Nora Hamzawi : Mes films à moi

Article publié le 18 mars 2023 et mis à jour le 25 juillet 2023

PHOTOS DE COUVERTURE © INDIA LANGE

Nora Hamzawi a bien des talents. Humoriste décapante, autrice de spectacles hilarants, elle est aussi une comédienne exigeante. Après avoir travaillé avec Olivier Assayas, Nicolas Pariser, Jacques Doillon et Laëtitia Masson pour Un hiver en été, en salle le 26 juillet, Nora Hamzawi tourne actuellement sous la direction de Pascal Bonitzer. Avec enthousiasme, elle a joué le jeu de Mes films à moi. L’occasion pour Nora de parler de ses films de cœur et d’évoquer – scoop ! – les thèmes de son futur spectacle.

Par Grégory Marouzé

Nora, quel est ton rapport au cinéma ?
Mon rapport au cinéma est comme pour l’art en général, que ce soit la littérature, la peinture… J’ai toujours eu le sentiment que je n’avais pas appris assez et qu’on ne m’avait pas assez éduqué à ça. Donc, pendant longtemps, j’ai eu un rapport assez complexé au cinéma. J’ai mis beaucoup de temps à découvrir des films, que j’aurais dû découvrir bien avant.

Je n’ai pas une grande culture cinématographique. J’ai eu des coups de cœur, des trucs de jeunesse, mais je n’ai pas tellement eu d’éducation sur l’art en général. Donc, j’ai un rapport où j’ai un peu l’impression d’être encore une enfant qui découvre des œuvres, des classiques. Je m’éduque un peu à ça. C’est aussi un travail que je fais, de découvrir des choses auprès desquelles je suis passée. Je m’en suis vraiment rendue compte pendant le confinement, comme plein de gens. Je me suis retrouvée à voir des classiques, à découvrir des films dont je me disais “c’est dingue que je n’aie pas vu ça plus tôt”.

« Mon frère m’envoyait régulièrement des DVD à regarder. Il me disait “il faut que tu découvres ça !” »

As-tu découvert le cinéma un peu toute seule ? 
Oui un peu toute seule, et je t’avoue que mon frère1 m’a beaucoup poussé à l’époque où il faisait ses études de cinéma aux États-Unis. Il m’envoyait régulièrement des DVD à regarder. Il me disait “il faut que tu découvres ça !”, comme quand j’étais petite et qu’il habitait encore à Paris, avant de partir pour les États-Unis. Il essayait de me faire découvrir les Antoine Doinel et d’autres choses. Mais j’étais petite donc, à la fois, ça me plaisait, et j’avais un regard intimidé sur les films, et mon grand frère qui me parlait de cinéma. Il continue à être dépité à l’idée que je n’ai pas vu certaines choses. Il essaie de faire mon éducation et à me dire ‘il faudrait que tu voies ça, ça, ça ! C’est dingue que tu n’aies pas encore vu ça !” il a eu un peu ce rôle-là. 

Es-tu plutôt cinéma en salle ou à la maison ?
J’estime que je ne vais pas assez au cinéma. Quand j’y vais, j’adore ça et j’adore y aller. J’aime aller seule au cinéma ! Je trouve que c’est vraiment une activité solitaire. J’aime aller aux séances de 11h. Mon boulot me permet de pouvoir aller au cinéma tôt, en semaine. Je crois que, arithmétiquement, j’ai vu plus de films chez moi qu’en salle, mais je préfère l’expérience de la salle.

Es-tu plutôt cinéma intimiste ou blockbusters ?
Je suis clairement plus cinéma intimiste, sachant que les derniers blockbusters que j’ai vus sont davantage liés à l’enfance. 

« J’avais peut-être des préjugés sur le cinéma d’auteur, les cinéastes, mais aussi parce que ce sont des choses que j’avais entendues. »

As-tu l’impression que le cinéma t’a fait grandir ? Et penses-tu que ta vision du cinéma a évolué depuis que tu es comédienne ?
Quand j’étais plus jeune, je pense que je voulais déjà être comédienne. Comme j’avais un gros désir d’indépendance, le fait d’être dépendante du désir de quelqu’un, de directeurs de casting, me donnait le sentiment que ça allait développer des failles très problématiques chez moi. C’est pour ça aussi que j’ai écrit mon propre spectacle, que je me suis mise à jouer seule.

