First Man
ils n’ont pas vu le même film
Le pour et le contre des journalistes de SEE
Pour : UNE ŒUVRE MAJEURE
Par Tramber
Après huit années d’entrainement, de souffrance et d’efforts, l’astronaute Neil Armstrong s’apprête à être le premier homme à marcher sur la Lune. Damien Chazelle réalise un film extra-atmosphérique sensationnel, émouvant, et maîtrisé de bout en bout.
Après Wiplash et La La Land, à 33 ans, Damien Chazelle confirme être l’un des réalisateurs les plus polyvalents du moment. En s’attaquant à la conquête spatiale, c’est à une thématique chère à Hollywood qu’il entreprend d’y laisser lui aussi son empreinte. Mais de Apollo 13 de Ron Howard à Gravity d’Alfonso Cuarón, en passant par le mythique et définitif L’Etoffe des héros de Philip Kaufman, ces derniers ont placé la barre assez haute. Il fallait donc que Chazelle trouve son style à lui et se démarque ici de ses prédécesseurs, en se concentrant sur un seul homme et en dressant un portrait singulier de ce pionnier de la conquête spatiale.
Un enjeu politique
Basé sur le livre de James R. Hansen et adapté habilement par Josh Singer, l’habile scénariste de Pentagon Papers, le film est loin de brandir son drapeau patriote et de présenter une vision lisse du vol historique de 1969 et de l’alunissage d’Armstrong. Il aborde également l’enjeu politique du président John F. Kennedy, qui avait annoncé au début des années 60, que l’objectif fondamental de l’Amérique était d’envoyer un homme sur la lune avant le début des années soixante-dix, sur fond guerre pas si froide avec le bloc Soviétique.
Un aspect politique et social effleuré mais traité quand même sans jugement par le scénario de Singer, qui propose tout de même une séquence engagée avec la chanson Whitey on the Moon de Gil Scott-Heron en bande sonore de manifestants noirs laissés pour compte alors que des hommes blancs eux, volent vers la lune. Une métaphore assez appuyée de l’époque.
Je vois d’ici certaines critiques balancer que le film ne fait pas assez dans le sensationnel, mais si Chazelle ne s’économise pas sur certains morceaux impressionnants comme, entre autres, l’alunissage lui-même, First Man est avant tout chargé d’émotion comme cette scène déchirante lorsque la femme d’Armstrong, Janet, jouée par la très prenante Claire Foy, l’oblige à s’entretenir à table avec leurs deux jeunes fils pour que ces derniers envisagent le risque que leur père ne revienne jamais de cette mission.
Armstrong et sa part d’ombre
Armstrong est un personnage plutôt stoïque et réaliste, en ça Ryan Gosling est juste le parfait casting, mais il se dégage de l’homme une charge émotionnelle bouleversante. Dans sa narration, Chazelle a clairement choisi le camp, et traite en priorité la part d’ombre d’Armstrong, une part d’ombre motivée par le décès de sa fille de 3 ans d’une tumeur au cerveau durant ses huit années d’entrainement, et qui est forcément le moteur de ce qui le pousse à avancer dans un territoire inconnu et d’envisager de vivre comme une fuite cette expérience extrême et ultime.
Chazelle a fait un film certes sobre, mais avec un cœur qui bat très fort. Notamment dans l’opposition des personnages de Armstrong et de sa femme Janet, l’un stoïque, triste et complexe et l’autre avec un tempérament puissant, intransigeant mais prête à tout pour soutenir son mari, elle prend conscience que ce dernier est certes un astronaute, mais aussi un mari et un père, comme une grande partie de la population de cette planète.
Une distribution impeccable
Ryan Gosling qui après le sublime Blade Runner 2049, n’en est pas à son coup d’essai en tant qu’homme torturé et à l’existentialisme exacerbé, est tout simplement impeccable, quant à Claire Foy, son jeu est d’une telle véracité qu’elle semble totalement habitée par son rôle de Janet Armstrong.
Le reste de la distribution est également largement à la hauteur, avec pour commencer, Corey Stoll qui interprète parfaitement Buzz Aldrin, Jason Clarke est ultra efficace dans le rôle de l’astronaute Ed White et Kyle Chandler et Ciaran Hinds en tant que membres de la NASA font mieux que d’être des seconds rôles.
La technique n’est pas en reste sur cette magnifique œuvre. Le chef-opérateur suédois Linus Sandgren, impose sa patte et sa photographie, lui qui avait remporté l’Oscar pour La La Land, le tout admirablement monté par l’excellent Tom Cross, lui aussi lauréat d’un Oscar pour Whiplash. Chazelle sait s’entourer et ne change pas une équipe qui gagne puisqu’il a confié le score à Justin Hurwitz, également double lauréat d’un Oscar, qui livre ici une partition symphonique magistrale.
Damien Chazelle a fait un film sur la conquête, l’obstination, l’amour, l’humanité, il s’est tout simplement servi d’un événement mondialement connu comme prétexte de narration à une œuvre totalement universelle
Avec First Man, Damien Chazelle nous emmène sur la Lune, ce qui est déjà pas mal, mais il a surtout réalisé une œuvre majeure, presqu’aussi majeure que l’alunissage de la capsule d’Apollo 11 le 21 juillet 1969.
