Acteur, humoriste, metteur en scène, producteur, créateur de séries TV (Platane, Moot-Moot), mi-Guadeloupéen et mi-Autrichien, ancien informaticien chez Bouygues, guide touristique pour personnes âgées au Canada, Eric Judor vient d’avoir… 50 ans, oui, oui.
Propos recueillis par Marc Godin
Depuis des années, il est notre Will Ferrell, notre Jim Carrey, un véritable génie comique qui brade parfois son talent dans des productions improbables, indignes de lui (remember Les Dalton). Roi de l’humour gogol avec son pote Ramzy Bédia, c’est également un auteur ambitieux avec un univers décalé (les OVNI de Quentin Dupieux, la série Platane ou Problemos), qui alterne gags débiles et humour absurde, voire inconfortable.
En cet été 2018, après l’échec de Problemos, Eric revient avec Roulez jeunesse, comédie dramatique familiale gentiment secouée, réalisée par Julien Guetta, où il sort de sa zone de confort.
De fait, il campe ici un adulescent immature, célibataire endurci qui vit toujours avec sa môman et qui se retrouve un beau jour avec trois enfants sur les bras. Le pitch ressemble à celui de 500 comédies françaises insoutenables, mais Roulez jeunesse – à la facture un peu trop ripolinée – prend parfois des chemins de traverse et offre à Eric l’occasion de montrer une autre facette de son (énorme) talent, dans un rôle pas écrit spécialement pour lui (le réalisateur envisageait Guillaume Canet ou Laurent Lafitte).
Alors qu’il vient de mettre un terme à sa collaboration avec les publicitaires d’EDF, termine l’écriture une troisième saison de Platane et prépare son grand retour sur les planches en 2019 avec (roulements de tambour) Ramzy, Eric nous parle – entre deux vannes – de ce film où il appris à surmonter sa pudeur et de son envie toujours intacte de faire rire.
« Je me suis laissé porter, me disant que je verrais bien où cela m’emmène et je suis entré dans cette chaussure hyper-tranquillement. »
Dans ce film mis en scène par Julien Guetta, le réalisateur que vous êtes n’a jamais été tenté de prendre la main ?
Eric Judor : Cela aurait été une erreur de ma part d’accepter d’aller vers un univers différent et de m’approprier le projet. L’idée, c’était de me laisser aller. Je n’étais pas d’accord tous les jours avec Julien, je me disais parfois que j’aurais peut-être tourné une scène différemment, mais je me résonnais car je savais que ce n’était pas mon film. C’est son œuvre, sa personnalité, sa vision artistique. Je me suis laissé porter, me disant que je verrais bien où cela m’emmène et je suis entré dans cette chaussure hyper-tranquillement.
Vous avez un univers spécifique et vous signez des films très particuliers. Je pensais qu’après Problemos, on ne vous verrait plus dans un film réalisé par un autre.
Problemos n’est pas entièrement de moi puisqu’il a été écrit par Blanche Gardin, même si je l’ai retouché un peu. Quand il y a des choses imparables, c’est idiot de se fixer une limite. Je n’ai pas de plan de carrière, je n’ai pas décidé de tourner seulement dans mes films. Quand je tombe sur un scénario imparable comme Problemos, je suis obligé d’y aller. Quand je tombe sur un scénario comme Roulez jeunesse, même chose ! Il n’y a pas de règle. C’est comme avec Quentin Dupieux, je vais vers des choses qui me semblent essentielles. Avec ce film, Julien Guetta me réinvente.
« Ça fait un moment que je tourne autour du réalisme, voire de l’hyper-réalisme. Avec Platane, on est moins dans le « gogol » et plus avec un personnage qui pourrait exister, plongé dans des situations drôles. »
Pourquoi étiez-vous « obligé d’y aller » ?
Ça fait un moment que je tourne autour du réalisme, voire de l’hyper-réalisme. Avec Platane, on est moins dans le « gogol » et plus avec un personnage qui pourrait exister, plongé dans des situations drôles. Ici, on est plus proche de la vie. Julien a écrit un scénario dans lequel on se marre, et puis soudain, on pleure. Comme dans la vie ! J’avais envie d’aller vers plus de réalisme et Julien m’a offert ce cadeau.
Avec toutes ces ruptures de ton, le mélange comédie-drame, le film a t-il été difficile à produire ?
Ce qui m’a séduit à la lecture du scénario, c’est ce vers quoi cela tend : la vraie vie. Soudain, il y a un accident. La vie est comme ça, accidentée. Enfin, j’avais dans les mains un scénario qui contient la vie. Je ne voulais surtout de la xième comédie avec le quadra qui se retrouve avec des mômes sur les bras ! Les producteurs et les télés attendent du happy end. Si on se marre au début, on doit se marrer à la fin, sinon ça s’appelle une comédie ratée et je sais de quoi je parle… Les Britanniques, pour ne citer qu’eux, sont passés maîtres de cet art-là, ils savent parfaitement faire rire et pleurer.
Je vous ai trouvé très intense dans vos scènes face à Brigitte Roüan, qui incarne votre mère. C’est important d’avoir une actrice comme elle pour vous renvoyer la balle ?
C’est super, mais pas plus super que d’avoir Ramzy en face ! Depuis que l’on projette le film, on vient me voir en me disant « Mais en fait, tu sais jouer ! » Parce que je fais naître une autre émotion. Mais je pense que la comédie pure est au moins aussi difficile, voire plus, que le drame. Donc, oui, c’est super de jouer face à cette dame césarisée, il y a quelque chose de fort, très réaliste, très intense. Mais cela ne me prouve rien de plus que je savais avant.
« The Truman Show, c’est une référence que je prends avec plaisir. Pour moi, Jim Carrey est un dieu de la comédie, même s’il est archi-incompris. »
Comment cela s’est passé avec votre jeune partenaire ?
Il me connaissait, mais il ne m’a pas vu comme le mec d’Aladin ou le mec d’EDF. On a tout de suite brisé la glace et il est devenu aussitôt mon pote. On se bagarrait toute la journée.
Peut-on parler de Roulez jeunesse comme de votre Truman Show ?
Ah j’ai flippé que tu compares le film à Tchao Pantin… The Truman Show, c’est une référence que je prends avec plaisir. Pour moi, Jim Carrey est un dieu de la comédie, même s’il est archi-incompris. En démarrant ma carrière, j’étais persuadé que je n’irais jamais vers ce registre et finalement, j’y suis allé la fleur au fusil, content. Je tâtonne et j’essaie de faire le tour de la comédie. Je vais dans l’hyper-espace avec Quentin Dupieux, ou dans un espace plus simple et abordable comme H et La Tour Montparnasse infernale, ou encore dans un espace de comédie plus troublant avec Roulez jeunesse.
Qu’en est-il de votre projet sur Zorro, c’est signé ?
The Rock ?
Zorro, avec Jean Dujardin !
Ah, Zorro ! Oui, c’est signé. Il faut maintenant que je l’écrive, c’est ça le problème.
Roulez jeunesse de Julien Guetta avec Eric Judor, Laure Calamy, Brigitte Roüan.
En salles le 25 juillet 2018.
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