Benoît Magimel : « C’est le personnage qui rentre dans votre peau, pas l’inverse »

Dans Rosalie (en salle depuis le 10 avril), Stéphanie Di Giusto signe un nouveau beau portrait de femme après son premier film, La Danseuse. Rosalie raconte, dans la France de 1870, l’histoire d’amour entre une femme à barbe et un homme brisé par la guerre. See Mag a rencontré Stéphanie Di Giusto, Nadia Tereszkiewicz et Benoît Magimel. Le comédien nous a même offert une masterclass sur son travail. Passionnant !

Entretien par Grégory Marouzé

Rosalie est une belle histoire, forte, avec des personnages forts. Pourquoi avez-vous eu l’envie de filmer cette histoire ? 
Stéphanie Di Giusto : Je me dis que ce que je ressens, les autres le ressentent. Je trouvais qu’on vivait dans une époque particulièrement violente, au moment de l’écriture. Et en fait, moi, j’ai perdu mon père, ce qui n’est pas rien. Du coup, je crois que j’avais envie de raconter une histoire qui pouvait un peu combler le vide dans lequel je vivais. Et aussi peut-être apaiser quelque chose de l’époque qu’on était en train de vivre. Souvent un film, c’est une réponse à l’époque dans laquelle on vit. Et j’avais l’impression que l’amour, c’était le réel combat.

En fait, c’est le vrai combat d’aujourd’hui dans un mode de vie qui se déshumanise. Et quand j’ai vu le portrait de Clémentine Delait, qui vivait dans les Vosges, bizarrement, quelque chose m’a touché. J’étais curieuse et je savais qu’un personnage comme ça pouvait combler ce vide. Vous savez, c’est l’inconscient. Et en fait, ce que j’ai aimé dans le personnage de Clémentine Delait, c’est qu’elle avait refusé d’être une bête de foire comme on peut en voir dans tous les films de femmes-freaks. Mais qu’elle avait envie d’être dans la vie, d’avoir une vie de femme.

Je voulais justement raconter une histoire d’amour sans condition, un amour absolu. Et je savais qu’il y avait quelque chose. Une émotion à la fois pudique et violente à raconter le destin amoureux d’un personnage aussi dingue. En fait, je cherchais quelque chose de plus que l’amour. Quelque chose pour recroire en la vie, et je pense qu’en fait, Rosalie a cette chose assez étonnante de questionner l’humanité. En fait, c’était vraiment l’idée de se recentrer sur les sentiments et l’être humain, puisque dans mon premier film, La Danseuse, finalement, je m’en empêchais.

« Dans Pauvres Créatures, que j’adore, qui est un film magnifique, elle finit quand même dans un bordel, elle aussi. »

C’était une histoire sur la créatrice qui s’interdisait les sentiments parce qu’elle mettait l’art au-dessus de tout. Là, j’ai voulu raconter quelque chose de très simple : quelqu’un qui a juste envie d’aimer et d’être aimé. Et je trouve que c’était très convenu justement de mettre dans une foire ou même dans un bordel, comme on peut voir dans la plupart des films de freaks.

Dans Pauvres Créatures, que j’adore, qui est un film magnifique, elle finit quand même dans un bordel, elle aussi. Dans Vénus Noire, elle finit dans un bordel. Moi, je n’avais pas envie de justement la rendre Rosamie victime. Je tenais à en faire quelqu’un de solaire, de combatif, qui prend la vie à pleines mains. Finalement, c’est tout l’opposé de Loïe Fuller. Loïe Fuller se cachait, mais elle faisait du beau en se cachant. Et Rosalie ne se cache plus. Elle ne se cache plus et elle va assumer qui elle est à travers cette barbe.

Vous faites des films esthétiquement très travaillés. 
Des fois, on me le reproche. C’est triste d’ailleurs. En France, c’est mal vu. C’est insupportable. Alors, j’ai essayé de faire moche mais, apparemment, je n’ai pas réussi. On m’a appris à essayer de trouver le beau là où on peut le trouver. Ailleurs que, peut-être, là où les gens le voient. C’est mon travail, je pense que c’est aussi le travail du cinéma de rendre belles des choses insignifiantes.

J’ai travaillé autour d’une table, d’un lit et autour d’un café. J’étais dans un microcosme. Moi en tout cas, ce que j’essaie d’exprimer dans chaque scène, ce sont des sentiments et des émotions. Je ne vais pas filmer dans un lieu moche pour faire plaisir. Comme si c’était un crime d’être esthétique.

