Il est à l’affiche de Le Mans 66 dans la peau d’un créateur génial de bolides qui fera mordre la poussière à l’immense Scuderia Ferrari. A 49 ans, Matt Damon poursuit sa route tambour battant.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Vous connaissiez Carroll Shelby, l’ancien pilote créateur de bolides que vous incarnez dans Le Mans 66 ?
Le projet a mis près d’une décennie à éclore, alors, oui, je connaissais déjà assez bien l’histoire et le personnage. Mais c’est seulement lorsque j’ai lu le scénario final, aux côtés de James (Mangold) et de Christian (Bale), que j’ai vraiment été mordu. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à lire des livres sur Shelby, à regarder des documentaires sur lui… J’ai également rencontré beaucoup de gens qui le connaissaient car il était extrêmement populaire. Un véritable mythe à Los Angeles ! Des gens m’ont qu’il était capable de vous vendre n’importe quelle idée, même la plus azimutée.
Le film aborde la difficile entente entre créativité et commerce. L’analogie avec le cinéma n’est pas très loin…
Oui. La corrélation est permanente. Une grande partie du film se penche sur l’histoire de ces gars, à première vue des excentriques, qui reçoivent une manne du monde des affaires, celui de Ford. Les commerciaux et les créatifs s’unissent pour changer le cours de l’histoire. C’est littéralement le monde dans lequel nous vivons, y compris dans l’industrie du cinéma. Les similitudes sont indéniables.
« Christian est tout bonnement l’un des plus grands acteurs au monde. »
Sans langue de bois, votre regard sur Christian Bale qui joue Ken Myles, votre acolyte dans le film ?
Christian est tout bonnement l’un des plus grands acteurs au monde. D’une certaine façon, cela m’a permis de mieux comprendre ce que Shelby ressentait pour Miles, parce qu’il pensait que c’était le meilleur ingénieur et conducteur qu’il avait jamais vu. Christian est comme un moine quand il se met au travail. Vous n’imaginez pas quel point il peut bosser dur, tous les sacrifices dont il est capable, les renoncements. Il est totalement dévoué à sa tâche. Et Ken Miles était comme ça aussi. Christian partage tant de ses qualités. C’est un puriste à bien des égards et il toujours très sérieux dans ce qu’il entreprend.
Le Mans 66 s’éloigne est à classer parmi vos films plus « familiaux ». Comme votre comparse Brad Pitt, cherchez-vous à faire des films que vous serez « fier de montrer à vos enfants » ?
C’est évident. Bien que je continue à tourner dans des films que je ne pourrai pas leur montrer avant leur adolescence ! C’est amusant de penser qu’adultes, ils pourront juger le travail de leur père. Plus sérieusement, je continue à défendre mes choix de comédien, même si un film ne fonctionne pas, ce qui m’est déjà arrivé et m’arrivera, j’imagine, encore. Mais lorsque je dis oui, c’est toujours à bon escient. Ensuite, je regarde les « ingrédients » du film et j’essaye de faire mon mieux. C’est là qu’on revient à mes enfants : peut-être que, face à eux, plus tard, devrai-je défendre mes choix, en leur expliquant que, parfois, j’ai eu foi en un metteur en scène qui était très talentueux ou en une histoire que je trouvais passionnante, mais que cela n’a pas donné le résultat espéré.
Qu’est-ce qui a fait que, d’un jour à l’autre, l’aspirant comédien que vous étiez a commencé à intéresser son monde à Hollywood ?
Concrètement ? Un jour, je suis arrivé à un casting et il y avait un rôle qui m’était, à ce moment précis, destiné. Et puis, à force d’auditions, des milliers d’auditions, je m’étais amélioré, apprenant à donner ce qu’on attendait de moi de manière plus affirmée. C’est un exercice difficile, vous savez. Vous vous défoncez pendant cinq minutes pour vous entendre dire : « Merci. Au suivant ! » Vous avez l’impression que le monde entier est contre vous ce qui, pris positivement, est aussi un excellent moteur. Jusqu’à Good Will Hunting, j’avais réussi à garder en moi ce côté combatif. Chaque fois que j’entrais dans une pièce, j’avais terriblement peur, alors il fallait que je me durcisse intérieurement le temps de l’audition avant de redevenir moi-même. Il a fallu l’expérience de Good Will Hunting, que je me retrouve de l’autre côté de la table, pour que je saisisse réellement toute l’ampleur des attentes du metteur en scène. En tant que comédien, vous réglez pas mal de ces problèmes en donnant le meilleur de vous-même à une audition. Un réalisateur, ça veut faire le meilleur film possible. Alors, vous lui facilitez le travail en étant le meilleur possible face à la caméra.
