Avec Les Survivants (sortie le 4 janvier), Denis Ménochet – Jusqu’à la garde, Grâce à Dieu, Peter von Kant, As bestas -, surprend encore. Dans ce premier film, d’action et engagé, de Guillaume Renusson, le comédien impressionne aux côtés de Zahra Amir Ebrahimi. Denis Ménochet et Guillaume Renusson ont tout dit sur le film à See Mag.
Entretien par Grégory Marouzé
Guillaume, vous êtes jeune et signez un premier message très maîtrisé. Quel est votre parcours ?
Guillaume Renusson : Mon parcours est assez classique dans la mesure où les courts-métrages m’ont permis d’aller au long. J’ai fait des études de lettres, de droit, de sciences-politiques. A un moment, j’ai eu envie de savoir comment on racontait des histoires. En fait, le désir de faire du cinéma, passait par le scénario. C’est quand même le point de départ d’un film. Le scénario m’a amené à la réalisation. J’ai eu la chance de faire des courts-métrages, un peu tout seul. Je n’en ai fait que trois vraiment produits professionnellement. Ils m’ont permis de faire Les Survivants.
Et puis j’ai rencontré des gens qui faisaient des formats plus longs. En vrai, j’ai une rencontre qui a changé pas mal de choses : Laurent Grégoire ! C’est un agent assez influent, qui a vu l’un de mes courts-métrages et a proposé de travailler avec moi. Il m’a fait rencontrer Frédéric Jouve, qui a produit le film. Avec Frédéric Jouve et Pierre-Louis Garnon, des Films Velvet et Baxter films, on a travaillé ensemble sur le sujet du départ des exilés, de la situation à la frontière franco-italienne. On voulait emmener un sujet comme celui-ci vers le cinéma de genre aussi. C’était dès le début, une volonté un peu commune. Et ensuite, la rencontre qui a changé beaucoup de choses dans ma vie, c’est celle avec Denis Ménochet.
Denis Ménochet : Guillaume a aussi fait beaucoup de travail en association. De son côté activiste, de son envie d’aller vers les autres, est née l’idée des Survivants.
Guillaume Renusson : On faisait des courts-métrages avec des populations à la marge et à un moment, on a pu travailler avec des exilés. J’ai eu la chance de raconter leur parcours en fiction. Parce que c’était plus facile pour des exilés de se raconter par le biais de la fiction et du récit. Ils se racontent dans des courts-métrages. J’ai été marqué par deux choses. La première, c’est que l’exil est un deuil, vraiment. Un déracinement, un arrachement ! Il y a ces mécaniques de deuil que l’on connaît de façon plus classique, quand on perd un être cher.
Et le deuxième point, c’est qu’il y a quelque chose de physique. C’est un quotidien de personnes traquées, qui se cachent tout le temps. J’avais dit aux producteurs qu’on allait raconter le quotidien de personnes qui sont sans cesse traquées. Faisons un film de traque, avec une véritable volonté de cinéma. Ça me semblait totalement cohérent, très organique. Pour raconter le film, le sujet, et je crois que c’est ce que j’ai vendu à Denis pendant trois jours à Londres, là où il vivait à ce moment-là.
Denis Ménochet : Et il m’a dit : “Tiens, j’ai écrit ça !” Dans le film, il y a toutes les images qui communiquent. La nuit, Guillaume était sur place, à la frontière, et il voyait les réfugiés comme des ombres, comme des fantômes. Il y a ce thème du fantôme de l’épouse de mon personnage, Samuel, qui est veuf. Il retrouve un peu son épouse à travers cette femme exilée. Guillaume m’en a énormément parlé comme d’un fil rouge qu’on devait tirer par rapport au jeu du personnage. Guillaume est fascinant, il a emmené non seulement moi, mais toute une équipe, après une pandémie1, ce qui est un tour de force.
« C’est un nouveau départ vers une forme de liberté pleine, entre “action et coupez”. Ce film représente ça pour moi. »
Dans vos films, vous avez une présence physique, une masse, mais aussi quelque chose de cérébral. Qu’est-ce que le personnage de Samuel vous a permis d’explorer que vous n’aviez pu faire auparavant.
Denis Ménochet : Il représente un vrai nouveau départ. C’est marrant que vous me posiez cette question parce que je me la suis posée aussi. Guillaume m’a autorisé à être complètement libre, tout en étant en accord avec ce qu’il voulait qu’on fasse. Mais complètement libre ! C’est à dire que j’ai pu me surprendre, pu aller dans des états dont même aujourd’hui, je ne me souviens pas. J’ai lâché mon “métier”. Il y a des moments où, quand on jouait le film, je ne le savais pas. Il y a des trucs que j’ai complètement oubliés. C’est un nouveau départ vers une forme de liberté pleine, entre “action et coupez”. Ce film représente ça pour moi.
C’était un défi physique?