« Le café, c’était la cantine des ouvriers du village. Il y a même un pan de bois où il y a un chiffre “1800”, c’était déjà comme ça. »

Dans tous les lieux, il n’y a quasiment pas de lumière. Je n’avais pas les moyens ! Il n’y a quasiment pas de luminosité dans le film. Celle que vous voyez, c’est le numérique qui permet ça, le naturel ! Le café, c’était la cantine des ouvriers du village. Il y a même un pan de bois où il y a un chiffre “1800”, c’était déjà comme ça. Mais mon travail c’est d’aller chercher mes décors. Je suis obligée.

J’ai mon scénario avec moi et je vais à la recherche de décors. Et quand j’y suis, où je sens que c’est là que l’histoire doit se passer, je réécris. Je ne reproduis pas avec des lumières, je n’en ai pas les moyens. Et pourtant, il y a un truc qui se dégage. Et parce que c’est beaucoup de travail, de préparation.

En fait, j’ai réalisé ce travail avant et après. Je me suis dit “pendant le tournage, ne pense qu’à tes acteurs” et j’ai été concentrée sur leur respiration, sur leur bruit, sur leur regard, sur tout ce qu’ils pouvaient exprimer, sur toutes les nuances possibles. Je trouve que le cinéma, c’est une peinture, quoi. C’est le cinéma que j’aime.

Maurice Pialat, ce ne sont que des peintures dans chaque film.  Il peignait très bien, d’ailleurs. J’aime dégager des choses et là je m’étais dit, je suis sûre que plus tu réduis, plus tu vas trouver quelque chose d’encore plus beau. Moi, je découpe, je prépare tout. Je vis sur les lieux un mois, voire deux mois avant.

« On incarne quelqu’un, donc on donne une image d’une femme au cinéma. Et je dis pas qu’il y a pouvoir absolu du cinéma, mais je crois aux représentations. »

Rosalie est un personnage comme on en voit assez peu au cinéma. Et c’est un personnage qui a existé, même s’il y a une part de fiction. 
Nadia Tereszkiewicz : C’est parti d’une photo, mais ce n’est pas du tout un biopic. 

Néanmoins, aviez-vous une charge supplémentaire à incarner ce personnage. 
Nadia Tereszkiewicz : Ouais, mais c’était tout l’enjeu. Ça pouvait être ridicule, ça pouvait ne pas marcher. Mais je trouve, au contraire, que construire un personnage, ça donne toute la liberté du monde. Parce qu’elle était écrite de manière solaire, avec une rage de vivre, un truc très courageux et en même temps fallait trouver le bon ton, ne pas en faire une victime.

Pourtant J’ai trouvé une sorte d’équilibre quoi. Et j’ai l’impression qu’on a vraiment travaillé longtemps pour essayer de trouver une forme de personnalité singulière. Ce n’est pas un biopic. Moi, je trouve que c’est le biopic qui donne une charge supplémentaire. Là, au contraire, j’avais une grande liberté.

© Marie-Camille Orlando – 2023 TRESOR FILMS – GAUMONT – LDRPII – ARTÉMIS PRODUCTIONS

C’est une responsabilité quand on prend un personnage. Même fictif, parce que c’est un engagement ! On incarne quelqu’un, donc on donne une image d’une femme au cinéma. Et je ne dis pas qu’il y a pouvoir absolu du cinéma, mais je crois aux représentations. Moi il m’a manqué des représentations quand j’étais ado et je me dis, si j’étais une femme à barbe et que je voyais le film, peut-être que ça m’aurait aidé. Si j’étais une femme à barbe. C’est essentiel de donner plusieurs représentations de la femme. 

Vous avez filmé Loïe Fuller. Vous filmez aujourd’hui Rosalie. Pourquoi filmez-vous ces femmes ? 
Stéphanie Di Giusto : Bah ça me fait du bien. Ça me fait du bien et en fait je me suis rendu compte aussi il n’y a pas longtemps, qu’elles étaient en avance sur leur temps. Les deux à leur manière. Elles révolutionnent avant tout le monde. Elles ont compris quelque chose avant toutes les autres femmes. Mais ouais, ça fait du bien en fait. Je ne fais les choses que par instinct, je ne suis pas du tout dans le calcul. Donc c’est un besoin. C’est pour respirer.

Le deuxième film, c’est un besoin d’amour et le premier, c’est un besoin de raconter ce qu’est une artiste passionnée, donc qui est au-dessus de tout. Alors on me demande si le troisième sera aussi sur une femme.  Non, moi j’aime être là où on ne m’attend pas. Là j’aimais être dans la continuité. C’est important pour un deuxième film, de continuer quelque chose. 