Je me suis quand même raconté cette histoire qui me disait que les choses sont très cloisonnées, qu’en étant humoriste, je ne ferai pas le cinéma qui m’intéresse, qu’on n’allait m’appeler que pour des grosses comédies. Sachant que j’adore la comédie hein… mais on ne m’a pas encore appelée pour une comédie qui m’intéresse plus que ça. J’adorerais qu’il y ait plus de meilleures comédies d’ailleurs. En comédie, j’adore le cinéma de Sophie Letourneur2. Je trouve ça génial ! J’aimerais qu’il y ait plus de films comme ça…

On va dire que, petit à petit, quand je me suis mise à tourner, quand Olivier Assayas m’a rencontrée, quand j’ai fait ces films-là, je pense que ça m’a un peu décomplexée. Je me suis rendu compte que les choses étaient plus ouvertes. J’avais peut-être des préjugés sur le cinéma d’auteur, les cinéastes, mais aussi parce que ce sont des choses que j’avais entendues.

« Je me suis dit que je m’étais peut-être racontée des histoires et qu’on peut appartenir à plusieurs choses. »

Plus jeune, on me disait que tel réalisateur ne voulait pas avoir d’humoristes dans ces films. Et aussi parce que je faisais de la télé, et que cela te catalogue un peu vis-à-vis du milieu du cinéma. Mais à force de tourner avec des cinéastes qui font du cinéma d’auteur (même si le mot ne me parle pas forcément plus que ça), je me suis rendu compte que c’était facile. Le langage, les discussions avec les comédiens, les réalisateurs, étaient fluides. Du coup, je me suis dit que je m’étais peut-être racontée des histoires et qu’on peut appartenir à plusieurs choses.

Parmi les cinq films préférés que tu as choisis, les deux premiers semblent attachés à l’enfance et/ou l’adolescence. On commence par E.T. l’Extra-terrestre, que Steven Spielberg réalise en 1982. Tu n’as pas pu voir E.T. à sa sortie car tu n’étais pas née…
(rires) Non, je n’ai pas pu le voir à sa sortie ! C’est mon film préféré au monde, mais je suis incapable de dire quand je l’ai découvert. Je ne me souviens pas de la première fois où je l’ai vu. Je pense que j’étais toute petite. J’ai juste l’impression que ce truc-là a construit une partie de ce que je suis… c’est très difficile à définir… mais le film a construit mon rapport à l’imaginaire, aux croyances, à l’enfance, même à mes chats !

« Je me souviens que quand j’étais petite, la scène où E.T. est malade, qu’il est dans le laboratoire, entouré de scientifiques, me paraissait d’une violence inouïe ! Je pleurais toutes les larmes de mon corps. Et puis, quand je l’ai revu, je me suis dit que ces scientifiques du laboratoire étaient moins méchants que je me l’étais imaginé. »

J’ai du mal à comprendre l’attachement que j’ai pour ce film, que je considère comme un chef-d’œuvre. Mais c’est vrai qu’il m’a touché d’une manière assez intime. Je pense que ça raconte quelque chose sur la perte, l’abandon. Ça m’a peut-être parlé parce que je n’avais qu’un parent. Voir des enfants qui vivent leur vie, sans leurs parents, découvrent l’amitié, la responsabilité, l’amour, l’aventure, dans un rapport un peu secret, il y a quelque chose qui me touche beaucoup là-dedans.

Et c’est marrant, parce qu’au fur et à mesure des années, quand je le revois, le film fait écho à des choses très différentes. Je me souviens que quand j’étais petite, la scène où E.T. est malade, qu’il est dans le laboratoire, entouré de scientifiques, me paraissait d’une violence inouïe ! Je pleurais toutes les larmes de mon corps. Et puis, quand je l’ai revu, je me suis dit que ces scientifiques du laboratoire étaient moins méchants que je me l’étais imaginé.

Le film est beaucoup moins triste que je le pensais. Je trouve ça joyeux qu’E.T. retrouve sa famille, les siens, à la fin du film. Alors que petite, j’étais bouleversée à l’idée qu’E.T. parte. Je trouvais ça vraiment horrible ! Qu’il retourne sur sa planète et quitte Elliott, me donnait l’impression qu’on m’arrachait un truc. Donc, je pense qu’on projette des trucs. C’est marrant car, depuis que je suis devenue mère, quand on me demande ce qu’est la maternité, je réponds “c’est comme E.T. et sa fleur.” Il y a un truc qui est toujours connecté, quoi.

