Fabrice Du Welz : « Le cinéma, c’est toute ma vie »

PHOTO DE COUVERTURE © Kris DeWitte

Après Message from the King, thriller aux allures de films de blaxploitation, Fabrice du Welz, 47 ans, revient avec Adoration, l’histoire d’un amour incandescent et toxique entre deux ados. Rencontre.

Propos recueillis par Marc Godin

Adoration est sorti aujourd’hui en Belgique. Comment a-t-il été reçu ?
Il faut attendre quelques jours pour avoir des chiffres significatifs. Mais la presse est dingue. Je sors un peu de mon ghetto.

Comment vous expliquez cette bonne réception critique ?
Cela fait un moment que je suis là et mes films commencent à former un vortex cohérent, avec une vraie singularité. Les critiques doivent se dire « Finalement, il n’est pas si mal, ce petit… » Mais c’est loin d’être la consécration. Adoration est un film particulier pour moi, je me suis mis en danger, mais autrement. Je veux constamment danser sur un volcan, prendre des risques.

Je ne suis pas en Thaïlande avec ma nacelle comme pour Vinyan ou à Hollywood comme lors de Message from the King, mais chez moi, en Belgique, à creuser quelque chose de l’ordre de l’intime. Je suis de plus en plus obsédé par les cinéastes de l’intime. Je rêve à la fois d’être Tony Scott, mais également d’emprunter une veine plus intimiste. J’ai choisi de réaliser un film rossellinien, épuré, hyper fragile avec une contamination de l’amour par la folie ou de la folie par l’amour. Et avec un seul point de vue.

« Peut-être que ce qui est différent, c’est que je suis retourné à l’essence de ma propre enfance pour réaliser quelque chose de plus délicat. »

Adoration s’apparente à un conte, où un jeune garçon naïf s’éprend d’une Lolita de 13 ans enfermée dans une clinique psychiatrique. A priori, on est un peu loin de votre univers.
Poétiquement, géographiquement, Adoration ressemble beaucoup à Alleluia et Calvaire. C’est un film plus lumineux, car le gamin est plus lumineux, sa lumière inonde le film. Le film épouse le regard d’un enfant et au fur et à mesure, celui devient de plus en plus apaisé. C’est film à la première personne. Peut-être que par rapport à mes autres œuvres, la dimension grotesque a disparu.

L’idée était aussi de faire quelque chose qui soit plus pur, plus sensible, plus innocent que mes films précédents. Mais au fond, il y a le même trouble, les mêmes thématiques : une contamination de l’intérieur par l’extérieur, les troubles du personnage se reflètent sur l’environnement, la nature…  Comme avec mes autres films, les spectateurs sont parfois déstabilisés, ils n’ont pas forcément les réponses à leurs questions. Peut-être que ce qui est différent, c’est que je suis retourné à l’essence de ma propre enfance pour réaliser quelque chose de plus délicat.

Après Message from the King, thriller tourné aux Etats-Unis, j’étais sûr que vous alliez continuer à tourner là-bas des films de plus en spectaculaires.
Je ne suis pas tout à fait satisfait du film, ce n’est pas exactement ce que j’espérais faire. Je n’étais qu’un technicien là-bas, avec un scénario précis, un cast établi. J’ai fait le job mais je l’ai très mal vécu et je ne veux plus vivre cela. Moi, le cinéma est toute ma vie. Je veux être libre.

Vous ne serez donc pas le nouveau Tony Scott ?
Non, non ! De plus, j’avais envie de revenir à des origines culturelles plus européennes : Rossellini, Wajda ou Tarkovski. Avec Adoration, je voulais faire un film plein de textures, sonder l’indicible, sonder les âmes. C’est une quête folle, absolument démente à articuler. C’est un travail d’équipe. On a d’abord repéré les lieux, on a travaillé les matières, les textures, les brillances, avec le chef op Manu Dacosse (L’Empereur de Paris, L’Etrange couleur des larmes de ton corps), on a bossé en Super 16 et on a installé une seule source de lumière, à la manière des primitifs flamands… En extérieur, on bossait à l’heure magique, le matin ou le soir, on traquait la lumière. Et puis après, il faut faire dégueuler l’âme aux acteurs, un travail fondamental. Le tout avec trente de jours tournage.

« Il est compliqué Benoît Poelvoorde … Il a une dimension à la Gabin, à la Michel Simon. Il me stimule et il me bouleverse. »

Cela faisait longtemps que vous vouliez travailler avec Benoît Poelvoorde. Pourquoi a-t-il accepté Adoration ?
Allez savoir ! Je le connais depuis toujours. J’ai toujours espéré tourner avec lui. Il est compliqué Benoît… Il a une dimension à la Gabin, à la Michel Simon. Il me stimule et il me bouleverse. Il n’a pas lu le scénario, je lui ai raconté l’histoire et il m’a dit « Pour une fois qu’il y en a un qui a quelque chose à dire. Je le fais ! » Il a travaillé pour rien. Mais cela a été compliqué de collaborer avec lui… Un journaliste présent sur le plateau a assisté à nos disputes musclées et m’a dit : « Benoît, c’est ton Kinski à toi. »

Pourquoi avoir choisi Laurent Durieux pour dessiner l’affiche ?
Je suis un de ses fans depuis des années. Je ne savais même pas qu’il était Belge. J’ai fait sa connaissance lors d’un festival et nous sommes devenus copains. Je collectionne ses affiches. Je lui ai demandé visionner Adoration, pour voir s’il l’aimait. Il a été très touché et a accepté de signer l’affiche. Vous n’imaginez pas ma joie et ma fierté d’avoir une telle affiche.

Et la suite ?
Je tourne bientôt Inexorable, en Belgique. Je ne peux pas annoncer le casting mais nous débutons en avril.

Adoration de Fabrice du Welz avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Benoît Poelvoorde.

Sortie française le 22 janvier 2020

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