Hugh Grant : « Depuis que je suis trop vieux et moche, je m’amuse vraiment ! »

See Mag a rencontré l’équipe de Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs : les réalisateurs John Francis Daley et Jonathan Goldstein (Game Night), le producteur Jeremy Latcham, l’actrice Michelle Rodriguez, les acteurs Chris Pine, Hugh Grant et Regé-Jean Page. Après trois adaptations miteuses de Donjons & Dragons dans les années 2000, on craignait le pire avec cette nouvelle transposition cinématographique du jeu mythique. Contre toute attente, cette version 2023 s’avère enlevée, drôle, spectaculaire, évitant tout cynisme. Rencontre avec des talents décontractés, heureux de présenter leur film. 

Propos recueillis par Grégory Marouzé

Donjons & Dragons semble revenir à la façon dont Hollywood produisait le cinéma dans les années 50 et 60. En regardant votre film, on pense à des réalisateurs de l’ancienne école comme Richard Fleischer, à des techniciens en effets spéciaux tels Ray Harryhausen. Votre mise en scène n’est pas hystérique. Les scènes d’action sont lisibles. Vouliez-vous revenir à une forme de cinéma plus classique tout en faisant un film moderne ?
John Francis Daley : Absolument et délibérément ! Ce n’était pas seulement pour nos acteurs, pour la scénographie. Nous voulions revenir à ce cinéma pour plonger le spectateur dans un effet immersif. En particulier avec la création du dragon. On voulait reprendre l’esprit de ces effets spéciaux. Afin de revenir à l’esthétique et à l’esprit du cinéma que vous décrivez, nous avons créé toutes sortes de créatures.

En 1975, l’arrivée des Dents de la mer a créé le phénomène des blockbusters. A partir de ces films, les majors ont créé des jouets et du merchandising. Par la suite, cette même industrie a créé des films à partir de jouets ou de jeux. Vous adaptez le jeu Donjons & Dragons au cinéma. Quel est votre rapport au public ? Quelle est votre responsabilité vis-à-vis des spectateurs ?
Jonathan Goldstein : De toute évidence, on ne souhaitait pas faire une pub pour un jeu quand on a réalisé ce film. Ce qu’on adore dans ce jeu, ce n’est pas la composante commerciale, publicitaire. C’est le fait que cet univers est unique et nous permet de réaliser quelque chose que nous n’avions pas fait jusqu’à présent. 

« On aime bien les blockbusters, mais je veux vivre une expérience qui peut m’accompagner, que je peux poursuivre en sortant du cinéma. »

Jeremy Latcham1: Ce qui ressemble le plus à ce que vous venez de décrire, à cette synergie pas très saine, est cette configuration : “Pourrions-nous faire que dans ce film, ce personnage utilise cet arc?  Ainsi, nous pourrons faire une publicité autour de cet arc pour le vendre aux consommateurs.” Non ! Non ! Ce n’était pas notre objectif ! Je vais exprimer ma pensée. On aime bien les blockbusters, mais je veux vivre une expérience qui peut m’accompagner, que je peux poursuivre en sortant du cinéma.

Quand je trouve des personnages que j’aime, j’aime les cultiver. C’est ce que j’ai fait en produisant Iron Man2 par exemple. Je suis d’accord avec vous, si on fait ça de façon cynique, ça me tue ! Mais si on produit un film cool qui permet de mobiliser l’attention, c’est super ! Il existe des films commerciaux qui ne font pas de compromis. La recette est simple et efficace. Dans ces films, on peut aussi créer, créer des choses qui deviendront iconiques. Avec Donjons & Dragons, on voulait faire un film cool. On ne gagne rien des produits dérivés et des jouets qui seront vendus. 

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Chris Pine, vous êtes coproducteur du film. Vouliez-vous faire avec Donjons & Dragons le genre de cinéma que vous aimiez enfant ?
Chris Pine : C’est exactement ça !  Nous voulions une générosité qui rappelle les films populaires des années 80 comme Willow, Princess Bride, Les Goonies !!! J’ai 43 ans, je suis de l’ère “spielbergienne”, d’Indiana Jones et de E.T. Ce qui me parlait, c’était de revenir aux années 80. En revanche, je ne voulais pas d’un film standard et prévisible. Ce qui diffère avec Donjons & Dragons, c’est qu’on y trouve des éléments pris de ci, de là dans ces films. Ce qui crée une expérience méta. Je voulais qu’il n’y ait pas de cynisme dans le film, que le spectateur sorte du cinéma en s’étant bien amusé. 

