Luc Besson est de retour avec DogMan (sortie le 27 septembre), interprété par un acteur exceptionnel, Caleb Landry Jones (Nitram), dans la peau d’un personnage brisé dont les seuls amis sont des chiens. Le cinéaste n’avait pas réalisé de film depuis 5 ans suite à de graves accusations (pour lesquels il a bénéficié d’un non-lieu définitif), la fermeture de son école de cinéma à Saint-Denis, et la perte de son poste de PDG d’EuropaCorp. A l’occasion de la sortie de DogMan, un film très noir, tendu comme un arc, Luc Besson s’est entretenu avec SeeMag.
Par Grégory Marouzé
Avant la mise en scène ou toute autre chose, ce qui frappe quand on découvre DogMan, c’est Caleb Landry Jones qui incarne Douglas, le « dogman ». Quel acteur est-il ? Comment avez-vous travaillé avec lui ?
Il travaille en papier tue-mouches. Il met une petite banderole et tout vient se coller à lui. C’est à dire que pendant des mois, il se nourrit, il pose des questions. Et il absorbe tout ! Jusqu’au point où moi, au bout d’un moment, ça a commencé à me faire un peu peur parce que je ne savais pas s’il se souvenait bien ce qu’on s’était dit pendant six mois.
Mais il absorbe petit à petit, il fabrique sa maison, il est presque comme une petite fourmi. Et ce qui est vraiment étonnant chez lui, c’est que le jour J, quand on doit faire telle scène ou telle chose, d’un seul coup, il y a tout qui sort, presque comme un danseur, c’est très impressionnant ! Il fait énormément confiance.
C’est vraiment quelqu’un qui se met au service du metteur en scène et ça, c’est magnifique. Il n’essaie pas d’exister en tant que personne. Il essaie de bien comprendre le personnage, la complexité. Il joue six ou sept personnages différents, mais il essaie de bien comprendre et, dès le départ, il m’avait dit « faut qu’on bosse 6 mois ». J’ai accepté tout de suite. Et ça a pris 6 mois ! (rires). Sur le personnage, sur sa voix, sur la façon dont il marche.
Par exemple, la fin du film nous a pris beaucoup de temps. J’ai des souvenirs de déambulations en forêt, on cherchait sa façon de marcher. On est même allé voir des professeurs à la Pitié Salpêtrière pour connaître la différence entre une balle qu’on prend à la 7e vertèbre, à la 9e ou à la 12e. Ça n’a pas le même effet ! A un endroit, par exemple, on a le bras qui ne marche pas mais si c’est plus bas, le bras fonctionne bien.
« Je n’avais pas vu Nitram, qui n’était pas sorti à l’époque, mais je l’avais vu dans Get Out. Il était très bien aussi dans Barry Seal, le film avec Tom Cruise. »
On a essayé de se nourrir de tout ça, pour sa voix surtout. J’avais vu une petite photo de lui et j’avais regardé sur Google. Ensuite, je me suis dit « Ah oui, je le connais en fait ». Je n’avais pas vu Nitram, qui n’était pas sorti à l’époque, mais je l’avais vu dans Get Out. Il était très bien aussi dans Barry Seal, le film avec Tom Cruise. Là, je me suis dit « voilà un acteur qui sait tout faire ». Pour un réalisateur, c’est assez déclencheur.
Quand on voit qu’un acteur est de la pâte à modeler, qu’on va pouvoir modeler, c’est très attractif pour un metteur en scène ! Et puis on a passé pas mal de temps, peut-être deux ou trois déjeuners, où je n’ai pas parlé du film. On a juste essayé de se connaître. Vous ne pouvez pas partir sur une aventure comme ça juste avec un acteur. C’est un partenaire qu’il faut chercher. Vous ne pouvez pas proposer à n’importe qui traverser le désert ou de faire la course à l’Atlantique à la rame, quoi. Faut être sûr !
Ce qui est également intéressant, c’est qu’il est un petit gamin du Texas qui a eu pas mal de problèmes dans son enfance, comme moi. Moi je viens de Coulommiers, pays du fromage, et on avait chacun un chien. Le mien s’appelait Socrate. Le sien s’appelait Sébastien. Et puis d’un seul coup, on s’est découvert.
On a découvert qu’avec à-peu-près 25 ans d’écart, les choses se répétaient. Qu’elles se déroulent à Coulommiers ou au Texas, les fêlures sont à peu près les mêmes. Ça nous a beaucoup rapproché. C’est surtout un jeune homme d’une gentillesse absolue. Je ne pense pas qu’on puisse être un excellent acteur sans bonté. Si un acteur n’a pas cette générosité, il ne peut pas la rendre.
