Louis Garrel a accordé un entretien à See Mag pour évoquer son dernier film, L’Innocent (sortie le 12 octobre). Interprété par Louis Garrel, Noémie Merlant, Roschdy Zem et Anouk Grinberg (enfin de retour au cinéma !), L’Innocent brasse plusieurs genres comme la comédie, le polar, le cinéma d’action. See Mag a voulu en savoir plus sur ce quatrième long-métrage, très réussi, en compagnie du principal intéressé !
Entretien par Grégory Marouzé
L’Innocent est inspiré d’une partie de votre histoire et, surtout, d’une partie de de l’histoire de votre mère, la cinéaste Brigitte Sy, qui a animé des ateliers de théâtre et s’est mariée avec un détenu. Or, L’Innocent ne verse pas dans l’autofiction, ce n’est pas dans un film vériste, on échappe au naturalisme. Comment vous avez trouvé la façon de raconter cette histoire ?
Louis Garrel : Oui, je me suis inspiré d’une expérience que j’ai vécue plus jeune, adolescent. Je fréquentais des gens qui sortaient de prison, qui avaient rencontré ma mère. Et, d’une certaine manière, ça fait fantasmer quand on a 14 ans de rencontrer des gens qui ont fait 10 ans de prison, des fois même plus, 15. Même eux, entretiennent une sorte de légende dont je me suis inspiré.
Cette espèce de double émotion que j’avais, qui était à la fois la crainte et là fascination. Mais pour le film, ça c’est sûr que je ne voulais absolument pas faire une chronique naturaliste car, somme toute, ça serait assez anecdotique de le raconter. Donc l’idée était de faire un polar. D’emprunter un genre populaire, au sens où tout le monde a déjà vu des polars dans sa vie.
Tout le monde connaît un peu les codes du polar, on a vu beaucoup de polars américains, si ce n’est les films de Melville. Et pour ne pas avoir l’air d’imiter les Américains, ne pas vouloir faire “genre américain” mais juste faire genre, je me suis dit qu’il fallait alterner les genres tout le temps. Ça se fait par un phénomène d’empilation des thèmes du film. Donc, je suis passé par la comédie, la comédie romantique, de boulevard, le polar, le film d’action et, ensuite, j’ai essayé de mélanger tout ça pour trouver l’originalité du film et, surtout, être en mode léger tout le temps.
J’ai travaillé la légèreté, sans jamais sacrifier aux personnages, parce que je voulais vraiment que ce soit aussi un film avec quatre personnages très définis, qui pouvait donner la possibilité à des acteurs de livrer des performances. Que ce soit dans le burlesque pour Noémie Merlant, dans le tragi-comique chez Roschdy Zem ou le lyrisme chez Anouk Grinberg.En tout cas, se balader comme ça les gens. Je voulais que le film prenne l’apparence d’un film d’aventures, une sorte de film d’aventure tragique, comique, toujours avec des points d’ironie, tout le long du film.
« Parce que moi, je trouve que le contraire de la légèreté, ce n’est pas la gravité, c’est la lourdeur. La légèreté n’empêche pas la profondeur. Jamais ! »
Le film semble en décalage avec ce qu’on peut voir actuellement dans la production française lambda. Ce qui frappe, c’est cette décontraction insolente qui permet de passer de la comédie policière, au film noir, au film de braquage. Comment avez-vous fait pour trouver l’équilibre entre ces différents genres ?
Ça, je ne pourrais pas le dire. C’est une espèce de mélange entre les talents des acteurs, la grâce du hasard, des gens qui forment mon équipe technique, leur talent aussi. Tant mieux si vous le trouvez le film aussi original, mais je pourrais pas vous dire, c’est comme si c’est comme ça.
Par contre, ce que je me disais tout le temps, c’est que le film emprunte au music-hall, qu’il soit spectaculaire, au sens du divertissement. Parce que moi, je trouve que le contraire de la légèreté, ce n’est pas la gravité, c’est la lourdeur. La légèreté n’empêche pas la profondeur. Jamais ! Je sais que les gens sont plus disponibles à regarder une histoire drôle, ironique et tout ça… Ensuite, à l’intérieur, on peut aborder le tragique des sentiments, la beauté de ce qu’est une femme de 60 ans qui croit à une histoire d’amour, comme si elle en avait 18. Comment un homme sort du deuil, sort de son inhibition, pour enfin se enfin retrouver du goût, retrouver du désir. Comment une femme est plus courageuse qu’un homme, comment elle est plus brave comme le personnage de Noémie, plus aventurière.