« Je m’amuse vraiment depuis 5, 6 ans, depuis que je suis trop vieux et moche ! »

Il y a de grandes scènes de combats. Quels étaient les difficultés principales ? 
Chris Pine : C’est un exercice d’équilibrisme. Au-delà des cascades, je vais tout donner. Et puis il faut voir ce qu’il y a de plus pertinent dans le scénario, de pertinent, crédible. L’espace est amené à évoluer. On doit trouver l’équilibre entre l’action, l’aventure et la comédie.

Hugh Grant, vous avez joué dans de nombreuses comédies romantiques. Mais, depuis quelques années maintenant, on a l’impression que vous osez déployer davantage votre potentiel comique. Y compris dans des rôles de méchants, comme dans ce film. Avez-vous eu un déclic qui vous a fait prendre confiance de cet aspect ?
Hugh Grant : Vous avez tout à fait raison. Je m’amuse vraiment depuis 5, 6 ans, depuis que je suis trop vieux et moche ! Le charme, je le laisse à celui qui est à côté de moi ? (ndr : désignant Chris Pine) C’est vraiment un soulagement. Quand j’ai démarré, j’ai commencé à jouer ces personnages. J’avais la vingtaine. Je ne me sentais pas porté sur ces trucs-là. On en a parlé hier avec Chris. C’est vraiment difficile d’être le personnage principal. C‘est dur d’être le héros ! Quand c’est bien joué, c’est très bien. Moi, j’aime jouer les méchants. 

Michelle Rodriguez : Tu es surtout très bon dans le rôle du méchant. 

Hugh Grant : C’est ça qui est bizarre par rapport à la caméra. Ça fait 35 ans que je fais du cinéma. Ce qui attire la caméra, c’est la vérité, la vérité intérieure qu’on ne peut pas voir, qu’on ne peut pas sentir. Mais si fondamentalement, on n’est pas très gentil, la caméra le saisit et le sent tout de suite.

Hugh Grant, quelle est la meilleure arme : l’humour ou le charme ? 
Hugh Grant : Pour un être humain, ou pour moi ? (rires de Michelle Rodriguez) J’ai vécu une vie en exploitant mon charme, le charme. Et le charme est un mauvais sort quelque part. On pense que les gens t’aiment bien. En fait, ils ne t’aiment pas. Chris a fait la même chose avec son charme. Mais le charme est une mauvaise chose. 

« . Chez mon personnage, il y a un moment de suspension dans le temps, et ce timing libère sa facette comique. »

Regé-Jean, votre personnage n’apparaît à l’écran qu’une vingtaine de minutes. C’est un personnage très différent des autres protagonistes du film. 
Regé-Jean Page : Il a un humour différent, mais je l’ai joué de la même manière que les autres acteurs. Les histoires drôles du film sont autonomes. Chez mon personnage, il y a un moment de suspension dans le temps, et ce timing libère sa facette comique. On sait que ce temps d’attente va libérer la comédie. Je sais que j’ai un rôle un peu différent des autres personnages. Et je suis très heureux d’avoir pu travailler avec les autres comédiens.

En lisant le scénario peut-on savoir si ça va marcher entre les acteurs ? Comment ça va circuler ? 
Chris Pine : A la lecture, concernant l’humour, vous savez à 100% que ça va être drôle. Cela va-t’il survivre à la production, au montage, à la musique ? N’importe quoi peut faire tomber l’humour à plat. C’était donc important que la production comprenne notre projet. 

Michelle, vous êtes formidable dans les scènes d’action. Ça, on le savait déjà ! Mais il y a aussi des scènes plus intimes. Avez-vous pris du plaisir à les jouer ?
Michelle Rodriguez : Ça m’a vraiment amusé. Ce que j’ai adoré, c’est combattre et me faire pousser les poils sous les bras ! Au fur à mesure que je vieillis, la douceur des femmes me vient. Ce n’est peut-être pas suffisamment exploité dans les films d’action et c’est la chose la plus belle qu’on puisse m’offrir. Je me suis longtemps battue pour acquérir mon indépendance. Je suis devenue une guerrière. C’est rafraîchissant d’être plus douce, de temps en temps. Entre les coups de hache et les scènes de violence. J’ai mis du temps à faire pousser mes cheveux pour ce film. 

