© photo de couverture : JOEL SAGET / AFP
Le 8 août 2019, Jean-Pierre Mocky nous quittait à l’âge canonique de 90 ans. Anar, iconoclaste, franc-tireur, il tournait frénétiquement des comédies irrévérencieuses et tirait à boulets rouges sur les institutions. Entretien avec le plus inclassable des réalisateurs Français.
Propos recueillis par Marc Godin
Malgré sa réputation de caractériel, les plus grands comédiens ont accepté de jouer sous sa direction, pour le meilleur souvent et parfois le pire. Maître es-provocation, il aimait bien balancer sur ses « collègues » ou les César lors d’interviews ou piquer de terribles colères à la télévision.
Sans caméra, Jean-Pierre Mocky était d’un calme à toute épreuve. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises et il s’est à chaque fois comporté comme un véritable gentleman.
Parlez-nous de vos débuts.
Je suis né en 1932 (on parle également du 6 juillet 33, voire de 1929, NDR). J’ai été figurant pendant l’Occupation, j’ai tourné dans Les Enfants du paradis… J’ai été figurant de 10 à 15 ans, bachelier et marié à 14 ans et demi, j’ai fait le Conservatoire à 16 ans avec Belmondo, Rochefort, dans la classe de Jouvet. J’ai été secrétaire de Von Stroheim et j’ai enchaîné 100 films comme acteur, en vedette comme dans le film d’Antonioni, ou dans des seconds rôles.
« On me prend pour un anar car je suis tout seul, mais je ne suis pas anarchiste pour un rond. »
Vous êtes ensuite passé à la mise en scène.
Je suis devenu l’assistant de Luchino Visconti et de Federico Fellini avant de passer derrière la caméra en 1959 avec Les Dragueurs.
Vous avez la réputation d’être un cinéaste anar ?
Je ne revendique pas du tout ce terme. C’est un peu comme le mot « con », on l’emploie pour tout et n’importe quoi ! Moi, je suis comme l’Italien Francesco Rosi quand il fait Salvatore Guiliano ou Oliver Stone quand il s’attaque à Nixon. Mais je peux faire également une comédie style Le Miraculé. On me prend pour un anar car je suis tout seul, mais je ne suis pas anarchiste pour un rond.
Franc-tireur, alors ?
Je préfère le terme de résistant. Je résiste au système. Je fais ce métier car cela m’amuse, sinon je serais prof ou fonctionnaire. En tout cas, j’aime mettre le doigt là où ça fait mal, et je ne peux m’empêcher de m’attaquer à tous les tabous.
Sur un tournage, vous criez incessamment « Moteur ». Pourquoi ?
Une minute de tournage coûte 5000 francs. Je crie pour maintenir un état de crise permanent et essayer de faire des économies ! Je fais des films pas chers : avec le budget du Hussard sur le toit, je fais vingt films. Je tourne quatre minutes utiles par jour, je suis un rapide, moi !
« Jusqu’à présent, j’avais refusé que mes films sortent en DVD pour la simple raison qu’aucune grosse compagnie n’était intéressée et je ne voulais pas que ça parte en couilles avec un petit éditeur. »
Qui a eu l’initiative de sortir toute votre filmographie en DVD ?
Jusqu’à présent, j’avais refusé que mes films sortent en DVD pour la simple raison qu’aucune grosse compagnie n’était intéressée et je ne voulais pas que ça parte en couilles avec un petit éditeur. Finalement, Jérôme Seydoux s’est manifesté. Pathé sortira 46 de mes films et j’en suis évidemment très content.
Il était question en 2002 que vous revendiez votre cinéma, le Brady ?
J’ai été assez malin pour le gueuler à tout le monde, et les pouvoirs publics se sont émus. Au bout du compte, ils m’ont donné une subvention et le Brady a pu survivre.
Cette fois-ci, la presse était de votre côté mais cela n’a pas toujours été le cas !
Cela dépend de quelle presse. J’ai toujours eu des supporters, comme L’Obs, Les Cahiers du cinéma et Libération, à l’époque de Serge Daney qui était un ami. J’ai aussi des irréductibles comme Le Figaro qui ne sont pas pour moi. C’est comme certains acteurs qui refusent obstinément de tourner avec moi. Je n’ai jamais compris pourquoi Gérard Lanvin et Michel Jonasz ont déclaré avoir toujours refusé de travailler avec moi. Peut-être parce que je ne leur ai jamais demandé, vu que je ne les aime pas comme acteurs !
Dans les années 70 et 80, vous aviez très souvent des stars dans vos films. Aujourd’hui, moins.
Il y a moins de stars… Celles que j’avais ne sont plus là. Catherine Deneuve est une grand-mère… J’ai envoyé l’autre jour un mot à Isabelle Carré, elle ne m’a pas répondu… Je veux tourner avec John Malkovich…
« Mickey Rourke boit comme un trou et, ivre mort, fonce aux toilettes. Il revient et s’installe à une autre table face à deux inconnus et continue la discussion croyant que c’était nous ! »
Vous aviez annoncé un projet avec Mickey Rourke quelques temps après Barfly, que s’est-il passé ?
Je le présente à mon producteur dans un bar d’hôtel. Mickey boit comme un trou et, ivre mort, fonce aux toilettes. Il revient et s’installe à une autre table face à deux inconnus et continue la discussion croyant que c’était nous ! Le producteur est bien sûr parti furieux. Mickey Rourke était quelqu’un de charmant, mais il tournait moins et se trouvait dans une période délicate. Le métier d’acteur est difficile, souvent ils boivent ou se droguent lorsqu’ils ne tournent pas.
Le sexe est souvent présent dans vos films. N’avez-vous jamais été tenté de tourner un porno ?
J’en ai tourné un, Les Couilles en or, sous un pseudo, Serge Batman. Giscard d’Estaing avait sorti une loi donnant l’autorisation de projeter en salles des pornos, qui avaient beaucoup de succès à l’époque. Cela ne m’arrangeait pas et nous avons décidé de tourner un porno en réponse. J’ai fait un casting, et curieusement, beaucoup d’actrices de la compagnie Renault-Barraud se sont présentées. Sur le tournage, j’avais un masque pour que l’on ne me reconnaisse pas. Un masque de Batman.
Qu’est devenu ce film ?
La vedette est tombée amoureuse d’un milliardaire qui a racheté le film. Comme l’avait fait Alain Delon avec Anne Parillaud…
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