See vous propose une interview réalisée par notre journaliste Marc Godin il y a une dizaine d’années, à propos d’un vague projet sur la Nouvelle vague. Elle lui avait donné rendez-vous aux Fous d’en face, un resto où elle avait ses habitudes, à deux pas de l’Hôtel de ville. Elle était radieuse, gouailleuse, spontanée, libre. De fait, Bernadette, elle était vraiment très chouette.
Propos recueillis par Marc Godin
Comment avez-vous débuté ?
J’étais une très jeune provinciale de Nîmes qui rêvait de faire du cinéma. Je me suis mariée à Nîmes en 1956 avec Gérard Blain. Je suis venue à Paris avec lui et, tout à fait par hasard, il a tourné dans un film, Voici le temps des assassins (chef-d’œuvre réalisé par Julien Duvivier, avec Jean Gabin et Danièle Delorme, NDR). François Truffaut en a fait la critique dans la revue Arts, très élogieuse pour Gérard. Il lui a téléphoné et ils se sont donné rendez-vous aux Cahiers du cinéma. J’ai accompagné mon mari – j’accompagnais mon mari partout à cette époque-là – et je suis arrivée dans cet antre incroyable, au-dessus du cinéma Balzac. Il y avait André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze, Paul Gégauff, Eric Rohmer, Claude Chabrol, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jean-Claude Brialy et d’autres qui passaient. Il régnait une effervescence incroyable parmi ces jeunes gens qui n’avaient pas encore fait de films et qui rêvaient d’en faire. On a commencé, Gérard et moi, à aller au cinéma avec eux. C’étaient des bouffeurs de pellicule qui allaient voir et revoir des films. Rivette par exemple prenait un ticket et restait aux cinq séances. Très vite, ils nous ont proposé Les Mistons et Le Beau Serge. Truffaut est venu dans le midi, il a adoré les paysages du côté de Nîmes et dans les Cévennes. En même temps, Chabrol a lancé Le Beau Serge qu’il a tourné dans la maison de son enfance de la Creuse. Moi, j’étais une petite jeune fille qui rêvait de faire du cinéma et qui a réalisé son rêve. J’ai suivi Chabrol et Truffaut, mais si cela avait été Verneuil, Autant-Lara ou Duvivier, je les aurais suivis de la même façon. Mais en même temps, c’était formidable de vivre tout cela avec eux. Ils n’avaient pas suivi la filière normale, à savoir commencer sur les plateaux comme second assistant, puis assistant… Ils étaient complètement ouverts, pas formatés. En tout cas, je n’avais pas l’impression de faire partie de quelque chose d’historique, même si je passais des moments extraordinaires.
Qu’aviez-vous fait du cinéma avant Les Mistons ?
De la danse classique, mais pas de cinéma. J’ai eu juste de la chance de tomber avec des gens nouveaux qui avaient plein d’idées et plein de rêves. Il ne faut pas oublier qu’il y avait également une révolution technique qui a permis de tourner en extérieur, avec peu de lumière et peu de maquillage.
Pourquoi êtes-vous devenue la muse des cinéastes de la Nouvelle vague ?
J’étais différente, tout simplement. La vedette de l’époque, c’était Martine Carol, qui ressemblait beaucoup à Lana Turner et aux héroïnes hollywoodiennes. Celle qui nous impressionnait beaucoup, c’était Brigitte Bardot. Mais elle représentait la Parisienne, en tout cas pour Chabrol et Truffaut. Moi, je me compare volontiers à Béatrice Dalle, une nature complètement libre. Je crois que j’étais comme cela. J’ai inspiré des cinéastes et ils ont écrit pour moi. Il n’y avait pas de problème, un très beau début vraiment. Un véritable conte de fées. Mais je dois vous dire que quand on a fait ces films, on ne savait même pas s’ils sortiraient. D’ailleurs, Le Beau Serge est sorti après Les Cousins. La chance, c’est que le cinéma ait eu besoin de se dépoussiérer, les spectateurs avaient envie de voir des choses nouvelles, moins classiques. Incroyable !
