Alma Jodorowsky : « J’ai l’impression qu’une femme a toujours besoin de justifier sa place »

Petite-fille du metteur en scène azimuté du même nom, Alma Jodorowsky est actrice, musicienne et égérie. Dans Le Choc du futur, elle campe une compositrice confrontée à la prétendue misogynie de sa profession dans le France des années 70.

Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso

Le fait que le prénom de votre personnage dans Le Choc du futur, Ana, ressemble beaucoup au vôtre, est-ce un fait du hasard ? Ou partagez-vous des points communs avec cette jeune artiste en plein questionnement ?
Je n’ai jamais posé la question à Marc (Collin, le réalisateur, ndlr). Je ne pense pas parce que le scénario était déjà écrit avant qu’il ne me le propose et il n’avait pas pensé à moi tout de suite. Il n’avait même pas d’idée précise de l’actrice en écrivant. C’est un hasard, dirons-nous. Un joli hasard…

Vous êtes comédienne, musicienne, mannequin…
Je ne suis pas vraiment mannequin… Et c’est surtout le cinéma qui tient une place prépondérante en ce moment. La musique est un peu en pause, mais grâce au Choc du Futur, j’ai pu réunir les deux. C’est génial.

Comme le personnage d’Ana, avez-vous l’impression que les choses « ralentissent » professionnellement du fait que vous soyez une femme ?
Oui, complètement. C’est pareil dans tous les milieux. En tout cas, dans la musique, surtout lorsque vous êtes confrontée à des questions techniques, de « branchage » (sic) par exemple, bizarrement, d’un coup, vous n’êtes plus prise au sérieux. On vous propose d’emblée de l’aide, on vous dit qu’on va le faire à votre place. C’est clair que ce genre de situations existe encore aujourd’hui. J’ai l’impression qu’une femme a toujours besoin de justifier sa place, de prouver ses capacités à bien faire les choses. Tout ça, quoi !

« Les années 70, c’est une période que je trouve très inspirante en matière d’art, de musique, de cinéma »

Avez-vous aimé cette plongée dans les années 70 ?
J’avais déjà tourné dans une série, La Vie devant elle, qui se déroulait exactement à la même époque. On avait fait deux saisons. C’était rigolo de retourner à nouveau dans le passé. Surtout que les années 70, c’est une période que je trouve très inspirante en matière d’art, de musique, de cinéma. De design également. Il y avait pas mal de choses que j’aurais bien piquées sur le plateau. Malheureusement, ce n’était pas possible.

Avec des parents comédiens, embrasser la même carrière, était-ce une évidence pour vous ?
C’est vrai que je ne me suis jamais posée la question. Dès l’enfance, j’ai demandé à me parents de m’inscrire à des cours de théâtre. C’est quelque chose qui a toujours été là, que j’ai toujours eu envie de faire. Évidemment, en grande partie, du fait l’admiration que j’avais pour le travail de mes parents.

Votre grand-père Alejandro compte, parmi les cinéphiles, des admirateurs presque enragés. Jodorowsky, est-ce un nom parfois lourd à porter ?
Pas de manière démesurée. En tout cas, ça ne m’a jamais empêché de faire ma vie de manière libre et indépendante. Je ne le vis pas comme un poids.

Mais aviez-vous la notion, plus jeune, d’être la petite fille d’El Topo ?
Oui, je le savais bien ! (Rires) Mais ça reste un cinéma particulier. J’ai aussi croisé beaucoup de gens qui ignoraient qui il était. En revanche, c’est vrai que ceux qui connaissaient son œuvre étaient généralement pétris d’admiration, de très grands fans. J’ai grandi avec ça. Mes parents me montraient des choses de son travail.