Denis Ménochet : Ah oui, évidemment, mais pour toute l’équipe aussi ! La montagne, la neige, devoir porter Zar2, faire des scènes de combats assez violentes, assez longues, des scènes aussi, où j’essaie de la sauver, et qu’on devait refaire pendant 4h.
Guillaume Renusson : On a travaillé avec les éléments. Je me suis dit que la chose la plus importante quand on est à 3000 mètres d’altitude, et en lumière naturelle, c’est le jeu ! On était presque en plan-séquence. On se disait “Suivons-les ! De toute façon le découpage se fera naturellement après au montage.” Je parlais tout le temps de continuité et de “temps vrai”. On était dans des plans qui durent parfois 13 minutes. J’ai l’impression que le moment où je dis action, surtout quand on est avec des comédiens de cette trempe, c’est finalement le moment où j’abandonne tout. Je lâche prise.
Il y a un truc un peu paradoxal : quand j’étais étudiant, j’avais l’impression que le moment où un cinéaste dit action, c’est le moment où il prend le contrôle. Je crois finalement, et je l’ai découvert avec ce film, que c’est l’instant où je m’abandonne. En amont, j’ai une logistique de taré parce qu’en fait, pour monter toute l’équipe avec les motoneiges, 50 personnes dans le froid, et tout ça, on a fait beaucoup de réunions. Mais au moment où je dis action, c’est à eux que ça appartient ! On a eu la chance d’avoir des comédiens et une équipe qui se sont emparés du film avec moi parce qu’avec la pandémie, les conditions de tournage difficiles, il fallait être ultime pour le faire. Vraiment ! Et on est réellement une famille aujourd’hui. Il y a des gens dans plein de villes, des petits bouts d’équipe, qui font des heures de route pour venir voir le film.
Vous traitez d’un sujet douloureux, la condition des exilés, en réalisant un film d’action, de survie. Pourquoi ?
Guillaume Renusson : Pour justement le traiter sans tomber dans un truc misérabiliste, sans être au premier plan sur tout ça, sans donner de leçon, sans être moralisateur. Je ne voulais pas raconter le parcours de quelqu’un pour trouver des papiers. C’est extrêmement tendu la frontière, il y a vraiment dans cette notion de frontière, quelque chose de l’ordre, un peu du de thermomètre social d’un pays aussi. J’avais l’impression que de raconter le film via le Western. Ça racontait un peu aussi l’état du monde dans lequel on est. Tout ça me semblait cohérent, ouais, de passer par le genre.
Denis Ménochet : Il y a une autre chose que je trouve très intéressante, c’est que mon personnage, Samuel, n’a pas vraiment d’opinion sur ce qui se passe. Enfin, si, nous on sait, mais on ne le montre pas.
« Je ne fais pas du tout de politique. En revanche, j’ai une vraie fierté de pouvoir apporter ma petite pierre à l’édifice »
Les films que vous tournez, de Jusqu’à la garde, aux Survivants, en passant par Grâce à Dieu et As bestas, vous permettent-ils de vous engager ?
Denis Ménochet : Je ne fais pas du tout de politique. En revanche, j’ai une vraie fierté de pouvoir apporter ma petite pierre à l’édifice. Quand on a fait Jusqu’à la garde, j’ai beaucoup aimé que les gens se soient emparés du film, de Grâce à Dieu aussi parce qu’ils comprennent organiquement ce que ça peut faire. Avec ce que donne Léa Drucker dans Jusqu’à la garde, plein de gens se sont rendu compte du mal que ça pouvait faire et, du coup, peuvent éduquer leurs enfants, s’éduquer entre eux, mais d’une manière généreuse. Avec Grâce à Dieu, on eu énormément de confessions de gens qui ont réussi à s’en sortir grâce à la chambre d’écho qu’a été ce film qui évoque une association de victimes3, toujours en activité, d’ailleurs.
C’est pareil pour le film de Guillaume, c’est pareil pour As bestas, qui parle de l’étranger, de comment l’autre est perçu. C’est génial de pouvoir participer à ça. Moi je ne sais rien faire d’autre que jouer, donc je suis trop fier de pouvoir le faire. Après je ne prends pas de position. Parce que je serai incapable d’avoir une conversation politique ou économique avec des gens. J’en suis incapable ! Moi, je peux vous parler de mon cœur, de mon âme, de mon humanité. C’est ça, que je mets sur la table ! Après le reste, ça ne m’appartient pas.
Quel acteur est Denis Ménochet ?
Guillaume Renusson : Denis, c’est un comédien de l’état, c’est assez dingue. C’est un comédien qui recherche l’état physique, l’état émotionnel. Je ne sais pas si c’est classique comme technique, mais il veut ressentir quelque chose, être sincère dans les circonstances imaginaires. C’est sa définition à lui. Tant qu’il n’a pas ressenti ce que son personnage doit ressentir, il n’a pas trouvé la scène. Et je trouve ça dingue parce que, c’est à la fois une exigence dans le travail et, en même temps, c’est fou à observer. Ça peut aller très très loin.
