Photo de couverture © Nihilo Kare
Fanny Ardant, Melvil Poupaud, et Carine Tardieu, ont accordé un grand entretien à See Mag, pour Les Jeunes Amants (sortie le 2 février). Dans ce film, inspiré d’une histoire de la regrettée Sólveig Anspach (réalisatrice de L’effet aquatique), Carine Tardieu (Ôtez-moi d’un doute) raconte la passion de deux personnes d’un âge opposé. L’équipe du film nous a parlé avec humour, franchise, de leurs méthodes, et de leur rapport au métier de comédien.
Par Grégory Marouzé
Dans vos films, on trouve de beaux portraits de femmes. Qui sont à rebours des conventions, des clichés. On voit assez rarement dans la vie, et encore plus au cinéma, un homme qui s’affiche avec une femme plus âgée que lui. Or, c’est le cas dans Les jeunes amants. Est-ce la différence d’âge dans cette histoire d’amour qui vous intéressait ?
Carine Tardieu : En fait, c’est Sólveig Anspach qui m’a parlé de cette histoire. Je pense que la mère de Sólveig serait tombée amoureuse d’un homme du même âge qu’elle, Sólveig aurait été tout aussi bouleversée. Disons que ça a peut-être perturbé Sólveig parce que cet homme avait le même âge qu’elle. Ça la renvoyait à sa propre solitude car cet homme aurait pu être son amant à elle, finalement, plutôt que celui de sa mère.
Mais fondamentalement, quand j’ai eu vent du projet, je me suis dit que c’était peut-être une opportunité de raconter une grande et belle histoire d’amour d’une femme d’un certain âge. La différence d’âge entre les deux n’était pas ce qui me paraissait le plus le plus important. Après, effectivement, ça dramatise la situation parce qu’il est marié. Mais voilà, ce n’est pas ce qui m’a décidé en tout cas.
Fanny Ardant et Melvil Poupaud, d’emblée, on croit à votre histoire, on croit à votre amour. On ne voit plus de comédiens. On est embarqué. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
Melvil Poupaud : On s’est bien entendu dès les premiers instants avec Fanny. Je dirais, dès les premiers essais caméras. Je sentais que Fanny était presque plus intimidée, encore moins sûre d’elle que moi. J’étais sûr de moi. Du coup, je me suis dit que c’était à moi d’avoir l’air cool et de détendre l’atmosphère, de montrer que j’avais envie de tourner avec elle, que j’étais curieux de la connaître un peu mieux. Aussi, parce que c’est une actrice que j’ai toujours aimée. Donc, dès les premiers instants, il y a deux personnes qui se rencontrent et s’apprécient d’instinct. Fanny a un côté un peu provoc.
Elle dit toujours des choses qui sont inattendues et plutôt que de me déstabiliser, ça m’a fait rire. Donc j’ai rebondi là-dessus. Je pense qu’il y a eu comme une espèce de coup de foudre amical et une reconnaissance entre nous. En revanche, ça m’a beaucoup aidé quand il s’agissait de faire des scènes, de la regarder dans les yeux. Cette amitié, cette complicité, m’ont aidé à oublier la caméra. Parce que je pense que le métier d’acteur, c’est de réussir à oublier la caméra.
Être en interaction dans les yeux de son partenaire, ça crée un monde un peu isolé, ce qui fait qu’on oublie heureusement la caméra. La technique, le reste de l’équipe, ou le reste du monde, un peu comme dans un coup de foudre où tout à coup, tout disparaît. Il y a plus que la personne en face quand on joue avec un acteur, à fortiori quand c’est une grande actrice comme Fanny. On se retrouve dans une petite bulle. Et donc je pense que Carine et l’équipe ont respecté cette petite bulle qu’on s’est créé avec Fanny.
« Fanny aime bien provoquer pour voir ce que ça déclenche chez l’autre. Voilà ! »
Fanny, vous êtes dans la provocation ?
Fanny Ardant : J’aurais pu dire les mêmes choses que Melvil ! Dans la provocation ? Mais non, pas tant que ça.