Faisons de la psychanalyse de bazar : est-ce qu’E.T. te plaît aussi parce que tu te sens un peu extra-terrestre ?
Je ne sais pas, non. Je ne suis même pas sûre. À l’époque, quand j’étais petite, je pense que je m’identifiais plus au petit garçon. En revanche, je pense que ce qui me plaît, c’est qu’il y a de l’empathie. J’aime ce petit garçon qui ne craint pas cet extra-terrestre qui est si différent. Mais je ne me sens pas particulièrement extra-terrestre, moi ! (Rires)

On en arrive à La Boum. Ce film culte et générationnel, que Claude Pinoteau réalise en 1980. Pourquoi La Boum ?
Ah, La Boum ! Parce que je suis obsédée par l’adolescence. Je trouve que c’est un âge vraiment merveilleux et, pour autant, je n’y retournerais pour rien au monde parce que je trouve ça très violent. Même si plus tard, on vit des bonheurs beaucoup plus grands, il y a quelque chose qui est unique dans l’adolescence : c’est l’âge de la découverte du premier sentiment amoureux, de la première déception amoureuse.

« Dans l’adolescence, tout est grave. Tout est sur la même échelle d’importance. Tout est intense. C’est un truc que je garde beaucoup en moi et que j’essaye même d’entretenir. »

Dans l’adolescence, tout est grave. Tout est sur la même échelle d’importance. Tout est intense. C’est un truc que je garde beaucoup en moi et que j’essaye même d’entretenir. Il y a vraiment des moments où le temps, l’air, les odeurs, me rappellent cette liberté qu’on a à cet âge. La Boum porte cette découverte de l’amour et de l’intensité de cet âge-là. J’aime énormément ce film aussi parce qu’il a été tourné dans Paris. Ça, je l’ai réalisé plus tard.

J’adore voir Paris au cinéma. C’est pareil pour d’autres films que j’ai choisis comme Les Nuits de la pleine lune, avec ses cafés. J’ai l’impression d’être nostalgique d’une époque que je n’ai pas complètement connue. Quand je vois les bus, ça me renvoie à des souvenirs, parce que les anciens bus RATP, pour le coup, je les ai connus. Il y a un truc qui me touche infiniment dans La Boum et chez Sophie Marceau. Elle est parfaite !

A quel âge découvres-tu La Boum ?
Je ne sais pas. C’est horrible, je n’arrive pas à me souvenir du tout. Tu vois, c’est marrant, je me souviens qu’on regardait beaucoup avec ma sœur Diabolo mentheet La Baule-les-Pins4, qu’on a adorés. Parmi ces films, il y avait aussi La Boum mais j’ai moins de souvenirs. Je me souviens juste qu’étudiante, donc beaucoup plus tard, vers 25 ans, quand j’ai habité seule, je le regardais tout le temps. Presque une fois par mois ! Il y avait un truc qui me rassurait. J’avais à nouveau ce sentiment de liberté. On habite seul pour la première fois. On a un quartier à soi pour la première fois. Enfin, il y avait un truc qui me renvoyait à cette liberté-là.  Et pour autant, je ne m’identifie pas du tout à ce type d’adolescence.

« Même si tout est grave pour elle, en fait, rien n’est grave. Tout est léger. Elle a des parents qui sont là, qui sont aimants, ses petits copains sont très fonctionnels et très mignons. »

C’est vraiment le type d’adolescence que j’aurais aimé avoir et le type d’adolescente que j’aurais aimé être. Même si tout est grave pour elle, en fait, rien n’est grave. Tout est léger. Elle a des parents qui sont là, qui sont aimants, ses petits copains sont très fonctionnels et très mignons. C’est assez idéal tout ça. Ces enfants sont tous très mignons. Il n’y a pas de problèmes. D’ailleurs, je pense que si le film est aussi réussi, c’est parce qu’il n’a pas de problèmes. Dans la configuration inverse, ça n’aurait pas du tout marché. Le fait que La Boum se déroule dans un milieu assez bourgeois et privilégié, fait qu’on peut se dire que l’amour est grave et important. Parce que tout le monde va très bien. Je pense que ce qui me soulage et me fait du bien dans ce film, c’est que tout va très bien, et que la seule chose qui est grave, c’est la relation amoureuse.