Les méchants sont à contre-courant de ce que l’on a l’habitude de voir au cinéma. Ils ont un physique et une personnalité très particulières. Ils ont un aspect angélique. On a du mal à les cerner.
Denis Ménochet : IIs sont vraiment extraits des générations identitaires. Ce sont des gens qui existent vraiment. Guillaume en parlera mieux que moi, mais ce choix, justement, que ces personnages puissent être votre sœur, votre cousin, votre voisin, renforce le récit, renforce la peur. Et, en plus, c’est une femme qui en chasse une autre. Il y avait quelque chose de super moderne là-dedans.
En plus, elle est obsédée : “Elle est où la voilée ?” Ça fait froid dans le dos. Génération identitaire, c’est quand même quelque chose. Quand j’ai présenté le film à Montréal, à Cinemania4, les Québécois n’étaient pas du tout au courant. Ils m’ont dit “Mais ce n’est pas crédible, trois jeunes passant leur temps à chasser les gens dans les montagnes, des réfugiés.” Dans le film, mon personnage dit aux chasseurs “Mais vous n’avez vraiment rien d’autre à foutre ?” Eh bien, il y a des gens qui n’ont vraiment rien d’autre à foutre !
Guillaume Renusson : Qui sont ces jeunes ? Ils incarnent une nouvelle génération, pour le coup identitaire. Mais moi, ce qui m’a marqué quand j’ai travaillé avec une structure qui avait étudié durant 2/3 ans la grammaire digitale de ce genre de mouvement, ce sont tous ces jeunes qui s’accaparent les réseaux sociaux pour faire de la com. Comme Génération Identitaire, qui en 2018, avait loué un hélicoptère pour aller, en tant que milice improvisée, dénoncer les exilés qui cherchaient à passer. Ce sont des éléments que vous pouvez trouver. On avait halluciné avec les producteurs du film parce que j’étais déjà dans cette ambiance quand c’est arrivé.
« Moi, je ne voulais à aucun moment représenter la traque par l’État. À savoir les flics. Je trouve plus intéressant et plus glaçant de mettre ça sur des concitoyens. Que ce soit à l’échelle d’hommes entre eux, dans une vallée, plutôt que de filmer des flics auxquels on a donné des ordres. »
Moi, je ne voulais à aucun moment représenter la traque par l’État. À savoir les flics. Je trouve plus intéressant et plus glaçant de mettre ça sur des concitoyens. Que ce soit à l’échelle d’hommes entre eux, dans une vallée, plutôt que de filmer des flics auxquels on a donné des ordres. J’ai d’ailleurs rencontré des flics qui sont, pour certains dans des excès de zèle (des gendarmes qui sont comme ça, soit à la police aux frontières ou sur des routes), et d’autres qui, lorsqu’ils ouvrent un coffre et voient un gamin de 8 ans à l’intérieur, sont incapables de le dénoncer. C’est pour ça que dans le film, il y a un flic qui est capable de les laisser passer. Je ne voulais pas être manichéen sur ça. Ce qui m’intéressait, c’était justement plus des mouvements citoyens, improvisés en milice, qui sont capables, avec des drones, d’aller traquer du réfugié.
Plusieurs mordus postent des vidéos d’eux, la nuit, avec des lampes frontales infrarouges. Ils allaient dans la vallée et arrêtaient les réfugiés qui essayaient de passer, pour les amener à la police aux frontières. Ces jeunes-là, qui d’ailleurs presque physiquement me ressemblent, n’ont pas l’air méchant, au premier abord. Mais justement, qu’est-ce qui fait que des citoyens, quand le dialogue et la parole deviennent vraiment caduques, passent par la violence ? Jusqu’où la violence peut-elle aller ? Comment peut-elle vriller, quand ils sont à 3000 mètres d’altitude, qu’il n’y a plus personne pour les observer, qu’ils accaparent la loi ?
Synopsis : Samuel part s’isoler dans son chalet au cœur des Alpes italiennes. Une nuit, une jeune femme se réfugie chez lui, piégée par la neige. Elle est afghane et veut traverser la montagne pour rejoindre la France. Samuel ne veut pas d’ennuis mais, devant sa détresse, décide de l’aider. Il est alors loin de se douter qu’au-delà de l’hostilité de la nature, c’est celle des hommes qu’ils devront affronter…
Les Survivants de Guillaume RENUSSON
Scénario de Clément PENY et Guillaume RENUSSON
Avec Denis Ménochet, Zar Amir Ebrahimi, Victoire du Bois, Oscar Copp…
Musique de Rob
Photographie de Pierre MAÏLLIS-LAVAL
Sortie le 4 janvier 2023
Durée : 1h34
Visuels : Visuel 1 ©Les Films Velvet – Baxter Films – Pierre Maïllis-Laval AdVitam Distribution
1Le tournage a été interrompu 10 mois par la pandémie de Covid.
2Zar Amir Ebrahimi, actrice iranienne récompensée du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour Les Nuits de Mashhad.
3La Parole libérée.
4Festival de films francophones à Montréal.