« Je me suis beaucoup investie dans le film. Même au niveau du casting, j’ai proposé des gens »

Comment êtes-vous sortie du Choc du futur ? Est-ce que ce film a renforcé ou changé quelque chose en vous ?
Oui. Ce fut une expérience très intense. Pour la première fois, j’apparais dans presque tous les plans d’un long-métrage. En plus de ça, Ana est inspirée de musiciennes qui ont vraiment existé. J’avais ainsi pas mal d’outils pour construire le personnage dans ce qu’il a de plus profond : ses inspirations, sa passion, sa manière de vivre… Je me suis beaucoup investie dans le film. Même au niveau du casting, j’ai proposé des gens. Marc était très ouvert à toute proposition. Il est vraiment super. Il a créé une ambiance de travail très collective. Je m’y suis sentie très à l’aise.

Laurent Papot et Alma Jodorowsky © MPM Premium

S’il y a un défaut au film, c’est l’unilatéralité un peu lourde des personnages masculins. « Pas un pour rattraper l’autre » pour reprendre la formule…
Si, il y en un personnage qui rattrape tous les autres : son ami DJ interprété par Geoffrey Carey. C’est un peu son ange gardien. Marc avait envie de montrer une femme assez seule dans son travail, assez peu soutenue, oppressée par un monde masculin pas particulièrement tendre avec elle. Moi, cet aspect féministe m’a plu. Mais je trouvais cela très juste aussi qu’il y ait un personnage bienveillant. Ça évitait le côté manichéen, didactique, le genre : « Vous avez vu les méchants hommes ? » Ce n’est pas le but du film de toute façon.

Quid du mannequinat ?
Ces dernières années, cela ne fait plus vraiment partie de mon quotidien. Je travaille avec Chanel, je suis ambassadrice pour eux. Cela reste assez ponctuel. Ce qui en fait un plaisir aussi. Quelques fois par an, c’est toujours agréable de travailler avec des photographes intéressants, d’avoir de belles images…

« Abdellatif Kechiche aime beaucoup filmer. Justement, sa manière de  tourner (…) insuffle une liberté à son plateau et à ses comédiens vraiment fantastique. »

Vous sentez-vous bien dans le cinéma d’auteur français actuel ?
Le côté positif du Choc du futur ou de Du Ciel étoilé au-dessus de ma tête auquel j’ai participé l’année dernière, c’est que ce sont des films dirigés par artistes qui sont dans l’immédiateté. Ils ont envie de tourner leur projet maintenant, pas dans dix ans. Alors, ils écrivent des histoires réalisables dans des budgets même réduits. De telles contraintes ne leur empêchent pas de signer de très belles choses. C’est plus malin, je trouve, que d’envisager de très grands projets sans l’argent adéquat, de les rater ou de ne les faire jamais. Cela fait naître une énergie spéciale, des films singuliers, quelque chose d’assez poétique.

Vous avez participé à La Vie d’Adèle. Que retenez-vous de ce tournage ?
Pour moi, ça reste une superbe expérience. C’était la toute première partie du tournage. Nous étions, parmi la bande de jeunes comédiens des scènes de lycée, dans une sorte d’innocence, de légèreté. L’ambiance était très bonne. Avec tout le monde. Dans le film, j’avais deux scènes, mais je suis restée un mois, à faire des allers-retours. Abdellatif Kechiche aime beaucoup filmer. Justement, sa manière de tourner, de faire plein de scènes de filles, de nous surprendre avec la caméra alors que nous étions là à discuter entre deux plans, insuffle une liberté à son plateau et à ses comédiens, vraiment fantastique.

Un film fétiche ?
Les Enfants du Paradis de Marcel Carné.

Comment voyez-vous le futur ?
C’est un peu dur d’être optimiste. C’est clair qu’il est temps de se réveiller de manière un peu plus globale, que tout le monde se sente concerné par les problèmes écologiques par exemple. D’un point de vue personnel, c’est une bonne période. J’espère que ça va continuer.

Le Choc du Futur de Marc Collin avec Alma Jodorowsky, Clara Luciani, Philippe Rebbot…. Sortie le 19 juin.

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