See Mag a rencontré le cinéaste québécois Eric Gravel et la pétillante Laure Calamy pour A plein temps (sortie le 16 mars). Laure Calamy y incarne Julie, femme de ménage dans un palace parisien. Durant 1h27, on la suit au travail, dans sa vie privée, au cours de grèves de transports paralysant Paris. Tourné à un rythme effréné, qui rappelle le cinéma d’action, À plein temps est un film social sous tension. La Mostra de Venise ne s’y est pas trompée : Laure Calamy (un César de la meilleure actrice pour Antoinette dans les Cévennes) y a reçu le prix Orizzonti d’interprétation féminine, et Eric Gravel, celui du meilleur réalisateur. Mérité !
Par Grégory Marouzé
Vous incarnez une femme très forte, volontaire, que la vie n’épargne pas, qui se démène, se bat. Est-ce un choix affirmé d’incarner ce type de rôles dans un dans des films comme Une femme du monde et A plein temps ?
Laure Calamy : C’est une volonté ! Mais ils ne devaient pas se tourner de manière si proche. Cela ne devait pas se produire comme ça à la base. J’avais déjà fait un court-métrage avec Cécile Ducrocq. On a mis 6 ans avant de pouvoir tourner le long-métrage. Il fallait qu’elle trouve le financement etc… Et puis, Éric est venu, bien avant, me proposer son projet. En fait, on devait le tourner bien avant, au mois de mars, mais il y a eu le premier confinement. Le tournage de A plein temps a été décalé en septembre et le film de Cécile a aussi été repoussé pour d’autres raisons. Donc, je me suis retrouvé à tourner les deux l’un à la suite de l’autre, ce qui n’était pas prévu comme ça.
Est-ce une volonté d’incarner des femmes fortes qui essaient de s’extirper de situations douloureuses ? Et dans lesquelles beaucoup de femmes peuvent se projeter…
Laure Calamy : Oui, on peut se reconnaître. C’est ça qui me touche dans ces personnages-là, même si pour moi ils n’ont rien à voir dans leurs caractères. Bien sûr il y a ce point commun de ne pas être épargné par la vie, effectivement, et d’être des battantes. Après, je trouve qu’elles ont une grosse différence dans leurs rapports aux enfants. Ce n’est pas le même rapport, pas le même métier (ndr: dans Une Femme du monde, Laure Calamy incarne une prostituée). Et puis ce n’est pas du tout le même cinéma. Donc, pour moi, ce sont vraiment deux films très éloignés. Ce ne sont pas les mêmes gestes de cinéma.
Alors, effectivement, il y a ce point commun de femmes seules qui qui doivent s’en sortir, qui sont dans la survie, qui n’ont pas le choix et qui n’ont pas le temps de s’apitoyer sur elles-mêmes. On parle de force. C’est le cas de plein de femmes, et d’hommes aussi d’ailleurs. Mais enfin ce sont souvent des femmes et c’est double journée. Moi, je suis embarquée par un scénario, par une histoire, je ne veux pas à tout prix faire des femmes fortes. Ça ne m’intéresse pas. Pour moi ce sont des personnages qui ont de la force, mais, aussi, énormément de fragilité, qu’elles essaient de mettre de côté.
« Souvent, les personnages sont d’un bloc, là je trouve qu’il y a quelque chose qui se décline, qui se déploie. C’est assez passionnant. »
On ne veut pas dire que c’est quelque chose de programmatique.
Laure Calamy : Non, mais c’est pour répondre et nuancer. Ce sont des personnages qui masquent leur fragilité auprès des autres, mais qui en sont bourrées en fait. Ce que je trouve différent, et que j’adore dans le film d’Éric, c’est que ce personnage-là, est beaucoup plus rentré. On la voit vraiment jouer des rôles. On la voit sous différentes facettes, que ce soit dans son travail de femme de chambre où il faut qu’elle soit impeccable.
Et, après, avec ses enfants ou d’un coup, il y a un truc de laisser aller. Elle est telle qu’elle est. Elle est différente, quand elle a un rendez-vous pour ce travail de cadre qu’elle espère obtenir. On voit plusieurs visages d’elle, comme dans la vie. On joue des rôles, on n’est pas les mêmes selon les situations, et je trouve qu’on le voit de manière assez inouïe dans ce film. Souvent, les personnages sont d’un bloc, là je trouve qu’il y a quelque chose qui se décline, qui se déploie. C’est assez passionnant. Comme actrice, aussi, de pouvoir montrer tous ces aspects-là.