Connaissiez-vous le jeu Donjons & Dragons avant de faire ce film ?
Chris Pine : Je connaissais de nombreuses personnes qui y jouaient. Quand j’ai lu le scénario, mon gamin jouait à Donjons & Dragons. Je l’ai donc vu jouer avec ses potes. J’ai découvert la créativité que cela faisait naître chez eux. Ensuite, j’ai joué avec mes neveux. 

« Il y a eu une petite soirée où tout le monde a joué.  Mais personne ne m’a invité. »

Hugh Grant : Il y a eu une petite soirée où tout le monde a joué.  Mais personne ne m’a invité. 

Chris Pine : Tu es arrivé plus tard ! 

Hugh Grant : Vous auriez pu m’appeler ? Pas content ! (ndr : faussement vexé)

Michelle Rodriguez : Moi, j’ai joué de l’âge de 16 à 18 ans. Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu parler du jeu, depuis près de 20 ans. Quand Jonathan m’a contacté pour le film, tous mes souvenirs sont revenus. Je suis tombée amoureuse de l’aventure, de la quête, je me disais “Ouais, c’est vraiment bien”. Voir ces moments de suspense qui naissent dans la tête d’un joueur prendre chair à l’écran, c’est magique. 

Depuis Girlfight3, vous êtes l’une des premières comédiennes, avec Sigourney Weaver, à avoir imposé une féminité et une force dans vos personnages. Avez-vous l’impression d’avoir été précurseur ? Comment voyez-vous les rôles qu’Hollywood donne aux femmes ?
Michelle Rodriguez : C’est une question intéressante ! Moi, j’ai plus l’impression d’être une militante qu’autre chose. Ah, les films d’action c’était le seul moment, le seul endroit où je pouvais être indépendante, sans pleurer parce que j’avais perdu un mec. Je vois toutes ces merveilleuses actrices, très féminines, qui sont maintenant attirées par le cinéma d’action. Je pense qu’il y a aussi l’envie de gagner de l’argent parce que les films d’action ont beaucoup de succès.

Mais c’est génial de voir des femmes des films d’action, désormais. Maintenant, sincèrement, j’aime la violence, j’adore la violence, je suis incroyablement violente et j’adore canaliser ma colère en travaillant ! Pour moi, les films d’action, c’est l’indépendance ! Je peux être moi-même. Je peux être autonome, je peux être libre ! Bien plus plus qu’avec d’autres scénarios. On m’a donné de la liberté dans ce projet. Mais la vraie féminité, ce n’est pas vraiment ça ! Je joue le rôle d’une femme dans un monde d’hommes, qui a été adapté par et pour les hommes. Les histoires sont souvent portées par les hommes, écrites par les hommes. Mais qu’en est-il de l’approche vis-à-vis des sexes et du sexe ? Je pense qu’il faut avancer. Les femmes doivent porter des histoires.

« J’aimerais jouer dans une comédie romantique qui ne ressemble pas à une comédie romantique. »

Voudriez-vous jouer dans une comédie romantique ? 
Michelle Rodriguez : J’aimerais jouer dans une comédie romantique qui ne ressemble pas à une comédie romantique. C’est tellement prévisible ! Je sais, on sait ce qui va se passer dans l’histoire. Ça ne m’attire pas ! Les sentiments c’est l’aspect le plus exploité chez la femme, son désir de vivre avec un homme, sinon elle va s’effondrer, se transformer en vieille prune et mourir. J’espère pouvoir éviter cette phase-là.

Les difficultés sont-elles les mêmes sur un film d’action et d’aventures comme Donjons & Dragons, que sur une petite production ? 
Michelle Rodriguez : Absolument pas. Je ne peux parler que pour moi et selon mon expérience, après avoir fait des films comme les Fast and Furious, Les Veuves de Steve McQueen. La grande différence, en ce qui me concerne, c’est la profondeur. La recherche de l’expérience humaine est beaucoup plus intime dans un film indépendant, un film d’auteur.