Regardes-tu encore E.T. et La Boum aujourd’hui ?
J’ai fait découvrir E.T. à mon fils, il n’y a pas si longtemps. Ça faisait un moment que je lui en parlais, et je lui disais tellement “ah là là, je pleure tellement …je pleure tellement”, qu’il a beaucoup hésité à le regarder parce qu’il avait très peur de pleurer. Il m’a dit “je ne veux pas être triste. Je ne veux pas être triste.” Et c’est en le regardant avec lui, que j’ai découvert que le film est beaucoup moins triste que je le pensais. C’est marrant comme nos propres enfants voient des choses différentes. Il a trouvé ça génial. C’est devenu son film préféré, évidemment !  Et La Boum, ouais, je le regarde encore ! Moins comme un toc, moins comme un rituel de le voir une fois ou deux fois par mois, mais je le regarde au moins une fois par an.

« Mais moi je suis nostalgique. Par exemple, quand je regarde La Boum, ça me brise le cœur, sur la temporalité. »

Regardes-tu La Boum avec nostalgie ou avec les yeux de la Nora Hamzawi d’aujourd’hui ?
Le problème, c’est que je suis toujours un peu nostalgique et pourtant c’est un sentiment que je déteste. J’aimerais bien ne pas l’être parce que je trouve qu’on l’est encore plus une fois qu’on a fait des enfants. Mais moi je suis nostalgique. Par exemple, quand je regarde La Boum, ça me brise le cœur, sur la temporalité, par exemple. Je me dis “ qu’est-ce qu’on loupe avec tous ces réseaux sociaux !” Il y a ces scènes d’attente, tous ces moments de téléphone fixe, tous ces instants, où on ne sait pas. Ce temps précieux de l’attente et du mystère, me rend très nostalgique.

Le troisième film que tu as choisi est Les Nuits de la pleine lune d’Éric Rohmer. Il le réalise en 1979 avec Pascale Ogier, Fabrice Luchini et Tcheky Karyo, sur une musique d’Elie et Jacno. Les Nuits de la pleine lune fait le portrait de Louise, une jeune parisienne branchée, et de ses amours contrariées. Cette jeune femme est jouée par Pascale Augier. Qu’est-ce qui te touche dans Les Nuits de la pleine lune au point d’avoir une affiche du film chez toi ?
La première chose, c’est une fois de plus “tout pour l’amour, quoi !” De toute façon, il suffit de voir mes spectacles. La seule chose qui m’intéresse ce sont les relations amoureuses, que ce soit léger, grave ou pas ! Tout est centré autour de ça. Les relations hommes-femmes, le déchirement. L’autre chose qui me plaît, et qui fait que j’ai cette affiche, c’est cette actrice, Pascale Laugier. Elle a à la fois ce côté lunaire, vulnérable et, en même temps, elle est très libre, un peu sulfureuse. Et puis, ça me fait du bien de voir un physique comme le sien ! Qui représente ça, aujourd’hui ?

« La beauté est devenue un truc tellement lisse, tellement standardisé. C’est sublime quand les gens ont une âme, une personnalité comme la sienne, si forte ! »

La beauté est devenue un truc tellement lisse, tellement standardisé. C’est sublime quand les gens ont une âme, une personnalité comme la sienne, si forte !  D’ailleurs, le film ne pourrait pas être le même sans elle. Elle est très singulière. Ça fait du bien de voir cette singularité. Ensuite, j’adore toute cette esthétique des années 80. Leurs tenues, la manière dont ils dansent, les décors. J’avais d’ailleurs lu que Pascale Augier avait fait les décors. Je trouve tout assez iconique en fait. Tout est beau dans ce film ! On a envie de vivre dedans. Oh là là, mais c’est horrible ! Je suis toujours désespérée de me dire que je ne joue pas dedans. (Rires) C’est fini, c’est fait ! J’adorerais jouer dans ce film, qui parlent de relations amoureuses, du rapport que cette femme entretient avec ses amoureux. Et, surtout, du rapport qu’elle entretient avec le sentiment amoureux.

Elle a cette volonté farouche, absolue, de garder sa liberté.
Exactement ! A aucun moment on ne sent qu’elle est dépendante de ces hommes. Elle n’est pas une dépendante affective, mais c’est une dépendante au sentiment amoureux, et au fait d’en faire ce qu’elle veut. C’est beau, je trouve.