« Finalement, la scène d’amour qu’on voit, c’est une scène qui parle de sentiments. On n’était pas du tout dans le physique. C’est fou, hein ? »

La scène d’amour est belle. Ce n’est pas toujours le cas au cinéma…
J’étais sur un fil. En fait, une fois de plus, je déplace les choses. Finalement, la scène d’amour qu’on voit, c’est une scène qui parle de sentiments. On n’était pas du tout dans le physique. C’est fou, hein ?

Et quand ils étaient dans le désir. C’était hypersexuel, ils étaient habillés. C’est beaucoup en regardant les films de Jane Campion, qui est la grande artiste qui sait faire ça, que j’ai appris ça. Trouver le désir là où on ne s’y attend pas. Quand dans Bright Star, autour d’une table, il va juste prendre juste la main… mais j’en ai encore la chair de poule. Alors que regarder deux corps faire l’amour pendant 4 h, j’ai toujours trouvé ça sans intérêt.

Moi Ce que j’aime, c’est amener le spectateur à ressentir. D’ailleurs il y a des hommes et des femmes qui sont très troublés en regardant Rosalie, parce qu’eux-mêmes sont gênés parce qu’ils la trouvent attirante, ou ils le trouvent attirant. Et il n’est là où on l’attend. Enfin j’espère. C’est troublant. J’exprime beaucoup de choses avec la pudeur, on n’est pas obligé de crier pour se faire entendre. Donc on y va. Voilà y a de la douceur.

© Marie-Camille Orlando – 2023 TRESOR FILMS – GAUMONT – LDRPII – ARTÉMIS PRODUCTIONS

Il fallait de la douceur dans ce film. Je pense que dans d’autres films je vais avoir besoin d’exprimer la violence. C’est marrant parce qu’il faut quand même parler des choses. On entend trop de trucs négatifs en ce moment sur le cinéma et on parle de consentement. Et j’ai trouvé ça très beau leur rapport à tous les deux. Cette manière de faire attention à l’autre. Benoît était tellement délicat. Et puis, Nadia ! Parce que les femmes aussi peuvent abuser. Et Nadia disait “Mais ce que j’ai le droit de faire ça ? Est-ce que j’ai le droit ? Il y avait vraiment ce truc de respect qui fait qu’on peut tout faire quand on respecte l’un et l’autre, quand on se respecte. Donc, c’était un bel exemple, pour le coup, d’acteurs qui sont à leur place. 

Abel est un personnage brisé, cassé, qui a un corset. Le film est la rencontre de deux personnages cabossés, qui vont se reconstruire. 
Benoît Magimel : Oui, c’est ça, c’est ça !

Comment construit-on un tel personnage ? Jouez-vous de vos failles, difficultés, avec votre passé ? 
Benoît Magimel : Laurence Olivier sur Marathon Man (je ne sais pas si vous connaissez cette anecdote)… bon, il  y a la méthode shakespearienne et il y a l’autre méthode. Sur Marathon Man, Laurence Olivier dit à Dustin Hoffman, qui a couru pendant des heures pour s’épuiser, “pourquoi tu ne joues pas au lieu de courir ?” Mais les deux méthodes marchent. Ce qu’il faut, c’est trouver son fonctionnement à soi. Y’a pas une méthode, il n’a pas une seule façon de faire. Moi, ma manière de faire, c’est de tirer les choses le plus possible, d’essayer de les vivre avec ce que je suis, essayer de trouver des résonances. Plus ou moins fortes. C’est comme ça que je fais les choses, de cette manière-là.

« Sur Marathon Man, Laurence Olivier dit à Dustin Hoffman, qui a couru pendant des heures pour s’épuiser, “pourquoi tu ne joues pas au lieu de courir ?” »

Et puis ce qui m’a toujours frappé dans ma carrière, c’est que ces films arrivent à des moments de votre vie. Vous ne connaissez pas le réalisateur et vous ne savez pas comment c’est possible que l’on vous propose un rôle qui corresponde exactement à ce que vous vivez dans votre vie personnelle. La réalisatrice ne connaît rien de vous, mais elle y a une sensation, elle sent quelque chose. Ça correspond à un truc personnel que vous allez vivre !

Et quand il n’y a pas de lien, bah je n’y vais, en fait. Pour Abel c’est d’abord la guerre. Moi j’ai pensé à Voyage au bout de l’enfer. Ces types qui reviennent, qui ont connu la guerre, et qui ne peuvent pas en parler, sauf à ceux qui ont vécu la même chose. Moi, ce qui me plaît, c’est de me raconter l’histoire d’avant. Surtout, j’ai besoin de savoir comment Abel était avant de partir à la guerre. C’est pour ça que je pense qu’avant de partir à la guerre, il était comme elle, il était aussi solaire. 