Melvil Poupaud : La provocation, c’est parce que Fanny est en dehors de toutes les conventions. Elle déteste ce qui est normé, et normatif. La contrainte !
Fanny Ardant : Mais un peu comme Carine.
Carine Tardieu : Oui, mais on n’a pas forcément toujours la même méthode, c’est tout. Fanny aime bien provoquer pour voir ce que ça déclenche chez l’autre. Voilà !
Melvil Poupaud : Je comprends, Fanny déteste l’autorité, et moi je suis un peu pareil aussi.
Fanny Ardant : Mais c’est le plaisir de la conversation, non ? De pouvoir balancer pour voir ce que cela va faire…
Melvil Poupaud : Oui ! Et puis aussi, pour très vite débusquer les gens, c’est-à-dire plutôt que d’attendre les conventions, pour mieux connaître la personne, autant aller vite ! Qui ai-je en face ? Et puis très vite, en quelques phrases, voir à qui on a affaire et, soit passer son chemin, soit creuser la relation.
Fanny Ardant : Melvil est intelligent, parce que moi, je me sens très mal à l’aise avec les gens à qui je fais peur, parce que je ne comprends pas pourquoi je leur fais peur. Et que quand quelqu’un n’a plus peur de moi, aaah, finalmente (ndr: en espagnol dans le texte) !!!
Quand on est une grande comédienne, pour pouvoir jouer le coup de foudre, que ça touche le spectateur, devez-vous croire au coup de foudre ?
Fanny Ardant : Ce n’est pas une question de croire. C’est laisser aller. Souvent, on m’a posé la question, comment vous êtes-vous préparée à ce film ? Mais on ne se prépare pas à un film, curieusement. Une fois qu’on a dit oui, et qu’on a devant soit un metteur en scène qui sait exactement ce qu’il veut … Il y a ce côté “faites de moi ce que vous voulez” ! Alors, le coup de foudre, en effet, ou le regard amoureux…
Ça passe par des trucs que je serais incapable de vous dire, que je n’ai pas construit ou contrôlé. Je pense que quand on arrive sur un plateau avec des certitudes, et des volontés de montrer “et si, et ça”, c’est dommage ! Parce que, curieusement, la vie a plus d’imagination que nous… Si j’étais bien avec mes certitudes, ça ébranlerait un château, parce que là c’est comme une flottille. Toujours ! Je me rappelle d’un film où je devais parler avec Philippe Noiret à une table, pendant un mariage et en dansant. Le tournage a duré trop longtemps, les musiciens, qui n’étaient pas payés, sont partis. Les figurants sont partis. On s’est retrouvé à une petite table, mélancoliques, à la fin du buffet d’un banquet, où tout le monde est parti. J’avais touché du doigt que si j’avais préparé la scène d’une certaine façon…
On ne dit pas les mêmes choses en dansant, ou avec de la musique, en parlant fort, A partir du moment où vous aimez un rôle, que vous aimez bien le metteur en scène qui vous a choisi, c’est plus simple que ça en a l’air. Mais en effet, il ne faut pas avoir une aversion pour l’acteur en face de qui on est. En fait, par exemple, quand on me dit “ce sera tel acteur”, moi je suis une actrice, donc je ne dis pas que je ne peux pas le piffer, par exemple. Parce qu’au fond, peut-être que je vais me tromper. Non, mais parce que je peux avoir des acteurs qui m’exaspèrent sur l’écran. Si on me dit “le prochain rôle, ce sera avec untel” : poker face ! Et après, en jouant, je m’aperçois que je m’étais complètement trompé sur ce type-là. Donc, vous voyez : pas de certitudes !
« Je n’aime pas les répétitions, donc on ne se voit pas tellement avant. On ne répète pas tellement sur le plateau. »
Est-ce que vous vous servez en tant que réalisatrice, et en tant que cinéphile, de ce que les comédiens représentent dans l’inconscient collectif, de ce qu’ils ont laissé comme trace auprès des spectateurs ?
