable. J’ai écrit tout ce qui me passait par la tête, et le road movie est parti en vrille. Je me suis dirigé vers quelque chose de différent. J’en suis fier, car c’était une véritable démarche d’artiste. »

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