See s’est entretenu avec Emmanuel Mouret pour Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait, en salle le 16 septembre. Dans ce beau film porté par Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne, Emilie Dequenne et Guillaume Gouix, le cinéaste poursuit son exploration des élans du cœur. Rencontre avec un artiste humble et passionné, qui ressemble à ses films.
Entretien réalisé par Grégory Marouzé
Avec Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, vous avez actuellement l’une des distributions les plus affolantes du cinéma français. Comment avez-vous réuni un tel casting ?
Il y a toujours une grande part de chance dans la distribution des rôles. Au départ, je n’avais aucune idée préconçue de qui jouerait quoi. On commence par quelqu’un, puis quelqu’un d’autre. Le casting est une écriture ! De plus, un film c’est toujours des dates de tournage, avec des personnes qui sont libres à ces dates. Et évidemment des personnes qu’on aime ! Mais je me laisse assez surprendre. Pour chacun des acteurs du film, c’était quasiment une surprise.
De plus, je ne connaissais pas Camélia Jordana. Parce que je n’écoute pas de variété. Je ne l’avais pas vraiment vue au cinéma. C’est en lui faisant passer une lecture que j’ai été absolument convaincu par son jeu. Et d’ailleurs, la première décision que j’ai prise a été de travailler avec elle. Je me suis aperçue qu’elle est très différente de ce qu’elle interprète dans le film. Elle incarne une personne toute en retenue. Très délicate. Le personnage qu’on connaît publiquement est presque aux antipodes du rôle qu’elle interprète. Ce que j’ai tout de suite aimé chez elle, c’est sa capacité d’invention, de goût du jeu. Tout ce qu’elle peut raconter de par le jeu, avec juste quelques répliques.
Je ne voyais pas du tout Niels Schneider dans le rôle. J’étais à mille lieues de penser que ça pouvait être lui. Je trouvais qu’il était trop beau garçon, trop sûr de lui. La fragilité de son personnage, presque timide, voire un peu maladroit, est apparue au moment où j’ai fait une lecture avec tous les deux. Le couple m’a alors semblé évident. Donc, une distribution n’est pas du tout un travail d’évidence. C’est un travail de lectures, de rencontres. Ça prend du temps et il faut un peu de chance.
Quand on a trouvé ses comédiens, la mise en scène est déjà commencée ?
Bien sûr ! Bien sûr ! Jean Renoir disait que 80 % de la mise en scène, c’est le choix des comédiens ! En les choisissant, d’emblée on donne le ton du film. Et ce sont des comédiens avec lesquels je n’avais quasiment rien à dire. Un scénario, c’est juste des actions principales et des dialogues. Mais c’est le comédien qui révèle le personnage. D’où ce long travail en amont.
Il y a des moments lumineux dans le film. Des moments de comédie et de fantaisie. Mais il y a une gravité, une densité, que vous n’aviez peut-être pas poussée jusque-là. Vouliez-vous montrer le côté plus sombre de l’amour ?
Ce que j’aime dans les films de Woody Allen, Billy Wilder, François Truffaut, Ernst Lubitsch, c’est l’idée qu’on y trouve souvent des intrigues sentimentales, qui sont à la fois des comédies et des drames. J’aime cet exemple de base de la comédie : un homme glisse sur une peau de banane. D’un côté, c’est drôle. Mais il se relève et s’est fait mal. Ce sont ces deux rapports de distance que j’essaie de saisir dans les situations. Mes histoires peuvent sembler d’un côté, légères, et de l’autre, plus cruelles. C’est un désir de mettre toutes ces couleurs. Après, je pense qu’il y a quelque chose qui échappe à l’auteur. J’essaie d’explorer des situations sans forcer un ton, ni une couleur. Et il en ressort des choses qui me surprennent lorsque je suis au montage.
« Filmer de la parole et rendre ça stimulant pour le spectateur, c’est plus compliqué. »
Comment trouvez-vous la forme de vos films avec votre chef-opérateur Laurent Desmet ?
On se pose souvent la question de comment filmer la parole. Filmer de l’action, c’est très simple ! Il y a une action, donc il faut trouver des angles. Mais filmer de la parole et rendre ça stimulant pour le spectateur, c’est plus compliqué. Donc, avec Laurent Desmet, on se pose beaucoup de questions.