Tous ces thèmes qui me sont chers, je peux tout à fait les travailler en légèreté. Ça n’empêchera pas de les regarder. Donc, je disais tout le temps à mon équipe technique, il faut que notre film soit un film de variété au même titre qu’une chanson de variété touche tout le monde. J’étais tout le temps en train d’essayer de simplifier, de ne jamais complexifier l’espace ou la narration. Je voulais que ça soit presque enfantin. La dernière fois, j’ai vu des gens de 12 ans qui sont allés voir le film, j’ai dit « Est-ce que ça allait ? Vous vous ennuyez ?” “Non, on ne s’est pas ennuyés !” Ça, c’est génial parce que, pour moi, les films sont faits pour être vus par des gens de 12 ans, 15 ans, 18 ans, 20 ans, parce qu’ils font appel à ce premier degré sentimental. Et après, pour répondre plus précisément à votre question, comment on fait ça ? …
« On n’a pas voulu les moments de comédie, on a cru aux situations, on a essayé d’être le plus précis possible, de rester très humain, sans dénaturer quoi pour ne pas paraître obscène. »
On n’est pas obligé de savoir…
Non, non, non, on n’est pas obligé de savoir. Il y a même des gens qui rient à des endroits où je ne m’y attendais pas. Je le vois dans les salles. C’est aussi beaucoup de comiques de situation aussi. On n’a pas voulu les moments de comédie, on a cru aux situations, on a essayé d’être le plus précis possible, de rester très humain, sans dénaturer quoi pour ne pas paraître obscène. Après, on a aussi beaucoup travaillé le scénario.
Par exemple, si je fais un film sur quelqu’un qui sort de prison, j’échappe complètement au discours sociétal sur la réinsertion. Ça, ça ne m’intéresse pas du tout. Au sens où je suis dégagé de ça. C’est un outil romanesque et même affectif. J’ai juste un rapport affectueux au fait qu’il sort de prison. J’ai pas du tout envie de développer le thème d’un homme qui voudrait se réinsérer. C’est en ce sens-là, que le film n’a pas de côté naturaliste ou chronique sociétale. C’est vraiment du roman d’aventure, presque.
Si on vous dit que plus qu’une comédie française, on voit une comédie italienne ?
Ça me fait plaisir parce que les Italiens, eux, sont constamment en train de naviguer…Enfin, les Italiens, les grands metteurs en scène qu’on adore qui Monicelli, Lattuada, ou même Fellini, c’est de l’ironie, de la dérision, la description de personnages qui peuvent être lâches, veules, dont on rit, parce qu’ils sont ridicules et pathétiques. Mais dans la séquence qui suit, on peut tout à fait être ému parce qu’ils sont poignants. Et cette espèce de tragi-comédie en permanence, je la trouve géniale. Je trouve que c’est la meilleure manière de raconter une histoire d’être tragique, comique.
« Cette espèce de contraste, ça fabrique de la comédie, mais de la comédie au sens du jeu. »
Qu’avez-vous l’impression que votre personnage, Abel, vous a permis d’explorer dans votre travail de comédien, que vous n’aviez pu faire auparavant ?
Le fait d’avoir un personnage qui ne vient pas du tout du monde des bandits et qui se retrouve dans un monde dont il ne connaît pas les codes, dans lequel il va se trouver complètement peureux alors qu’il doit commettre un crime. C’est quand même d’une certaine manière du burlesque et c’est peut-être ça que le fait de devoir jouer un personnage très craintif ou très lâche, avec des gens qui, eux, osent tout. Cette espèce de contraste, ça fabrique de la comédie, mais de la comédie au sens du jeu. Être avec des gens très très désinhibés alors que je dois jouer quelqu’un de très très inhibé et très très peureux.
Synopsis : Quand Abel apprend que sa mère Sylvie, la soixantaine, est sur le point de se marier avec un homme en prison, il panique. Épaulé par Clémence, sa meilleure amie, il va tout faire pour essayer de la protéger. Mais la rencontre avec Michel, son nouveau beau-père, pourrait bien offrir à Abel de nouvelles perspectives…
L’innocent de Louis Garrel avec Roschdy Zem, Anouk Grinberg, Noémie Merlant, Louis Garrel – Scénario : Louis GARREL, Tanguy VIEL, avec la collaboration de Naïla GUIGUET – Musique originale : Grégoire HETZEL – Directeur de la photographie : Julien POUPARD (AFC) – Chef monteur : Pierre DESCHAMPS – Festival de Cannes 2022 – Hors compétition – Durée : 1h40
Un grand merci à remerciements au festival CineComedies sans qui cette ITW n’aurait pu se faire