Nadia Tereszkiewicz : Personne ne pourra comprendre ce que c’est que de passer par la guerre. T’as tellement vu la fin de l’humanité que tu ne crois plus en rien. 

Benoît Magimel : Tu sais, j’ai rencontré des forces spéciales. Dans ma vie, j’ai rencontré des gens qui ont vécu ces choses-là. Je n’ai jamais osé leur poser des questions. Parce que pour moi, ça me paraissait fou quoi. Et plus c’est extrême, plus c’est difficile de le comprendre. Donc faut garder une certaine pudeur avec ça. Mais on voit bien qu’ils sont plus comme les autres. Ils sont différents. Il faut garder de la pudeur avec ça.

C’est votre hors-champ ?
Nadia Tereszkiewicz : Ouais, c’est ça. 

Benoît Magimel : Ouais !  Et c’est vrai que pour inventer, c’est bien de connaître son histoire, mais encore une fois, moi j’ai toujours dit ça. Mais il y a des gens qui ne le font pas et ils font des interprétations magnifiques. C’est ma façon de faire, mais ce n’est pas la seule manière de faire. Voilà, moi c’est celle que j’aime faire, c’est celle qui me correspond. Quand j’ai fait un mineur de fond1, je suis allé dans l’Est de la France. Je suis un pur parisien.

Je me dis que dans l’Est de la France, ils ne parlent pas comme moi. On y va le week-end, on va dans les bars, on écoute les mecs. Moi ça me plaît parce que c’est comme ça que j’avais envie de vivre mon métier d’acteur. Et quand tout d’un coup, le premier jour, je sens la main d’un mineur, il me dit “Alors, tu travailles dans quel puits ? “ Et là, je suis content ! Et d’ailleurs encore aujourd’hui, pour moi le regard le plus important, c’est celui de la personne que je vais représenter.

Si c’est un métier je dois représenter, c’est avant tout ces gens-là qui m’importent. Si le mineur ne se reconnaît pas dans ce que je fais, bah j’ai loupé mon travail quoi. Mais il n’y a pas de règles. Mais Abel, je l’ai rêvé. En plus, on a attendu pour faire le film. Il s’est passé deux ans. Donc, ce qui est formidable, c’est quand j’ai dit à Stéphanie que je ne savais pas si deux ans plus tard, j’aurais la même envie. Parce que, au moment où on accepte un rôle, on vit quelque chose, une problématique qui correspond au moment.

« Quand j’ai fait ce mineur de fond, j’avais essayé de jouer un peu sur la façon de parler, mais je faisais des efforts pour le jouer. »

Est-ce que dans un an, est-ce que dans deux ans, j’aurai le même désir ? Je ne sais pas. C’est abstrait, hein ! Mais pendant ces deux ans, il y a une case dans mon cerveau où Abel continue de vivre et en fait, c’est ça qui est génial. C’est pour ça que souvent, je me plaignais plus jeune de ne pas avoir le temps. Quand j’ai fait ce mineur de fond, j’avais essayé de jouer un peu sur la façon de parler, mais je faisais des efforts pour le jouer.

Et un an après la sortie du film, parce que je continuais d’aller là-bas, j’avais des amis. Et je me dis “Putain, je le tiens là !” Alors que je me suis fait chier. C’était un effort et quand ça devient l’effort, on se dit c’est mauvais. Ça ne va pas le faire. Mais vous voyez, quand on arrive à l’incarner, sans la moindre réflexion. Quand on est conscient des choses, ça ne marche pas. Mais là je me suis dit “Putain, regarde, c’est génial là !”  On a le plaisir en fait, parce que c’est ça qui est important, c’est le plaisir de jouer même dans les trucs difficiles, même en faisant un cancéreux. J’aime pas vivre mal le truc, j’aime pas être dans la souffrance, c’est ça en fait ce que je déteste quand il y a de la souffrance à vivre, c’est chiant quoi. Et c’est ça permet évidemment d’éviter en plus ce regard qu’on a sur soi.

« Ce regard peut parfois être pathétique, parce qu’en jeu d’acteur, on a toujours tendance à aller vers un truc pathétique. »

Ce regard peut parfois être pathétique, parce qu’en jeu d’acteur, on a toujours tendance à aller vers un truc pathétique. Quand il y a de l’émotion dans le texte, on va jouer l’émotion sur le texte, mais bien souvent, les gens qui vivent des choses comme ça, qui ont vécu des drames, ils n’ont pas un regard comme ça sur eux, quoi. Ils peuvent avoir de la dérision sur eux-mêmes. Et cette dérision, ça prend du temps pour la voir, la comprendre.

