Producteur badaboum, Jerry Bruckheimer s’est fait une spécialité du gros blockbuster qui tâche. Des titres ? Flashdance, Top Gun, Armageddon, Bad Boys, Pearl Harbor, la saga de Pirates des Caraïbes, mais encore des séries TV comme Les Experts ou FBI, portés disparus. Nous nous étions entretenu avec lui à l’occasion de la sortie du cinquième volet des aventures de Jack Sparrow. SPEAK.
Propos recueillis par Marc Godin
A la tête d’un empire, Jerry Bruckheimer a généré au long de sa carrière pas moins de 16 milliards de dollars. A 71 ans, ce mogul du ciné et de la télé porte beau. Superbe permanente, cheveux blonds, teint hâlé, tour de taille d’une danseuse, Jerry a fière allure, même si le botox semble l’empêcher définitivement de sourire.
En ce mois de mai, il est à Disneyland Paris pour la promo du cinquième volet de Pirates des Caraïbes. La semaine précédente un article dévastateur du Hollywood Reporter a détaillé les galères de ce tournage catastrophe (les problèmes d’alcool de Johnny Depp, les retards de la production, le coût final…).
Pourtant, Jerry ne se démontera jamais devant la presse, pratiquant une langue de bois digne d’un Jean-François Copé au summum de son art et balançant sans rire que son scénariste a mis 5 ans à écrire le nouveau Pirates des Caraïbes, un scénario pourtant bourré de trous narratifs, que tout s’est très bien passé…
Du grand art ! Le seul instant où il paraîtra un poil concerné, voire sincère, et laissera tomber le masque, c’est quand notre ami John Plissken lui posera une question sur son ami et associé, le défunt Don Simpson (mort d’une overdose en 1996).
Comment expliquez-vous l’énorme succès de la saga Pirates des Caraïbes ?
Je suis très honoré d’avoir réalisé cette saga d’après une attraction des parcs Disney. C’est la conjugaison des talents de Gore Verbinski, des scénaristes et de Johnny Depp qui a fait de son personnage un héros pour les spectateurs du monde entier. Je suis ravi que nous ayons pu amuser des centaines de millions de personnes avec ces films et que Disney veuille continuer l’aventure.
Comment avez-vous pu imaginer qu’une attraction de parc Disney serait une bonne base pour une franchise hollywoodienne ?
Mais je n’en étais pas sûr du tout. C’est l’addition des trois talents dont je vous parlais qui a fait le succès de la saga. Et le soutien sans faille de Disney.
Pourquoi s’est-il écoulé autant d’années entre le dernier épisode et celui-ci ?
Vous savez, Johnny est un acteur très occupé. Il nous a fallu attendre notre tour…
« Le plus fort pour moi, c’est quand je suis dans une salle de ciné avec du public et que je regarde les gens s’amuser. Quand ils applaudissent à la fin, quand ils rient, c’est ce qui me plaît. »
Est-il vrai qu’à l’origine, vous deviez tourner en même temps le cinquième et le sixième volet ?
Non, il n’en a jamais été question, même si j’aurais préféré. Il nous a fallu quand même cinq ans pour obtenir un bon scénario.
Vous prenez toujours du bon temps à produire un Pirates des Caraïbes ?
Ah oui, vraiment ! Le plus fort pour moi, c’est quand je suis dans une salle de ciné avec du public et que je regarde les gens s’amuser. Quand ils applaudissent à la fin, quand ils rient, c’est ce qui me plaît. J’adore amuser les gens, les divertir, le public du monde entier.
Est-ce que vous avez pensé à Javier Bardem dès l’écriture du scénario ?
Pas du tout. Sa femme, Penélope Cruz, avait travaillé sur le n° 4. On a proposé le rôle à Javier et Penélope lui a dit qu’elle avait adoré et elle l’a encouragé.
« Je ne vois pas comment Netflix pourrait être dangereux pour le cinéma s’ils font des bons films. »
Comment avez-vous réussi à convaincre Paul McCartney d’apparaître dans le film ?
Paul et Johnny Depp sont de très bons amis et Johnny a déjà fait des apparitions dans des clips de Paul. Vous savez que le personnage de Jack Sparrow est inspiré de Keith Richards et de Pépé le putois. Keith avait déjà incarné le papa de Jack mais il n’était pas disponible pour ce nouvel épisode car il était en tournée. Du coup, Johnny a appelé Paul lui demandant s’i voulait faire une petite apparition. Il accepté avec plaisir et a été incroyable : il était à l’heure, connaissait ses répliques, il a même improvisé. C’était génial de bosser avec lui.
Que pensez-vous de la polémique autour de Netflix pendant le festival de Cannes ?
Moi, je produis des films pour le cinéma, la télé… Si j’ai un film pour Netflix, je le produirai. Je ne commenterai pas la controverse lors du festival de Cannes, je ne sais pas. En tout cas, je ne vois pas comment Netflix pourrait être dangereux pour le cinéma s’ils font des bons films.
Vous n’avez pas envie de produire de temps à autre de petits films indépendants ?
J’adore faire de gros films comme Pirates. Je viens également de produire un petit film indépendant, Horse Soldiers avec Chris Hemsworth, Michel Peña et Michael Shannon. L’histoire des premiers soldats qui sont allés en Afghanistan après le 11 Septembre. On produit de tout !
