Avec Je verrai toujours vos visages – sortie le 29 mars -, la réalisatrice Jeanne Herry déjà autrice de Pupille, fait découvrir au spectateur un aspect méconnu de la justice : la justice restaurative. Depuis 2014, en France, la justice restaurative propose à des victimes et auteurs d’infraction de dialoguer entre eux dans des dispositifs sécurisés. Sur un sujet particulièrement délicat, Jeanne Herry signe un film fort, bien écrit, soutenu par une distribution cinq étoiles. Jeanne Herry, Leïla Bekhti et Elodie Bouchez se sont confiées à See Mag.
Par Grégory Marouzé
Jeanne, comment avez-vous eu connaissance de l’existence de la justice restaurative, et pourquoi avez-vous eu l’envie de bâtir un film sur ce dispositif ?
Jeanne Herry : Je cherchais à écrire un film et j’ai choisi ce sujet non pas parce qu’il était follement intéressant pour la société en général, et pour nous tous collectivement, mais en premier lieu, pour faire un bon film. Je ne savais pas quoi faire après Pupille. Je me suis intéressée à des sujets qui me passionnent habituellement et j’ai farfouillé du côté de la justice, qui fascine depuis que je suis enfant. Je me suis d’abord dit “tiens, pourquoi pas un film de procès ?”
« Le procès est un si bon dispositif pour le jeu et la mise en scène. »
Le procès est un si bon dispositif pour le jeu et la mise en scène. Et c’est comme ça que je suis tombée sur un podcast consacré à la justice restaurative. Sur le web, j’ai cliqué sur “justice restaurative” et je me suis passionnée pour le sujet. Je n’allais pas faire un film de procès de plus. Stéphane Demoustier venait d’en faire un très bien avec La Fille au bracelet. Je n’ai même pas écouté le podcast jusqu’au bout parce qu’il s’est arrêté au bout de 3 minutes. Du coup, je suis allée faire mes propres recherches et ce que j’ai trouvé, c’est l’opportunité de planter des graines de fiction partout, d’écrire des beaux personnages et des scènes avec des enjeux très forts. Donc, potentiellement, une partition intéressante pour les acteurs.
Elodie et Leïla, vos rôles se situent des deux côtés du spectre de la justice restaurative. Elodie, vous jouez Judith, chargée d’accompagner Chloé, une victime d’inceste, incarnée par Adèle Exarchopoulos. Leïla, vous interprétez Nawelle, traumatisée depuis qu’on l’a menacée avec une arme à feu. Vos rôles sont forts et ce film ne traite pas de n’importe quel sujet. Aviez-vous une responsabilité supplémentaire en acceptant Je verrai toujours vos visages ?
Leïla Bekhti : Quand on a un rôle, je trouve que c’est un cadeau magnifique parce qu’en gros, le metteur en scène te dit “Viens raconter mon histoire ! ” Ma responsabilité est qu’à la fin de la journée j’ai fait ce que ma réalisatrice, en l’occurrence Jeanne, a imaginé. C‘est très important pour moi. Maintenant, c’est vrai qu’évidemment, quand on apprend que le personnage qu’on incarne a existé, ça donne un investissement supplémentaire. Mais j’essaie de choisir mes films en fonction de mon investissement. Je suis très investie quand je fais quelque chose. J’ai besoin que ça ait du sens.
« Depuis quelques années, je veux faire des films que je serais allée voir. Le film de Jeanne, que je joue dedans ou pas, j’y serais allée. »
Depuis quelques années, je veux faire des films que je serais allée voir. Le film de Jeanne, que je joue dedans ou pas, j’y serais allée. La nature humaine m’intéresse. Je serais très ému à l’idée de rencontrer cette femme que j’incarne. Mais j’espère que, si cette femme n’avait pas existée, j’aurais eu la même implication. En revanche, je sais que ça m’a un peu perturbé pendant le tournage. Tu te dis “Ce sont des choses qui existent”. Tu te rends compte de la dégringolade que cela peut représenter pour un être humain.
Je me suis rendue compte à quel point la dépression est vertigineuse. Mon personnage dit “J’ai peur de croiser mon agresseur. Pour dormir, je prends des cachets et pour sortir, je prends des calmants”. Tu te rends compte à quel point avec un flingue sur la tempe, même si l’agresseur n’a pas tiré, c’est tout comme. C’est pour ça que le tournage a été aussi vertigineux. Et en même temps, il y avait de la tendresse et de l’humanité. C’était hyper important parce que si ça avait été très dur entre nous, cela aurait été très compliqué. C’est beau de faire des films qui parlent d’humanité, en la ressentant et en la vivant. Du coup, c’était quand même un tournage très joyeux.
Jeanne Herry : Ah oui, ça ne se fait pas dans la douleur. Moi, je n’aime pas du tout travailler dans la douleur. Ce n’est pas mon endroit de confort.