Une partie est de revisiter des films de l’Histoire du cinéma, des façons de faire. Des figures de style ! Comme si on se répétait toute une grammaire qui a déjà était prouvée par certains cinéastes. Pour trouver une solution. Et après, c’est la recherche des décors ! Des décors qui peuvent nous inspirer, permettent de la circulation, et dans lesquels on peut jouer avec le cadre. C’est un gros chantier, que j’essaie de résumer en quelques mots. La mise en scène au cinéma, c’est le jeu avec le cadre !
Avez-vous l’impression qu’en avançant en âge, vous vous délestez de choses un peu futiles, de vouloir moins prouver techniquement ? D’aller à l’essentiel ?
Cette action de vouloir prouver n’est pas intéressante. Et quand quelque chose est démonstratif, on le remarque dans les films. Il y a plus de grâce chez quelqu’un qui danse pour le plaisir, que chez quelqu’un qui veut en mettre plein la vue. La démonstration n’est jamais intéressante ! Quand j’ai commencé à faire des films, au contraire, je suis tout de suite parti de choses très très simples. Paradoxalement, ça s’est presque complexifié avec le temps. Pas pour un effet démonstratif, mais pour pratiquer un geste et me sentir plus libre.
Picasso donnait un conseil aux peintres : « Si vous savez composer des tableaux avec cinq personnages, n’en faites qu’avec trois personnages ». Il faut toujours une marge ! Pour qu’il y ait de la facilité. Petit à petit, avec le temps, je déplace la marge, d’une certaine manière. Et au fur et à mesure, il y a des choses qui m’excitent. J’aime beaucoup Venus et Fleur (2003), l’un de mes premiers films, qui est très dépouillé. Mais de film en film, on tente des choses. Le plan-séquence est venu avec le temps, avec le travail, pour trouver autre chose que des champs-contrechamps. D’autres solutions pour filmer des dialogues.
« La création, c’est à la fois tenter de faire aussi bien que ceux qu’on aime, mais avec un matériel qui est le nôtre. »
On a souvent parlé pour votre cinéma d’univers truffaldien ou rohmérien. Or, Mademoiselle de Joncquières donnait l’impression d’être le film d’un cinéaste japonais.
J’ai beaucoup d’influences. De goûts. Je pense qu’on fait des films parce qu’on aime les films. On essaie d’arriver à la cheville des cinéastes qu’on admire et, en même temps, on fait les films avec les conditions qu’on a. Et qui ne sont pas celles des cinéastes qu’on admire !
C’est pour ça que la création, c’est à la fois tenter de faire aussi bien que ceux qu’on aime, mais avec un matériel qui est le nôtre (rires) ! C’est ça qui est excitant, et c’est pour ça qu’il y a de la création. Ce n’est pas de vouloir être original ! De la même façon qu’on dit que les acteurs sont des interprètes (comme le sont les musiciens), je crois qu’un réalisateur est un interprète. Il joue son scénario avec les talents qui sont autour de lui : les comédiens, le directeur de la photo, le chef-décorateur, le maquillage, … Il va interpréter son scénario avec les talents qui l’entourent et l’accompagnent.
Il y a aussi une grande partie du travail qui est très intuitive en rapport, en grande partie, avec l’expérience. Mais cela ne veut pas dire que plus on fait de films, meilleurs ils sont ! Il arrive que les premiers films ou premiers livres soient les meilleurs (rires). C’est très loin d’être une science exacte.
Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait de Emmanuel Mouret
Sortie le 16 septembre 2020
Durée : 2h02 – Pyramide Distribution – Sélection Officielle de Cannes 2020
Pitch : Daphné, enceinte de trois mois, est en vacances à la campagne avec son compagnon François. Il doit s’absenter pour son travail et elle se retrouve seule pour accueillir Maxime, son cousin qu’elle n’avait jamais rencontré. Pendant quatre jours, tandis qu’ils attendent le retour de François, Daphné et Maxime font petit à petit connaissance et se confient des récits de plus en plus intimes sur leurs histoires d’amour présentes et passées…
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