Ceux qui seront en désaccord avec moi seront donc de fait, des complotistes !
Contre : dépression cosmique
Par Marc Godin
Le réalisateur de La Land Land signe une biographie dépressive sur Neil Armstrong, encombrée de tics visuels. Une odyssée intimiste doublée d’un tout petit pas pour le cinéma.
Damien Chazelle n’a que 33 ans et semble s’imposer comme une des étoiles montantes d’Hollywood, accumulant les succès, critiques et publics, et les récompenses. Après Whiplash et La La Land, le cinéaste usine une superproduction calibrée pour les Oscars, sur fond de course vers les étoiles, First Man.
Mais si Chazelle est doué, il le sait, et c’est aussi la limite de son cinéma. Résultat, il ne va pas se contenter de refaire L’Etoffe des héros ou Apollo 13. Non, son odyssée va être différente et pas pareille, intérieure, entièrement centrée sur les tourments de son héros, Neil Armstrong, le premier homme à avoir posé le pied sur la Lune, le 21 juillet 1969.
Il est comme ça, Chazelle, il aime bien réinventer l’eau tiède.
Une morale réactionnaire
Avec le très virtuose Whiplash, il filmait le calvaire d’un batteur de jazz confronté à un prof tyrannique, un remix du début de Full Metal Jacket, pour nous retourner à la fin avec sa morale réactionnaire : la méthode du psychopathe était justifiée, il faut souffrir, voire mourir pour l’art, on ne remet surtout pas en cause les ordres.
A l’image de son plan-séquence d’ouverture absolument époustouflant, La La Land était une symphonie d’élégants mouvements de caméra et de teintes crépusculaires. Chazelle revisitait la comédie musicale (de Gene Kelly à Jacques Demy), mais ne livrait qu’un objet brillant et désincarné, une compile exécutée sur le bout des doigts, un exercice de style, quoi. Il manquait juste la grâce de Fred Astaire…
Aujourd’hui, Chazelle revient avec un énorme morceau, une biographie de Neil Armstrong. Si Philip Kaufman dans L’Etoffe des héros filmait l’Americana, l’espace, la vitesse, le rêve héroïque de surhommes en Ray Ban, Chazelle choisit quant à lui l’option odyssée intimiste.
Donc on va contempler Armstrong, gentil père de famille sous Prozac, entre sa cuisine et la Lune, siroter des bières, s’occuper de ses mômes, vider la poubelle, s’engueuler avec bobonne… Ce n’est déjà pas très passionnant, donc Chazelle va faire dans le pathos, la psychologie de bazar. Sa ligne directrice, son Rosebud, c’est la mort d’un enfant.
De fait, avant d’être embauché par la Nasa, Neil Armstrong va perdre sa fillette, qui meurt d’une tumeur au cerveau. Armstrong est donc un mec brisé, profondément dépressif, un zombie qui tente de se raccrocher à un rêve, un long calvaire qui culmine lors des séquences sur la Lune, « le grand pas pour l’humanité », mais enterrement de première classe pour Armstrong.
Un refus du spectaculaire
Avec cette mort qui plane et qui plombe, on est loin d’avoir un film en apesanteur. Et comme Chazelle cisèle un film INTIME et qu’il n’est pas certain que le spectateur soit aussi intelligent que lui, il va cadrer Armstrong et tous ses personnages en TRES gros plan, entre le front et les lèvres. Et ce pendant 2h30 ! Chazelle refuse le spectaculaire, les plans d’ensemble, et filme un bout de la carlingue vrombissante de la fusée, un boulon, ou l’exiguïté du module d’Apollo 11.
Et pour nous prouver qu’il est définitivement un grand visionnaire, il filme le tout caméra à l’épaule avec le chef op suédois Linus Sandgren. Donc, même pendant les moments calmes, apaisés, la caméra tremble comme un junkie en manque.
Pas (beaucoup) de place à l’émotion
Chazelle singe les frères Dardenne ou Lars von Trier, mais on ne voit que le truc, le tic, l’esbroufe. On se retrouve sur la Lune (où Chazelle fait quand même un truc dément au niveau du son) ou lors d’une explication tétanisante entre Armstrong et ses enfants et il n’y a aucune émotion, juste l’artifice qui dévore l’écran.
Comme certains musiciens de jazz, Chazelle est un virtuose. Mais ce qui est important dans le cinéma et dans la musique, ce n’est pas seulement la perfection, mais aussi les accidents, l’émotion, les fulgurances, les improvisations. Dans son cinéma storyboardé à l’extrême, cadré jusque dans ses décadrages, il n’y a pas (beaucoup) de place pour l’émotion, le rêve. C’est dommage quand on propose un voyage vers la Lune…
Sortie : 17 octobre 2018 – Durée : 2h22 – Réal. : Damien Chazelle – Avec : Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke… – Genre : drame – Nationalité : américaine
Un aspect politique et social effleuré mais traité quand même sans jugement par le scénario de Singer, qui propose tout de même une séquence engagée avec la chanson Whitey on the Moon de Gil Scott-Heron en bande sonore de manifestants noirs laissés pour compte alors que des hommes blancs eux, volent vers la lune. Une […]