On en arrive à Domicile Conjugal, que François Truffaut met en scène en 1970, avec son alter ego Jean-Pierre Léaud, Claude Jade, Hiroko Berghauer, Daniel Ceccaldi, Claude Véga dans le rôle du pseudo-étrangleur. C’est le 4e film des aventures d’Antoine Doinel. Pourquoi cet Antoine Doinel ? Tu aurais pu choisir Baisers volés1968, par exemple ?
En fait, ça a été une grosse hésitation. Si je devais être totalement honnête, je pense que j’aurais choisi Les 400 coups1959 pour l’indépendance, l’enfance, la fuite. Mais si j’ai choisi Domicile Conjugal, c’est une fois de plus pour les questions de couple. C’est très tendre et très beau sur l’usure du couple. Ce sujet me passionne ! On y trouve aussi l’adultère, la trahison, et, en même temps, les débuts de la vie à deux. Je pense que j’ai choisi des films qui portent des thèmes qui m’interrogent encore. Chaque plan du film est magnifique, ces plans avec les fleurs sont merveilleux.

Il y a plein de moments culte, comme quand Christine accueille Antoine habillée en geisha car il la trompe avec Kyoko, et qu’une larme coule sur sa joue. C’est tellement fort. Tout me plaît dans ce film, autant l’esthétique, que les dialogues, ou les personnages. Je trouve tout beau et juste ! Mais j’aime toute la série des Antoine Daniel, sauf peut-être le dernier, L’Amour en fuite1979.

J’adore qu’on suive ce personnage de film en film. C’est quand même génial ce double de cinéma que Truffaut s’est construit, que Jean-Pierre Léaud ait joué Truffaut pendant si longtemps. Cette relation qui s’est construite entre ce cinéaste et cet acteur, c’est hyper beau.

Le dernier film que tu as choisi est Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080, réalisé par la cinéaste belge Chantal Akerman en 1976, avec Delphine Seyrig, qui joue d’ailleurs dans Baisers volés
Ah oui, Fabienne Tabard ! 

Jean Dielman est un film exigeant, d’une durée de 3h21. Il est fait de longs plans fixes détaillant les tâches ménagères quotidiennes d’une femme dans son appartement. On parle beaucoup de Jeanne Dielman5 en ce moment parce qu’il vient d’être élu plus grand film de l’Histoire du cinéma par la revue britannique Sight and Sound.  
Oui, je l’ai appris. Alors qu’à l’époque de sa sortie, le film avait suscité des réactions extrêmement contrastées. Des gens avaient trouvé ça épouvantable, n’avaient pas compris. C’est sûr qu’au-delà d’être un film, Jeanne Dielman est une expérience ! C’est même presque un pamphlet.

Moi, je trouve ce film bouleversant. Il n’y a pas de film qui parle mieux de la condition féminine. D’ailleurs, si les gens décident de voir ce film à la suite de cette interview, je pense qu’il est à regarder en une fois, parce que c’est presque hypnotique.

« On parle beaucoup aujourd’hui de charge mentale. Et dans ce film, on voit tout, par les gestes répétés, cette routine imposée, installée. Je trouve ça fou ! »

C’est génial de rendre aussi cinématographique et dramatique le lavage, l’épluchage de pommes de terre. On parle beaucoup aujourd’hui de charge mentale. Et dans ce film, on voit tout, par les gestes répétés, cette routine imposée, installée. Je trouve ça fou ! Même si on n’est plus à la même époque, que les femmes sont émancipées de mille choses, il y a encore tellement de trucs à dire sur leur quotidien, aujourd’hui.

Je crois que ce qui me fascine le plus, c’est comment on peut rendre cinématographique quelque chose d’aussi banal et quotidien. Et moi, j’adore le quotidien ! Les trucs de la vie de tous les jours, la vie normale… c’est tellement ça, la vie. C’est juste une succession de détails et si on met une loupe sur chacun d’entre eux, ça raconte tellement de choses.

Ce film est un chef-d’œuvre. J’ai découvert Jeanne Dielman pendant le confinement. C’est marrant parce qu’on était tous à nouveau dans nos tâches ménagères, répétitives, à essayer de fuir le quotidien en lavant les toilettes et en faisant à manger toute la journée. Le film a été pour moi un vrai choc. Peu de choses sont formulées et, pourtant, tout est dit. Et Chantal Akerman a une actrice immense face à elle. A chaque fois que j’ai vu Delphine Seyrig sur un écran, je l’ai trouvée hyper singulière … je la trouve sublime. Bon, ce n’est pas le propos… mais entre sa voix, son sourire, ses dents, je trouve qu’elle a un truc très singulier.

A chaque fois que je la vois, ça m’arrête toujours. Je me dis “ ah ! Mais qui est cette personne ?” Elle a vraiment un truc !  Du coup, pouvoir la regarder pendant 3h20, c’est super. J’ai très envie de voir le film qu’elle a réalisé, Sois belle et tais-toi !1977, qui ressort aujourd’hui. 