Vous êtes actuellement un des comédiens les plus rentables de Hollywood…
Il y a tout de même un détail amusant. En 2007, j’étais en effet l’acteur le plus « bankable » de Hollywood. Pour un dollar engagé, c’est moi qui en rapportais le plus. J’ai appelé mon agent : « Qu’est-ce que tu viens encore m’emmerder ? » Deux ans passent, la même liste sort et me voilà parmi les moins rentables. Je l’appelle à nouveau : « Hé bien, bravo ! T’as fait du bon boulot ! »
« Les gosses ne se donnent plus rendez-vous au cinéma aujourd’hui. »
Votre point de vue sur la situation actuelle du cinéma américain ?
Je sais que le nombre de spectateurs entre 13 et 18 ans et en train de décliner aux États-Unis, ce qui inquiète la profession, vu que ce sont eux qui représentent la plus grosse part de marché. Les gosses ne se donnent plus rendez-vous au cinéma aujourd’hui. Ils se parlent directement par textos et ils restent à la maison à regarder Youtube. Les mœurs changent, mais il y a aura toujours des histoires à raconter et des gens qui auront envie de les voir, de les écouter. A l’industrie d’apprendre à s’adapter…
L’écologie, est-ce la nouvelle marotte de Hollywood ?
Au contraire, je pense que ce genre d’engagement coule de source. Les problèmes liés à la protection de la nature, à la préservation de la planète sont conséquents. Nous nous retrouvons néanmoins, aux États-Unis plus particulièrement, dans une situation assez étrange. Vous êtes une personnalité, alors on vous écoute vraiment. Une fois que vous avez compris ce système, ça devient très simple de vous engager sur n’importe quoi, manière d’attirer sur vous l’attention. Fondamentalement, ce n’est pas très sain. Mais si cela peut apporter de l’argent à une cause, alors pourquoi pas ? C’est ce que j’essaye de faire. Tant que je ne vois pas l’argent s’envoler ou récupérée par des personnes mal intentionnées…
Mais vous admettez que le Hollywood « engagé » puisse commettre des erreurs…
Bien évidemment. Vous pouvez vous engager pour une cause et, mal conseillé, vous planter. Comme certaines personnes qui créent des associations, des fondations et finissent par baisser les bras. C’est un travail harassant, vous savez. Il faut s’y consacrer à 100%, être prêt à y sacrifier beaucoup de votre temps libre et de votre vie de ma famille, à vous retrouver dans des endroits beaucoup moins agréables que les hôtels où vous avez l’habitude de donner des interviews… Mais il ne faut pas être négatif. Regardez ce que réalisaient Brad et Angelina, regardez George. En se démenant comme de beaux diables, on peut faire un excellent travail.
La série des Ocean’s Eleven, Che 2e partie (2008), The Informant ! (2009), Contagion (2011), Ma Vie avec Liberace (2013), une apparition dans Paranoïa (2018)… Vous entretenez une relation aussi forte que fidèle avec Steven Soderbergh…
Je suis incapable de dire non à Steven ! Je suis toujours satisfait du résultat de nos collaborations, mais, par-dessus tout, je trouve qu’il est tout bonnement irremplaçable. J’apprends tellement de choses rien qu’à me tenir à ses côtés, à le regarder travailler, à m’entretenir avec lui. Vous me parlez de Contagion. Voilà un exemple précis : dans la journée, nous tournons un plan très compliqué, qui pose problème, sur le placement de la caméra, le jeu des comédiens, nous discutons beaucoup et puis Steven tourne la scène. Moi, je ne cesse de lui poser des questions : pourquoi la caméra là ? Pourquoi cet objectif ? etc. Il me répond au tac-au-tac, sans fléchir. Une fois la scène mise en boîte tout le monde paraît satisfait, chacun s’y est donné à fond. Ensuite, tout le monde rentre à notre hôtel de Chicago. Douche. Dîner léger. On se retrouve au bar. Steven arrive avec le petit groupe armé de son ordinateur sur lequel les rushes, tournés en numériques, ont été téléchargés. Je commence à discuter avec le scénariste et le producteur en sirotant mon verre tandis que lui reste en retrait, le nez dans son laptop, casque sur les oreilles. 45 minutes passent et il nous dit : « Voilà ! » Il fait passer son ordinateur. La scène de l’après-midi était entièrement montée ; musique incluse. Vous en connaissez beaucoup qui peuvent faire ça