Il est à l’affiche de Notre Dame de Valerie Donzelli. César du meilleur espoir masculin en 2014 pour L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, Pierre Deladonchamps tourne depuis avec élégance et opiniâtreté.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Les places sont-elles chères dans le cinéma français ?
Tout est question d’alignement de planètes pour un acteur ou une actrice. C’est le bon rôle au bon moment avec le bon metteur en scène et la bonne réaction du public. Ainsi démarrent les choses. Ensuite, il faut savoir transformer l’essai. Si les places sont chères ? Ce qui fait la beauté de ce métier, c’est que tout peut arriver à tout le monde. Il n’y a pas de règles.
Comment abordez-vous le métier d’acteur ?
J’aime mon travail. Je me sens dix fois plus exister quand je tourne que lorsque je ne tourne pas. Je me sens vivre, respirer plus fort. Même si tout n’est pas rose et facile dans ce métier, j’estime, pour ma part, être un privilégié. J’avance mais sans plan pré-établi. Mais c’est vrai qu’il faut faire attention à ne pas non plus squatter les écrans au risque de lasser. En ce moment, on me propose de très beaux sujets. Difficile pour moi de les refuser…
Et qu’est-ce donc que ce côté « pas rose » ?
Ce qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est le rythme hasardeux de travail. Cela complique beaucoup les choses au niveau de la vie privée, de la vie de famille. En plus, je voyage beaucoup… Parfois, vous devez composer.
En 2010, il y a la naissance de votre fille, vous êtes retourné chez vous, en Lorraine. D’un point de vue romanesque, le « retour en province » est souvent synonyme d’échec. Aviez-vous jeté l’éponge ?
C’était le cas. J’étais reparti parce que je n’arrivais pas à percer. Je n’avais plus un sou, je tournais en rond, j’attendais que le téléphone sonne et il ne sonnait pas. Je ne suis pas non plus le genre de personne à aller vers les autres pour faire bouger les choses, alors voilà… Je me suis dit que je ne pouvais pas attendre comme ça, qu’il fallait vivre. Je ne voulais pas me retourner à 55 ans en me disant que rien ne s’était passé.
« L’Inconnu du Lac a changé ma vie. »
Quand le point de bascule s’est-il fait ?
J’avais décidé d’arrêter d’être acteur tout en gardant dans un coin de ma tête l’espoir de pouvoir un jour y revenir. J’avais gardé mon agent à Paris. Et puis, il y a eu le casting de L’Inconnu du lac. Ils avaient ratissé large, nous étions au moins une centaine au départ, parce que c’était un rôle particulier, avec des scènes de nu, d’ébats sexuel. Ils savaient que beaucoup de gens refuseraient le rôle. Je suis très heureux qu’Alain Guiraudie m’ait finalement choisi pour ce film. L’Inconnu du Lac a changé ma vie.
Restez-vous libres dans vos choix ?
Je n’ai pas envie de m’ennuyer. Je vais donc volontiers vers des univers différents du miens. J’ai aussi la chance d’avoir des personnalités très éclectiques qui viennent me proposer des choses. Parfois, acteur, vous avez du mal à sortir d’une « case ». Pour l’instant, ça ne m’arrive pas. Pour moi, « acteur populaire », ce n’est pas un gros mot. Comme pour ceux qui, en politique, veulent réconcilier la droite et la gauche, moi j’aimerais réconcilier cinéma d’auteur et cinéma populaire, théâtre public et théâtre privé… Il y a des vases communicants qui peuvent opérer et, je pense, être bénéfiques pour tout le monde.
« Il ne se passe pas beaucoup de jours sans que je pense à la chance que j’ai. »
Devenir un acteur « sollicité », estompe-t-il les années de vache maigre ?
Il ne se passe pas beaucoup de jours sans que je pense à la chance que j’ai. Ce métier – les gens ont tendance à l’oublier -, ce n’est pas qu’un travail. C’est aussi une chance. J’ai quand même l’impression d’avoir une bonne étoile. Il y a également une chose très présente chez moi : depuis que cela « marche », je me suis rapproché plus encore des gens dont je suis proche depuis toujours ; ces valeurs sûres dans ma vie affective, ma famille, mes amis. Cette vie, elle peut parfois donner le tournis. Je veux garder les pieds sur terre, rester connecté à celui que je suis depuis toujours, entouré des gens que je connais de l’enfance.
La réussite vous a-t-elle fait mûrir ?
Disons que j’ai acquis une forme de légitimité. Des auteurs m’ont fait confiance pour leur film et cela m’a rendu plus confiant. Maintenant que j’ai du travail, paradoxalement, je n’ai plus peur de dire à quelqu’un que j’ai envie de travailler avec elle ou lui. Non plus pour une question de survie, mais de choix, de préférence. Je me sens moins gêné de déclarer mon admiration pour des artistes avec lesquels j’aimerais collaborer.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Je suis à la croisée des chemins. Je sais que je ne suis pas un acteur « célèbre » mais le milieu du cinéma me connaît. Par principe, je ne dirai jamais non à un projet qui me donne envie quel que soit le genre de film. Je suis aussi dans une période d’âge où il y a de la place. Des quadragénaires, je trouve qu’il n’y en a pas tant que ça. C’est déjà plus confortable pour un acteur que pour actrice. Les femmes, on leur demande d’être au point, beaucoup plus jeunes. L’homme, on pensera toujours qu’il peut se bonifier avec le temps. Après, Rod Paradot, dans La Tête haute d’Emmanuel Bercot, il est très jeune, novice, mais il crève l’écran et décroche un César…
« Les mois qui ont suivi le César ont été étranges. J’avais le vertige. »
Votre César obtenu en 2014, cela change-t-il la vie ou juste la donne ?
Les mois qui ont suivi le César ont été étranges. J’avais le vertige. Le téléphone ne sonnait pas. Je me demandais ce qu’il se passait. Ca a duré plusieurs mois. J’avais l’angoisse du feu de paille : « Voilà, tu l’as vécu et c’est terminé. » Si ça change la vie, un César ? Je n’en sais rien. J’ai surtout ressenti l’affection, la bienveillance du milieu du cinéma. Pour être tout à fait honnête, quand j’ai été nommé au César du meilleur acteur pour Le Fils de Jean de Philippe Lioret, en 2017, avec face à moi de grands noms comme Luchini, Ulliel, Duvauchelle, Auteuil, cela m’a beaucoup touché. Un bien fou à l’ego, une véritable bouffée d’air. Aujourd’hui, je n’ai plus peur que ça s’arrête. La peur est devenue contre-productive.