Premier long-métrage de son réalisateur, Conséquences qui sort ce mercredi, suit la découverte de l’homosexualité d’un adolescent dans le milieu hyper-violent d’un centre de détention pour jeunes en Slovénie. Rencontre avec son metteur en scène, le loquace et sincère Darko Štante.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Quelle est la situation du cinéma en Slovénie ?
Elle n’a rien de particulièrement positif. Nos moyens sont très bas : nous devons avoir un budget de 4,5 millions d’euros pour financer une industrie toute entière. C’est à dire des films aux écoles de cinéma en passant par les festivals et même, parfois, des séries télévisées. A la fin de la journée, il ne reste plus grand-chose pour un metteur en scène qui débute. Le gouvernement a promis cette année d’améliorer les choses. Patience, alors…
Comment s’est passée la production de Conséquences ?
Paradoxalement, les choses se sont faites presque facilement. Pour une raison simple : la Slovénie a tendance à produire plus volontiers du cinéma d’auteur plus que du commercial. Le sujet abordé par le film a séduit les gens du fond de financement. Ce ne fut donc pas très difficile. Le problème était plutôt au niveau du très faible budget du film. 240 000€ en tout. Ce n’est pas beaucoup. Tous nous avons été sous-payés. Ce qui n’est jamais très agréable.
« J’ai organisé une projection dans une école et une poignée d’élèves s’est montrée très hostile. Au point où je me suis demandé si je devais appeler la sécurité. »
Comment le public slovène a-t-il réagi à la sortie du film ?
Celui des grandes villes – en particulier à Ljubljana, la capitale – a été très enthousiaste. Nous avons des fans du film là-bas. Le film continue à y être diffusé. Pour ce qui est de la province, des campagnes, c’est différent. Ils sont plus conservateurs, peu perméables voire intolérants aux questions LGBT exposées dans Conséquences. J’ai organisé une projection dans une école et une poignée d’élèves s’est montrée très hostile. Au point où je me suis demandé si je devais appeler la sécurité. Ils ne pouvaient pas accepter l’homosexualité du personnage principal.
Au-delà des questions LGBT dont vous parlez, vous dressez un portrait particulièrement sombre de la jeunesse de votre pays…
Oui, mais c’est pour cela aussi que le film est apprécié en Slovénie. Il est réaliste, naturaliste, parle de sujets auxquels la société est confrontée. Il n’a rien d’imaginaire, de faux. Tout ce dont je parle, ce sont des choses auxquelles j’ai pu assister. Et les acteurs sont très crédibles. Ils ont fait un travail formidable. C’est pour cela qu’un public, principalement formé d’étudiants, de lycéens, s’est ainsi retrouvé en eux.
« Les problèmes d’alcool, de drogue, la cocaïne, la colère de ces jeunes lorsqu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils désirent, clairement, j’ai eu à les affronter. »
Vous qui travaillez dans des centres de détention, avez-vous déjà eu à affronter personnellement cette violence ?
Oui. C’est en partie inspiré de mon expérience. Je me suis déjà fait frapper. Et à plusieurs reprises. Le plus étonnant, c’est que des enseignants, dans d’autres centres que le mien, se sont plaints à la sortie du film en déclarant que j’exagérais les choses, qu’ils n’étaient pas si dépassés, si désespérés. Ils étaient assez remontés. Mais les problèmes d’alcool, de drogue, la cocaïne, la colère de ces jeunes lorsqu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils désirent, clairement, j’ai eu à l’affronter. Ça peut vraiment mal tourner. Si ça les arrange de fermer les yeux…
Homosexualité, jeunesse perdue, drogue, alcool… Mais quel est sujet le central de Conséquences ?
Il tient plus de l’intime. Avant tout, je souhaitais parler de trahison. La trahison par vos amis, vos parents, la société… Andrej, le personnage central, est trahi au final par tous. Après, il y a les sujets que vous citez. J’ai travaillé ce film comme un mille-feuille. Un sujet après un autre. Mais, avant tout, c’est l’histoire d’un garçon slovène qui peu à peu perd sa foi en les autres.