DogMan est un film très noir. C’est peut-être le film le plus noir que vous ayez fait, même si on y trouve des moments lumineux. Ces dernières années, vous avez eu de graves accusations1, pour lesquelles vous avez bénéficié d’un non-lieu. Ces évènements vous ont-ils donné une autre vision du monde, une autre façon d’envisager le cinéma, est-ce que cela a donné naissance à DogMan, ou l’a orienté différemment ?
Non ! D’abord on a tous commencé par souffrir pendant 2 ans, où on s’est pris le COVID, on a tous été enfermés. Est-ce que le COVID et cette nouvelle facette du monde a changé les choses pour tout le monde ? Oui ! Ça, c’est sûr. Et c’est ce qui m’a occupé principalement. Sincèrement, j’ai du mal à me plaindre parce que je suis privilégié. J’ai réussi à passer cette période de COVID dans des endroits un peu sympas, en famille. Mais je sais qu’il y a des gens qui ont vraiment souffert.
« J’ai beaucoup de chance parce que je trouve que les gens encaissent beaucoup. Donc, merci de me laisser faire ce métier qui me plaît plus que tout ! »
Si la société commence à être dans cet état là, ça vient aussi en partie de ça. Donc, ça a été dur pour tout le monde ! Et après, la vie est faite de rayons de soleil, elle est faite d’ombres. Est-ce qu’on a la même façon de voir les choses quand on a passé les 60 ans, que quand on a 20 ans, non bien sûr ! Plein de choses se passent. Mais j’ai beaucoup de chance parce que je trouve que les gens encaissent beaucoup. Donc, merci de me laisser faire ce métier qui me plaît plus que tout !
DogMan est à la croisée de plusieurs genres. Il est même à la limite du fantastique de par ses ambiances. Comme dans tout bon film de genre, il y a un discours. Certaines idées reviennent à plusieurs reprises, et notamment celle de juste répartition des richesses. C’est important pour vous de délivrer ce message ?
Ouais, ouais. C’est le fléau ! C’est le fléau d’aujourd’hui, quoi ! C’est le nerf principal. C’est la base de tous les problèmes. Mais c’est une vérité que tout le monde partage. On le sait ! On ne fait pas grand-chose mais oui.
Certains cinéastes l’abordent, évidemment. Notamment Ken Loach. Mais ce n’est pas non plus si fréquent. Et là, on l’entend dans un film de Luc Besson.
Ce qui est important et ce qui me fait très plaisir, c’est que vous l’avez retenu. Il y a des gens qui ne l’entendent pas. Moi, ça me fait plaisir quand vous me dites ça parce qu’on a essayé de présenter une histoire, où il y a de la musique, où il y a pas mal de choses. Mais ouais, on essaie de dire des choses, quoi !
Pensez-vous que ce type de discours passe mieux dans un polar ou un thriller ?
Je pense qu’il faut toujours essayer ! Il faut essayer de dire des choses. J’ai réalisé un film pour enfants qui s’appelait Arthur et les Minimoys. Il y avait des tout petits minimoys qui étaient les frères de grands Noirs. Mais ils étaient frères et vivaient ensemble dans le jardin. Un jour, un ami m’a appelé : « Bah je te remercie parce que mes enfants sont contre le mur. Ils ne veulent plus marcher sur la pelouse parce qu’ils ont peur d’écraser des minimoys.
Ça m’a fait très plaisir (rires) parce que je me suis dit « Bon, il y a un petit truc qui est passé chez ses enfants ». Une espèce, peut-être, de prise de conscience supplémentaire de la nature. Et donc, est-ce que le cinéma est un petit plus ? Parce que le vrai facteur, c’est l’éducation. Mais pour aider l’éducation, l’art c’est pas mal. C’est un bon complément parce qu’on peut dire plein de choses, on peut essayer. Tout le monde ne l’attrape pas. Mais quelques personnes l’attrapent.
Il y a des films qui m’ont aidé dans ma vie. Vol au-dessus d’un nid de coucous ! À 15 ans, quelqu’un me dit que les fous ne sont pas si fous, mais que les gens pas fous, sont en fait complètement dingues ! À 15 ans, je me suis dit « Ah d’accord, donc ça peut aussi marcher dans l’autre sens. » Oui, ça change les perspectives de la vie. Personne ne m’avait expliqué ça à l’école, que les fous n’étaient pas si fous ! (rires)
Qu’est-ce que DogMan vous a permis d’explorer que vous n’aviez plus exploré auparavant dans votre travail ?
Je crois que ça vient avec l’âge. C’est à dire qu’avec l’âge, on a envie d’être un peu plus précis ou un peu plus profond … En fait, dès que ça devient un peu trop lourd, il faut absolument que je fasse un clin d’œil ou que je rigole, parce que sinon j’ai l’impression de me prendre au sérieux. Ça reste toujours quand même assez gai, assez joyeux le film, quelque part. Et c’est drôle par moments.