Se jouer de la maladie, supporter le regard des gens. Et bien souvent, j’ai de la chance parce que le film sur le cancer que j’ai fait, le tournage s’est arrêté. Le tournage s’est fait sur un an. Et cette année m’a permis de faire le chemin de ce personnage. Je n’arrivais pas à le voir en 3 mois, 4 mois. Je n’arrivais pas à le comprendre en fait. J’étais pas d’accord avec le médecin, j’étais pas d’accord avec ce qu’on racontait. Et puis d’un coup, après 7 mois, j’ai commencé à me marrer de la maladie. J’ai commencé à être léger, mais ça ne m’empêchait pas d’avoir des émotions. 

Stéphanie Di Giusto : Mais tu sais, t’as fait le trajet d’être malade. Si on te dit que tu es malade, t’es pas d’accord !

Benoît Magimel : Exactement !

Stéphanie Di Giusto : T’as fait le trajet de la maladie ! Et après, tu as fait le chemin. Et bizarrement, la session des deux, t’as permis de faire ce chemin. 

« Entrer dans la peau d’un personnage, ce n’est pas vrai, c’est lui qui entre dans la vôtre. »

Benoît Magimel : Parce que sinon c’est trop court ! Parfois, j’ai trois mois de tournage, on me prévient trois mois avant le début. Mais est ce que je vais avoir le temps de faire ce chemin qui est essentiel ? Parce que ça ne sert à rien de prendre des modèles hein ? On ne va pas prendre des modèles d’acteurs ou prendre un modèle sur quelqu’un ! Non, on est le meilleur modèle possible. Là, je joue sur les mots.

On ne rentre pas dans la peau d’un personnage, c’est lui qui entre dans la vôtre. On le tire vers soi, c’est comme ça qu’on incarne les choses. Mais ça ne veut pas dire que je suis comme ça, hein. C’est une partie de ce que je suis et je crois qu’on l’a tous. Les acteurs de talent, les actrices de talent, on a des tiroirs. Dans chaque tiroir, il y a quelque chose de ces rôles qu’on vient vous proposer à ce moment-là, sur lequel on peut travailler. Mais ça fait partie de vous, en fait. Ça a toujours fait partie de vous.

Je ne sais pas qui je suis fondamentalement. Je me connais mieux maintenant, mais tout ce que j’ai fait finalement, ça parle de ma vie. Donc c’est comme ça que je vais vers Abel. Abel, je l’ai imaginé comme une bête curieuse. J’ai même imaginé ma relation avec Benjamin Biolay. J’ai commencé à dire à Stéphanie “Mais en fait, ils étaient gamins, ensemble !” Avant que le personnage de Benjamin Biolay ne devienne le notable. C’est un village. Donc les gamins se sont côtoyés, ils sont de la même génération. Je pense à Rox et Rouky, là ! 

Stéphanie Di Giusto : Mais tu sais, je ne pense qu’à Rox et Rouky, c’est le dessin animé qui m’a le plus perturbé dans ma vie ! À chaque fois je pensais à Rox et Rouky !

Benoît Magimel : C’est pour ça qu’il ne peut pas être mauvais ce mec, il ne peut pas être juste le notable, le méchant. On a déjà une analyse au moment de lire le scénario, on a une première, une première rencontre avec Stéphanie, avec le réalisateur, on donne nos avis et puis le travail se fait malgré nous.

C’est ça qui est formidable, c’est qu’en fait il y a ce qu’on conscientise quand on bosse des trucs. Mais il y a un truc qui bosse tout seul. Et ce travail se fait bon gré, mal gré. Et puis on arrive au moment du tournage et il y a une seconde lecture, une troisième lecture. Et puis au milieu du film on se dit tiens “bah le personnage de Benjamin Biolay, en fait ce n’est peut-être pas ce qu’on pense”. Donc, c’est comme ça que j’aime voir le cinéma. 

Faisons de la psychanalyse de bazar.  En gros, ces deux films La Danseuse et Rosalie, c’est la phrase de Flaubert, “Emma Bovary, c’est moi” ?
Stéphanie Di Giusto : Oui, ouais, ouais, ouais, complètement. Après ce n’est pas une barbe. On a tous une barbe quelque part. Quelque chose qu’on a caché, qu’on n’assume pas. Pour moi, c’était une maladie d’exister. C’est compliqué et ça m’aide un peu plus, Rosalie, ça va mieux. Vous vous aimez un peu plus, ça va un peu mieux. Alors je pense qu’il va falloir encore faire d’autres films. C’est pas évident d’être une femme. C’est une façon de se sentir un peu plus légitime… d’exister. (rires)