Leïla Bekhti : Ça pouvait être douloureux parfois… mais douloureux, pour le coup, ce n’est pas péjoratif. Et puis, entendre aussi ces histoires…
Jeanne Herry : Il y a énormément de souffrance. Ça fait 3 ans que je côtoie énormément de récits de souffrance. Énormément !
Et de votre côté, Elodie ?
Elodie Bouchez : Oui, il y a une grande responsabilité à jouer ces rôles. Mais, on a Jeanne avec nous, auprès de nous. On sait qu’elle maîtrise absolument son sujet, son histoire, les caractéristiques spécifiques de chacun de ses personnages, et on sait qu’elle ne nous laissera jamais tomber. Alors, ça passe parfois par un travail acharné pour trouver la bonne musique (même si la moindre virgule est écrite), la manière absolument précise de dire ces mots. Comme on sait que Jeanne porte cette responsabilité, on a à notre charge d’essayer d’incarner au mieux, et au plus près, ce qu’elle souhaite.
Par ailleurs, les échanges avec les travailleurs sociaux, leurs témoignages, leurs sentiments, c’est très stimulant pour moi. Même si le but de Jeanne est de passer par le biais du cinéma de fiction pour raconter ce qu’est la justice restaurative en France et, par la même occasion, de pouvoir la faire découvrir au plus grand nombre.
« Sans que ce soit “bisounours”, voir des gens qui se réparent, essaient de se réparer, croiser des gens qui aident à réparer aussi, je trouve ça merveilleux. »
Quand on voit dans les yeux de ces gens, à quel point c’est important pour eux que l’on puisse faire connaître, par le biais d’un film, de manière aussi pédagogique, cette pratique, on a l’impression d’être raccord avec ce qu’on a envie de raconter avec notre voix d’acteur. Ce qu’on sait faire, nous, c’est incarner, donner du jeu, des regards, de la voix, de l’écoute et du corps.
Leïla Bekhti : Sans que ce soit “bisounours”, voir des gens qui se réparent, essaient de se réparer, croiser des gens qui aident à réparer aussi, je trouve ça merveilleux. Rien qu’en lisant le scénario, ça m’a redonné foi en l’humanité. Il y a quand même des gens qui se lèvent pour aider, aider à sauver des personnes totalement brisées par la vie. C’est beau de le savoir. Ça fait du bien.
Jeanne, vous parliez de votre envie première de départ de réaliser un film de procès. Vous avez vu beaucoup de ces films. Avez-vous été marqué par un certain cinéma américain ? Quand on voit ces confrontations entre personnages, on pense aux films de Sidney Lumet et plus particulièrement à …
Jeanne Herry : 12 Hommes en colère1957, oui ! Bien sûr ! C’est un film que j’adore. C’est un grand film ! J’aime le dispositif du huis clos que je ne trouve absolument pas théâtral mais très cinématographique. Donc, bien sûr, j’ai beaucoup pensé à 12 Hommes en colère pendant l’écriture. Je me raccrochais aussi à mon plaisir de spectatrice.
Ce sont des scènes d’action psychologiques, où les gens arrivent à se convaincre, où tout le monde est retourné petit à petit, change d’avis, se confronte. Après, il y a aussi un autre film que j’adorais quand j’étais enfant : Témoin à charge1. C’est aussi un beau film de procès. J’en ai vu pas mal et, dès que des séries, même un peu pourraves, se passent dans un tribunal, je regarde parce que je sais que je vais y trouver ne serait-ce qu’un peu de plaisir. J’aime bien ça, quoi.
Se sent-on transformée par la réalisation d’un film comme celui-là ?
Jeanne Herry : Je ne suis plus la même personne déjà, ça c’est sûr. Ça m’a quand même modifié. J’ai gagné, j’imagine, encore des choses en tant que réalisatrice, parce que l’expérience c’est toujours bon pour la fois d’après, sur ce qu’on a bien fait, ou mal fait. Mais, moi, j’ai surtout été modifiée comme personne en passant 3 ans auprès des gens qui pratiquent la justice restaurative.
Ça m’a changé. Je pense que j’écoute mieux. J’ai découvert des mondes intérieurs. Je comprends mieux les choses qui me font peur, donc elles me font moins peur. J’avais très peur des agresseurs dans la vie et, maintenant, j’ai l’impression de les comprendre mieux, de comprendre mieux le passage à l’acte, et, du coup, d’avoir un peu moins peur. Donc, ça a affirmé mon goût pour la curiosité, ça m’a modifié.
1 – 1957, Billy Wilder
Synopsis
Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel. Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l’arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative. Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation.
Affiches et photos
© Christophe Brachet – 2022 – CHI-FOU-MI PRODUCTIONS – TRESOR FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 3 CINEMA