Carine Tardieu : Je n’écris pas autant en conscience. Quand les comédiens arrivent, au contraire, je vais avoir tendance à vouloir me débarrasser de l’image qu’ils ont d’eux. Mon fantasme, comme beaucoup de réalisateurs, c’est qu’on puisse dire “on l’a jamais vu comme ça”. Mais ce n’est pas non plus ce que je cherche, ce n’est pas comme ça que je fonctionne. Je pense juste à mon personnage et comment je vais pouvoir emmener le comédien.
Et puis les comédiens, je les découvre dans le travail, sur le plateau. Je n’aime pas les répétitions, donc on ne se voit pas tellement avant. On ne répète pas tellement sur le plateau. On se lance et puis, ensuite, je fais avec ce qu’ils me donnent, ce que je découvre d’eux, au fur et à mesure. J’ai retravaillé avec Cécile de France, et ce fut un grand plaisir de retrouver quelqu’un avec qui j’avais déjà travaillé. Mais j’aime bien ne pas trop savoir qui sont les comédiens.
Ça reste un peu mystérieux. Il faut que je puisse projeter sur eux, tout ce que je veux. Donc, je ne me disais pas “c’est Fanny dans tel rôle”, ou “c’est Melville, dans tel film”. Les derniers rôles de Melvil qui m’avaient vraiment marqué, c’était Laurence Anyways ou Grâce à Dieu, et il y est très différent du rôle de Pierre.
Fanny Ardant © Nihilo Kare
Quand vous travaillez sur un personnage comme Pierre, dans Les jeunes amants, avez-vous le besoin de lui inventer un hors-champ ?
Melvil Poupaud : Déjà, j’ai eu un peu accès à la personne réelle que j’incarne. Qui était donc l’amant de la mère Sólveig Anspach. Agnès de Sacy (ndr: coscénariste du film) avait eu un entretien avec lui pour essayer de cerner un peu le personnage. Entretien que j’ai lu. Ensuite, j’ai compris que Carine avait ses personnages, sa mise en scène, cette histoire bien en tête. Je suis un peu comme Fanny à ce niveau-là, je n’arrive pas avec mon travail, mes petites fiches, mon background, que j’essaie d’imposer au metteur en scène.
J’essaie plutôt d’être à l’écoute, j’apprends mon texte, j’arrive sur le plateau, assez disponible parce que, comme disait Fanny, je connais trop le piège d’avoir tout préparé, et qu’au dernier moment le metteur en scène dise “bah non, en fait, la scène on va la faire dehors, et tu seras en train de jardiner”, alors que je m’étais imaginé que j’étais en train de lire dans une bibliothèque. Je connais trop d’acteurs qui n’arrivent pas à se reformater selon les désirs du metteur en scène.
En plus, j’ai commencé avec Raoul Ruiz qui changeait tout, tout le temps. Du coup, j’ai bien compris qu’il ne fallait pas trop se faire de plans sur la comète quand on est acteur. En fait, je suis juste acteur. J’arrive sur le tournage, je connais mon texte. Le metteur en scène me dit de faire quelque chose, je le fais. Après, si je ne suis pas d’accord, je peux essayer d’arranger et puis on peut en parler mais, une fois que j’accepte un rôle et que je fais confiance au metteur en scène, je me rends plutôt disponible. Je n’ai pas tellement l’impression que j’ai besoin de me raconter toute la vie de mon personnage
« Quand on me demande ce que je dirais à un jeune acteur, moi, je dis toujours la même chose : il faut avoir la certitude des fous ! Si, tu es animé d’une forme de folie, alors vas-y ! »
Les comédiens, c’est magique, c’est ésotérique. Je ne sais pas ce que c’est, être comédien.
Melvil Poupaud : Mais moi pareil ! Ça reste toujours aussi mystérieux et bizarre. Je n’ai pas exercé beaucoup de métiers dans ma vie parce que j’ai commencé quand j’étais petit, mais j’ai expérimenté d’autres champs, disons artistiques. Et comédiens, je trouve ça toujours aussi bizarre, déstabilisant et dangereux. Oui, bizarre, c’est ce qui me viendrait comme mot. Je ne sais pas d’où ça sort ? Et je ne le conseille à personne. C’est très déstabilisant (ndr: rires de Fanny Ardant). Je ne sais pas si Fanny trouve ça bizarre aussi.