Revenons aux acteurs…
Nous avons beaucoup répété, beaucoup travaillé. Cela a été dur pas seulement avec Matej Zemljic, l’acteur principal – j’adore son travail, il est extraordinaire ! -, mais avec tout le reste des comédiens. Simplement, parce qu’en Slovénie, nous avons une grande tradition théâtrale. Nous tournons beaucoup moins de films. Et ce sont deux manières très différentes d’incarner un personnage. Ils ont commencé en surjouant et cela a été compliqué de leur faire revenir à quelque chose de plus réaliste. Je leur répétais sans arrêt : « Ne jouez pas ! » Nous avons quasiment vécu six mois sans se quitter. Nous sommes allés à Paris ensemble, nous sommes allés à la montagne ensemble, j’en ai même fait rentrer clandestinement dans un vrai centre de détention pour qu’ils rentrent en contact avec des garçons qu’ils étaient censés incarner. Leur talent et leur goût du travail ont permis l’incroyable performance qu’on voit à l’écran.
Ne risquez-vous pas d’être désormais catalogué « réalisateur LGBT » ?
Je m’en fiche. De toute façon, mon prochain film n’abordera pas ces sujets. Ça ne me dérange pas. Ce que pense les gens, je m’en cogne ! Je suis réalisateur. Point barre.
« Avez-vous vu Marlon Brando en Japonais dans La Petite maison de thé ? C’était dans les années 50 et ça reste totalement stupide et humiliant. »
Mais c’est la communauté gay elle-même qui pourrait vous « labelliser »…
Mais certains n’attendaient que ça ! En Slovénie, surtout. Là-bas, le film a été présenté lors d’un festival LGBT et ça ne s’est pas particulièrement bien passé. Je ne vais pas entrer dans les détails mais les acteurs, par exemple, n’avaient pas été très enchantés des questions qui leur avaient été posées à ce moment-là par le public présent. Ça manquait d’élégance. Mais, autrement, le contact avec les spectateurs est formidable. Une immense partie de la communauté gay est venue à moi en me remerciant pour le film et la manière dont j’avais abordé le sujet. Cela n’avait rien de clanique, du genre : « Tu fais partie des nôtres ! »
Faut-il nécessairement un acteur homosexuel pour jouer un personnage d’homosexuel comme l’exigent certains mouvements activistes aux États-Unis ?
Un acteur, son travail, c’est de jouer, d’interpréter, pas de répliquer ce qu’il est dans la vie à l’écran. Bien sûr, on met de soi dans un personnage, mais il ne faut pas que ça prenne le dessus. Non, je ne suis pas du tout preneur. Et je n’encouragerai pas ce genre de choses. Laissons les acteurs tranquilles. Et laissons à la société le temps d’accepter les différences. Cela a tendance à aller parfois trop vite, je trouve. Nous ne sommes plus non plus à l’époque où les réalisateurs tartinaient de maquillage des acteurs blancs pour leur faire jouer les Chinois. Avez-vous vu Marlon Brando en Japonais dans La Petite maison de thé ? C’était dans les années 50 et ça reste totalement stupide et humiliant.
Des inspirations pour Conséquences ?
Pour ce film, c’est plutôt une question d’atmosphère. Quelque chose entre les frères Dardenne et Les 400 Coups. Connaissez-vous Pusher de Nicolas Winding Refn ? C’est aussi un film que j’avais en tête en commençant Conséquences. Et l’énergie des films Dogma. Et pour le personnage Andrej, Montgomery Clift, Brando et l’œuvre de Nicholas Ray.
« Je travaille toujours dans un centre de détention. Depuis le film, je me sens un peu plus respecté par les garçons autant que par mes collègues. »
Votre prochain film sera-t-il encore tourné en Slovénie ?
Oui, mais ce sera très probablement une coproduction. J’aimerais pouvoir vivre de mon métier de metteur en scène. Ne plus avoir à faire autre chose à côté. Si je dois partir tourner à l’étranger pour avoir une vie meilleure, je le ferai. Encore faut-il qu’on m’en offre l’opportunité.
Vous sentez-vous isolé en tant que réalisateur slovène ?
C’est bien la première fois qu’on me pose la question mais la réponse est oui. Je me sens un peu seul. Je travaille toujours dans un centre de détention. Depuis le film, je me sens un peu plus respecté par les garçons autant que par mes collègues. Mon patron me laisse la liberté de voyager pour présenter le film à l’étranger. C’est une chance. Je ne travaille plus à plein-temps, j’ai donc un peu de temps pour l’écriture de films. Mais je suis fatigué. Et je deviens insomniaque. Je ne dors plus la nuit. Et ça ne fait qu’empirer.
Pour finir, vos films de chevets à conseiller à nos lecteurs ?
Vivre sa vie de Jean-Luc Godard. Fight Club de David Fincher. Rosemary’s Baby de Roman Polanski.