On plonge dans les fêlures les plus profondes de la douleur pour suivre l’évolution des personnages. Dans un film d’action, on n’a que cinq minutes pour trouver le cœur du personnage. Dans un film d’auteur, on a 2h. Dans un blockbuster on privilégie l’aventure, le spectacle. C’est un itinéraire pour emmener les enfants du point A au point B.

Hugh, avez-vous l’impression que dans les comédies romantiques, les femmes sont trop utilisées un peu trop utilisées comme des objets ? 
Hugh Grant : Pour moi, la grande question n’est pas de savoir si les comédies romantiques limitent le rôle des femmes. Pour moi, la grande question est de savoir si ce qu’on nous raconte dans les comédies romantiques est vrai ! Bien qu’ayant fait une grande partie de ma carrière là-dedans, et ma fortune, d’après moi c’est un grand mensonge.

Combien de relations heureuses connaissez-vous autour de vous ? Il n’y en a pas tant que ça je pense. Il serait intéressant de connaître la suite de ces comédies romantiques. Le film commencerait avec un avocat spécialisé dans le divorce ! Richard Curtis4 y croit franchement. C’est la personne la plus romantique que j’ai rencontrée. Je ne suis pas certain que ce soit mon cas. 

« La partie la plus frustrante est que ces films prennent beaucoup de temps. C’est une forme d’art collective. Vous êtes interdépendant constamment. »

Vous faites un travail merveilleux. Vous avez la chance de vous exprimer artistiquement, et vous êtes privilégiés. Mais vous faites un métier soumis quotidiennement à de fortes pressions de la part des productions, des majors. Vous dépendez d’appels de producteurs et cinéastes. Comment faites-vous pour résister à la pression ? 
Hugh Grant : L’alcool ! (rire collectif)

Chris Pine : La partie la plus frustrante est que ces films prennent beaucoup de temps. C’est une forme d’art collective. Vous êtes interdépendant constamment. Tout dépend de la chimie entre les différentes personnalités qui vont faire un film ensemble et qui vont créer cette magie pour que ça marche bien. Le seul moment qui compte, c’est maintenant, c’est l’essentiel. La seule chose sur laquelle j’ai le contrôle, c’est mon travail. Je dois m’appliquer chaque jour. Et parfois c’est frustrant, mais en même temps, c’est libératoire. 

Michelle Rodriguez : Moi, je me cache beaucoup plus. Ces jours-ci, en tout cas ! Avec les réseaux sociaux, en tout cas. Ça fait peur de parler, peur de s’exprimer. Parce que moi, je suis très grossière. Je suis une gamine, je suis naturelle et j’offense très facilement. La nouvelle génération qui arrive dit “on ne va pas tolérer ça”, je comprends et respecte ça.

Mais, en même temps, c’est effrayant parce que je peux insulter quelqu’un sans le savoir. C’est la pression la plus importante pour moi ! Faire un film, c’est facile en ce qui me concerne, parce que je gère mon risque en m’associant avec des personnes en qui je crois. On s’en remet à l’artisanat, à l’équilibre et à la magie. On espère que le meilleur va en sortir. Mais pour moi, la pression la plus importante ces jours-ci, c’est la communication avec le monde, les réseaux sociaux. C’est dur de naviguer dans ce monde là, parce que moi je suis spontanée dans mes réactions et je pense après coup. 

1– Producteur notamment de Avengers2012, Les Gardiens de la galaxie2014, Spider-Man : Homecoming2017, Sale temps à l’hôtel El Royale2018

2 – Jon Favreau, 2008

3– Karyn Kusama, 2000

4 – Scénariste de 4 Mariages et un enterrement1994, Coup de foudre à Notting Hill1999, Le Journal de Bridget Jones2001, scénariste et réalisateur de Love Actually2003, Good Morning England2009, Il était temps2013

Synopsis : Un voleur beau gosse, une bande d’aventuriers improbables entreprennent un casse épique pour récupérer une relique perdue. Les choses tournent mal lorsqu’ils s’attirent les foudres des mauvaises personnes.

Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs de John Francis Daley et Jonathan Goldstein – Produit par Jeremy Latcham – Avec Michelle Rodriguez, Chris Pine, Hugh Grant, Regé-Jean Page… Durée : 2h14

Sortie le 12 avril 2023 © Paramount Pictures