Fanny Ardant : Oui, moi non plus je ne le conseille à personne.
Carine Tardieu : C’est parce qu’ils veulent garder la place (ndr: rire collégial).
Fanny Ardant : Quand on me demande ce que je dirais à un jeune acteur, moi, je dis toujours la même chose : il faut avoir la certitude des fous ! Si, tu es animé d’une forme de folie, alors vas-y !
Melvil Poupaud : Ouais, mais c’est une folie qui, en même temps, est très cadrée. Il faut quand même apprendre son texte, être sur le tournage, il faut connaître ses marques.
Fanny Ardant : Parce que les fous, sinon on les enferme. Donc les acteurs sont des fous qui s’avancent masqués, qui apprennent leurs lignes.
Carine Tardieu : Ce sont des fous qui transcendent !
Fanny Ardant : Oui, ou qui mangent leur purée et s’en foutent partout.
Melvil Poupaud : Des fous qui se contrôlent, qui ont la main sur leur folie.
Fanny Ardant : Et vous avez raison, on dit qu’ils sont dangereux, quand même.
Melvil Poupaud : Oui, parce qu’on ne peut pas s’empêcher d’être quand même un petit peu schizo et en décalage permanent avec la réalité, quoi. Quand on fait une scène, c’est quand même très bizarre de s’imaginer que c’est la vraie vie et qu’on a vraiment une histoire avec Fanny Ardant, qu’on se regarde dans les yeux alors que tu as 30 personnes autour de toi qui s’agitent et qu’on nous dit “arrêtez de vous embrasser, coupez”. OK, on arrête, on n’est plus amoureux. On rentre chez soi. C’est un truc de fou !
Carine Tardieu © Lucie Pouly
Il y a un dialogue épatant dans le film. Quand vous dites : “ Je ne suis pas une femme architecte, je suis une architecte !”
Fanny Ardant : Moi aussi, ça me plaît beaucoup. Avant tout, elle est un être humain qui a été passionné par ses études, par le métier qu’elle a fait, donc une femme architecte, c’est comme si on disait “Popopo, il y a une femme qui a réussi à être architecte”. C’est réducteur.
Ce dialogue est fort, parce qu’il définit Shauna très vite. On a l’impression de savoir d’emblée énormément de choses, de son caractère, de son tempérament, de son regard sur le monde.
Fanny Ardant : Moi, j’ai toujours pensé qu’elle était très indépendante d’esprit. Elle dit les choses, avec des phrases qui n’ont pas l’air d’être des brûlots. C’est comme ça qu’on dit la vérité. Enfin, qu’on essaie de s’approcher de ce qui est la vérité.
Carine Tardieu : Après, si on veut analyser un peu plus, c’est le moment où Shauna va dire au personnage de Melvil Poupaud qu’elle ne veut plus le voir dans la séquence suivante. Donc, en gros, quand elle dit “ Je ne suis pas une femme architecte”, elle enlève la femme aussi. C’est une manière d’annoncer qu’il faut la laisser tranquille.
Fanny Ardant : Ah ouais ? Je ne savais pas du tout ça.
Carine Tardieu : Non, mais je ne vous l’aurais pas dit sur le plateau parce que c’est trop compliqué. Ça intellectualise trop, mais je vous le dis à posteriori, c’est ce que j’avais dans la tête. C’est le moment où elle dit qu’elle veut mettre la femme de côté. Et non pas, la femme d’à côté. On va finir là (rires).
Les Jeunes Amants : Shauna, 70 ans, libre et indépendante a mis sa vie amoureuse de côté. Elle est cependant troublée par la présence de Pierre, cet homme de 45 ans qu’elle avait tout juste croisé, des années plus tôt. Et contre toute attente, Pierre ne voit pas en elle “une femme d’un certain âge”, mais une femme, désirable, qu’il n’a pas peur d’aimer. A ceci près que Pierre est marié et père de famille.
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