« On peut toujours améliorer un scénario. »
Vous avez dit qu’il vous avait fallu cinq ans pour obtenir le scénario de Pirates. Quelles sont vos exigences comme producteur ?
Jeff Nathanson (Arrête-moi si tu peux !, Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal) s’est chargé du scénario dès le départ. Vous évoquez avec lui plusieurs histoires différentes, plusieurs pistes, et il les écrit. Je lis, commente ce que j’aime, ce que j’aime moins, il retravaille. Ensuite, vous donnez le scénario au studio et le studio donne son avis. Il faut retravailler. Ensuite, vous donnez le scénario à Johnny Depp et il donne ses idées. C’est un processus très très long, mais nous n’avons eu qu’un seul scénariste tout du long. C’est formidable qu’il ait pu rester sur ce projet aussi longtemps, en essayant différentes versions.
Vous êtes satisfait du résultat final ?
On peut toujours améliorer un scénario. Même lors du tournage, notre scénariste a continué à changer des choses, à écrire. Même une fois le tournage terminé, il a continué à écrire des scènes.
Peut-on envisager la franchise Pirates des Caraïbes sans Johnny Depp ?
J’espère bien que non. J’aimerais que Johnny continue car il est tellement doué. De plus, c’est un homme vraiment sympa, très gentil.
« Quand j’étais jeune, j’adorais le cinéma de David Lean, cela m’a donné envie de devenir producteur. »
Est-ce que la technologie permet de tourner tout ce que l’on veut ?
On en est maintenant assez proche. Je démarre un projet qui s’intitule Gemini Men, signé Ang Lee, avec Will Smith. Cela parle d’un homme jeune, à la poursuite de lui-même mais plus vieux. Le challenge sera de rendre Will Smith jeune, comme on l’a fait avec Johnny dans Pirates 5. La technologie est quasiment au niveau.
Un mot sur votre ancien partenaire, Don Simpson. Est-ce qu’il vous manque toujours ?
C’était un homme incroyable, doté d’un vrai talent : il me manque ! Je pense à lui souvent et il me donne encore des réponses à mes questions. Je pense à ce qu’il aurait fait… Quant à travailler avec un autre partenaire, je ne sais pas. Il faudrait que nos talents se complètent, qu’il m’aide à être meilleur.
Parlez-nous des films que vous aimez ?
Récemment, j’ai adoré Logan, un film incroyable. J’ai beaucoup aimé Hunt for the wilderpeople, un film néo-zélandais vraiment génial. Quand j’étais jeune, j’adorais le cinéma de David Lean, cela m’a donné envie de devenir producteur. J’aimais ses grandes fresques, ses personnages plus grands que nature. J’aimerais signer un film moitié aussi bien qu’un des siens ! J’aimais aussi François Truffaut et Les 400 coups.
« L’idée, c’est de raconter une histoire, une bonne histoire. Peu importe si elle destinée aux jeunes ou aux adultes. »
Vous préférez faire des films pour les familles ou des films pour adultes ?
L’idée, c’est de raconter une histoire, une bonne histoire. Peu importe si elle destinée aux jeunes ou aux adultes. Nous faisons des films pour le public du monde entier, pour les jeunes et les moins jeunes.
Quelles sont les qualités d’un bon producteur ?
Je ne sais pas ! Je connais mes qualités, mais je ne sais pas ce que font les autres. Je sais bien m’entourer. Mon talent est de reconnaître le talent quand je le vois. Il faut d’abord savoir reconnaître une histoire qui marche, reconnaître les bons personnages, les bons thèmes. Pour Pirates des Caraïbes 5, j’ai choisi deux cinéastes norvégiens qui n’avaient jamais réalisé un film de cette taille. Ils avaient déjà réalisé un film nommé aux Oscars, Kon Tiki, et j’ai vu qu’ils avaient du talent. Et ils avaient une vue unique pour ce cinquième Pirates des Caraïbes. Ils sont très forts visuellement.
Quelle est la touche Bruckheimer ?
Je ne fais pas de la radio, je fais du cinéma, des films agréables à regarder. J’essaie d’embaucher des gens qui ont un œil cinématographique, des cinéastes doués visuellement, de grands chefs op, de bons décorateurs… C’est fondamental pour moi.
« Il y a énormément d’acteurs avec qui j’aimerais travailler. »
Vous obtenez toujours les gens avec lesquels vous vous avez envie de travailler ?
Non, j’aimerais bien mais ça ne marche pas comme ça. Il y a énormément d’acteurs avec qui j’aimerais travailler. Parfois, ce n’est pas le bon scénario, parfois, c’est le timing, l’acteur n’est pas libre. Ca arrive tout le temps…
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à réaliser sur Pirates 5 ?
Les séquences finales avec la mer qui s’ouvre en deux, cela a été très difficile à concevoir et à filmer. Le personnage de Javier a été également très difficile à animer.
Il y aura t-il un autre Pirates des Caraïbes ?
On va voir les résultats au box office de celui-ci et on avisera. Sur le long terme, on ne sait pas du tout où l’on va, rien n’est planifié…