« Truffaut, on l’appelait le Petit caporal car il ressemblait à Napoléon. »
Vous pouvez me parler de Truffaut et Chabrol ?
Ils ont ouvert la brèche. Truffaut, on l’appelait le Petit caporal car il ressemblait à Napoléon. Ils étaient très différents et ils ont fait des films très différents. J’ai fait sept films avec Chabrol, deux avec Truffaut. C’est drôle, mais le plus éblouissant d’entre eux fut peut-être Jean Domarchi (critique et universitaire mort en 1981, NDR) qui n’a jamais réalisé de film. Paul Gégauff était lui aussi une vraie personnalité. Il a énormément influencé Jean Eustache. Après avoir fait Les Mistons et Le Beau Serge, je suis partie pendant quelques années vivre à la campagne, où j’ai élevé mes trois enfants. Truffaut m’a écrit un jour : « Vous avez choisi la vie, moi j’ai choisi le cinéma. Peut-être que nos chemins ne se rencontreront plus. » Quand je suis revenue en 1966, il a été très gentil et après La Fiancée du pirate, il m’a proposé Une belle fille comme moi.
Quels sont les films de la Nouvelle vague que vous préférez ?
Les bonnes femmes est un film très important. Eustache m’avait dit que ce film lui a donné envie de faire du cinéma, Copi adorait également ce film. C’est un film-phare. J’aime toujours autant À bout de souffle, Les 400 coups, Tirez sur le Pianiste que j’ai failli faire, Les Parapluies de Cherbourg… Merveilleux ! J’aime également George Franju, Alain Resnais, Jean Rouch, le maître de Godard, Jacques Rozier, Jean-Pierre Melville… Tous les réalisateurs de la Nouvelle vague ont voulu avoir Henri Decae comme directeur de la photo à cause de Bob le flambeur !
Que pensez-vous de la « nouvelle Nouvelle vague » du cinéma français ?
Marion Vernoux, avec qui j’ai fait Personne ne m’aime, m’a dit tout de suite qu’elle était fan de La Maman et la putain. Elle aime tellement La Maman et la putain qu’elle a eu envie de faire un film en imaginant une histoire avec Léaud et moi, pour retrouver les héros du film vingt ans après. Elle est directement l’héritière de ce mouvement. J’adore Robert Guédiguian, le réalisateur de Marius et Jeannette.
« Un premier film, c’est formidable, il y a une ambiance très rare, très sympathique, de fraîcheur, de liberté. Un premier film, c’est magique. »
Vous tournez beaucoup de premiers films avec de jeunes réalisateurs. Est-ce parce que vous avez été l’égérie des cinéastes de la Nouvelle vague ?
Je suis quelqu’un d’ouvert, pas formatée. Je lis tous les scénarios que l’on m’envoie, je m’occupe de stages pour les métiers de l’image et du son, je suis abordable. J’aime bien les gens dans leur début, comme le disait Gégauff. Car au début, tout est permis, ensuite, c’est la pente descendante. Un premier film, c’est formidable, il y a une ambiance très rare, très sympathique, de fraîcheur, de liberté. Un premier film, c’est magique.
BERNADETTE LAFONT EN DIX DATES
26 octobre 1938, naissance à Nîmes.
1957 Les Mistons, de François Truffaut, et Le beau Serge, de Claude Chabrol.
1960 Les Bonnes Femmes, de Chabrol.
1969 La Fiancée du pirate, de Nelly Kaplan.
1973 La Maman et la putain, de Jean Eustache.
1986 L’Effrontée, de Claude Miller (César de la Meilleure actrice dans un second rôle).
1994 Personne ne m’aime, de Marion Vernoux.
2006 Prête-moi ta main, d’Eric Lartigau.
2013 Paulette, de Jérôme Enrico
25 juillet 2013 : elle décède à Nîmes.
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