Pour finir, parlons de ton actualité. Tu viens d’achever la tournée de ton spectacle. Désormais, on peut le voir sur Netflix ou Canal VOD. Que ressens-tu maintenant que la page de ce spectacle est tournée ?
Pas mal de stress en fait … il y a un truc qui est très joyeux, c’est que je reçois énormément de messages de gens qui ont vu ce spectacle, le voient, le découvrent, me découvrent, qui ne me connaissaient pas. Ça me fait immensément plaisir. Et à la fois, ça me fout une pression folle pour le prochain. Je me dis que je n’arriverai plus à faire rire sur certains sujets, que j’ai déjà tout dit ! Mais bon, de toute façon, on se dit toujours ça.

On craint toujours que ça ne marche plus, qu’on n’y arrive plus, qu’on ait perdu un truc. J’ai commencé à écrire de nouvelles choses donc, c’est très excitant. Mais c’est vrai que ça fait bizarre de se dire que tous ces mots, je ne les dirai plus. Et en même temps, j’ai aussi envie de dire autre chose, donc j’imagine que c’est bien aussi.

Dans ton prochain spectacle, tu parles d’amour ? 
Toujours ! (Rires) De toute façon, j’aime vraiment parler de l’intime donc, en effet, ça parle beaucoup de l’amour et ça parle aussi de… c’est difficile à dire parce que je n’en suis vraiment qu’au début de l’écriture … mais ça parle beaucoup d’une sorte de névrose à la joie, du besoin obsessionnel que tout soit joyeux tout le temps, tellement c’est le chaos à l’extérieur ! Et donc, de vouloir que tout aille bien, que tout le monde soit content, et d’avoir le meilleur tout de suite. Il y a une envie de profiter par peur du monde.

Quelle est ton actualité cinématographique ?
Je joue dans le film de Laëtitia Masson, Un Hiver en Été, qui sort prochainement. C’est le destin croisé de personnages qui se retrouvent par un été polaire où il fait moins 20°. Je ne sais pas du tout comment Laëtitia Masson a écrit le pitch. C’est marrant parce que j’ai reçu ce scénario au moment du confinement et il y avait un peu une ambiance apocalyptique, avec un avenir incertain. C’est la première fois qu’on était incapable de se projeter. Du coup, je trouve que tout le monde a réévalué ses envies, son avenir, son sentiment amoureux. C’est un film qui parle de ça, de l’urgence de vivre et de ce que cela provoque quand on est face à un drame tel que celui-là. 

« Je commence dans une semaine au côté d’Alex Lutz, Léa Drucker et Louise Chevillotte. C’est un film sur l’art. Je suis super contente ! »

 

Tu vas être dans Salle des ventes, le prochain film de Pascal Bonitzer.
Ouais, ça c’est cool. Pascal Bonitzer a commencé à tourner avant-hier6. Je commence dans une semaine au côté d’Alex Lutz, Léa Drucker et Louise Chevillotte. C’est un film sur l’art. Je suis super contente ! D’ailleurs, j’aurais pu mettre Rien sur Robert1999 dans mes films préférés. J’adore Rien sur Robert dans lequel j’aurais aimé jouer. Pascal Bonitzer le sait. Je lui ai dit ! Je lui ai dit “c’est terrible parce que je ne joue pas dedans” et il m’a répondu “tu joueras dans un prochain !” Donc, c’est bientôt fait. (Rires) A priori, j’ai un autre projet avec Olivier Assayas mais on attend que ce soit confirmé. Il y a aussi le film de Jacques Doillon, CE2, qui doit sortir. Et puis voilà, c’est déjà bien.

1 –  Amro Hamzawi, réalisateur de Eléonore2020, avec Nora Hamzawi, André Marcon, Dominique Reymond… 
 Réalisatrice notamment de ÉNORME2019 et de Voyages en Italie qui sort le 29 mars 2023
3 – Diane Kurys, 1977. 
4  – Diane Kurys, 1990. 
– Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 ressort en salle le 19 avril 2023.
6  – Entretien réalisé le 3 mars 2023. 

 

Nora Hamzawi a également publié ces ouvrages :

30 ans, 10 ans de thérapie (journal d’une éternelle insatisfaite),

35 ans, dont 15 ans avant internet (tout ce qu’il me reste d’avant Instagram),

Public imaginaire (dans les coulisses de ma tête)

Site web de Nora Hamzawi

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