A plein temps traite de questions fondamentales de notre société. De la façon dont on traite l’être humain. Mais on peut le voir comme un film d’action. Comment avez-vous fait pour insuffler cette énergie ? Quand on voit A plein temps, on se dit que vous deviez être épuisé…
Eric Gravel : Je n’ai pas de velléités à faire des films d’action donc, j’avoue que j’ai un peu étudié la question en me demandant, qu’est ce qui définit le film d’action ? Qu’est ce qui fait que ce personnage, par exemple dans Jason Bourne, qu’est ce qui fait qu’on est avec lui, qu’on est angoissé avec lui ? Alors que cela n’a aucun sens par rapport à nos propres vies. Et j’ai vu des parallèles, des similarités. J’ai été jouer là-dessus. Par exemple, le personnage du film d’action, on sait tout le temps ce qu’il y a dans la tête, quelle est sa mission.
On sait ce qu’il pense, son objectif. Dès l’écriture, je me suis dit qu’il fallait comprendre sa “mission”, à chaque fois. Parce qu’on va comprendre ce qui lui arrive, on va être avec elle, dans sa tête. Après, il y a la question cinématographique. Comment filmer ? Comment regarder les choses ? Pour rejoindre ce côté elliptique ! Il y avait ça aussi. J’avais besoin de jouer sur ce truc qui nous propulse vers l’autre scène, et je savais que je voulais tourner le film comme un élan, comme un truc qui démarre et ne s’arrête pas avant la fin. Un saut !
« On a monté le film sans musique, uniquement sur la rythmique du personnage. »
Par rapport aux ellipses, il y avait déjà ça dans le scénario. On sentait la rupture. On glisse vers le film de genre. Il fallait toujours aller un petit peu plus vite et pendant le tournage, c’est ce que je disais le plus souvent. Je disais “Ramassez, ramassez !” Parce que je savais que sinon, ça ne marchait pas. Ça, ça a été assez surprenant parce que je l’ai découvert avec la monteuse. On a monté le film sans musique, uniquement sur la rythmique du personnage. En fait, au début, je ne reconnaissais pas encore mon scénario. On découvrait le personnage, à mesure qu’on trouvait le rythme.
Laure Calamy : Cette urgence était déjà dans l’écriture. Il avait 190 séquences, 194. Là où, normalement, il y en a 90-95. Donc, il y avait déjà un rythme qui était imposé avec des scènes. Alors bizarrement, il y avait beaucoup de scènes qui n’étaient parfois faites que de trois lignes de description.
Eric Gravel : Après, il y a aussi des scènes qui, d’un coup, se déploient comme celle de l’entretien.
Laure Calamy : Je pense que c’est mon film le plus technique, entre guillemets, car Éric est un ancien cadreur. C’était quand même beaucoup plus de contraintes que ce que j’ai connu auparavant. On est tous les deux des obsessionnels, mais Monsieur me surpasse largement (Ndr: rires). Mais moi, j’aime refaire, refaire. C’est quelque chose que j’adore. Je ne suis jamais contente.
Est ce qu’on quitte facilement un personnage tel que Julie ?
Laure Calamy : De toute façon, je n’ai pas le choix (ndr: rires) !J’ai fait cinq films en un an. J’avais trois semaines entre chaque.
Alors justement, comment on s’arrange avec ça ?
Laure Calamy: Pour moi, c’est plus faire le deuil d’une histoire avec l’équipe. C’est une sensation un peu enfantine. Comme une forme de colonie de vacances. C’est idiot, mais il y a quelque chose comme ça. On vit quand même un truc tous ensemble, collectif. On est vraiment les uns avec les autres en permanence.
Eric Gravel : Quand vous avez fini, je vais en montage
Laure Calamy : C’est ça : toi, tu continues ! Mais nous, d’un coup, on doit couper brutalement avec plein de gens. J’ai des expériences vraiment chouettes. Heureuses ! Ça aide, finalement, de devoir vite penser à une autre aventure. Pour que le “deuil” soit finalement un peu plus doux parce que je vais en retrouver d’autres. Comme un homme qu’on aime, mais on sait qu’on va en retrouver un autre, en fait (ndr: rires).
A plein temps : Julie se démène seule pour élever ses deux enfants à la campagne et garder son travail dans un palace parisien. Quand elle obtient enfin un entretien pour un poste correspondant à ses aspirations, une grève générale éclate, paralysant les transports. C’est tout le fragile équilibre de Julie qui vacille. Elle va alors se lancer dans une course effrénée, au risque de sombrer.