« Beaucoup de gens se plaignent : « Ah, c’est toujours la même chose. On a le numéro 4, on a le numéro 8. Marvel, c’est toujours la même chose ! » On entend ça ! Alors, d’accord ! OK ! On va faire appel à votre curiosité. »
Il y a des situations un peu ubuesques, qui nous font sourire. Parce que je n’arrive pas à aller vers Ken Loach, quoi ! Ce n’est pas ma nature. A un moment donné, il faut quand même qu’on sourit et qu’on se mette un petit coup de coude. Parce que sinon… Non, je pense que c’est l’âge qui fait ça, c’est l’expérience de la vie. J’entends beaucoup de gens faire des reproches au cinéma. Beaucoup de gens se plaignent : « Ah, c’est toujours la même chose. On a le numéro 4, on a le numéro 8. Marvel, c’est toujours la même chose ! » On entend ça ! Alors, d’accord ! OK ! On va faire appel à votre curiosité.
On sent par le travail avec les comédiens, avec Caleb Landry Jones, les chiens, la mise en scène, que DogMan est un film complexe à faire. Mais on a quand même l’impression que vous revenez vers une simplicité qui était davantage présente au début de votre parcours. Est-ce qu’avec l’âge, on a envie d’aller vers des choses plus simples ? Avez-vous l’envie de revenir vers un cinéma moins lourd techniquement, plus dépouillé ?
Ouais, bien sûr. Oui, forcément, je pense que oui. On voit ça beaucoup, avec avec l’âge, on le voit chez les peintres, par exemple. Donc, c’est vrai ! Mais à côté de ça, il y a l’envie ! C’est bon aussi d’avoir envie de rire, d’être un peu stupide. Je ne suis pas sûr d’avoir vieilli à jamais. (rires) Non, non, mais c’est agréable de temps en temps de partir sur un truc plus léger, de faire une comédie. Il y a des tentations à l’intérieur ! Donc, je pense qu’il faut se laisser guider, quoi. C’est l’idée !
Il y a un film qui s’intitule June and John ?
Ah oui, ça c’est fait. C’est tourné ! Durant le COVID, où on était tous bloqué, j’étais à Los Angeles et j’ai récupéré une dizaine d’amis techniciens. On a fait un casting avec des acteurs pas connus. J’ai pris un téléphone et j’ai tourné un film pendant 9 semaines avec un téléphone. C’est une histoire d’amour, c’est très mignon. Mais on va s’occuper de DogMan ! Puis, on verra.
Il est destiné à sortir ?
Je ne sais pas. Mais quel bonheur de tourner à 10 avec un téléphone. Là, j’ai eu le sentiment d’avoir 17 ans, hein ! Les jeunes, je le répète sincèrement, ont un bol magnifique ! Avec un téléphone, on peut tourner. Avec un ordinateur, on peut faire du montage. Ils ont le plus gros réseau de distribution au monde qui s’appelle Youtube. Donc sincèrement, faut y aller quoi !
« Moi, si j’avais 17 ans aujourd’hui je ne toucherais plus Terre, je tournerais toute la journée ! Le téléphone, c’est incroyable, vous pouvez faire des travellings, vous allez partout. »
Moi, si j’avais 17 ans aujourd’hui je ne toucherais plus Terre, je tournerais toute la journée ! Le téléphone, c’est incroyable, vous pouvez faire des travellings, vous allez partout. On n’a pas demandé une seule autorisation, on est allé partout. Dès qu’on se fait arrêter, on disait « Bah non, c’est un téléphone, on fait des photos ! » C’est un vrai bonheur. Il y a des petites choses dans ce film-là. C’est un petit film, hein ! Il est vraiment tout petit mais vraiment, ça me plaît de faire cette démonstration qu’il n’y a pas besoin d’argent. Il faut juste des bons acteurs, il faut que le scénar soit bon. Et puis, il faut juste y aller !Je vois plein de jeunes qui essaient de séduire des studios. C’est pas la peine, c’est fini. C’est fini.
Vous avez travaillé toute vie pour le cinéma, pour le grand écran, avec l’écran large, avec un travail spécifique sur l’image, avec un vrai design sonore. Aujourd’hui, voyez-vous les plateformes comme une concurrence ou une complémentarité au cinéma ?
Chacun trouve sa place. Le théâtre avait très peur de l’arrivée du cinéma. Le théâtre existe toujours, mais c’est magnifique. L’opéra avait très peur de l’arrivée de la musique et des radios. Et pourtant, vous allez voir Le Lac des cygnes à l’Opéra Garnier. Ça balaie tout, hein ! Il y a 40.000 personnes qui vont dans un stade pour voir un match et il y en a 4.000.000 qui le regardent à la télé. Moi, du moment que les deux existent, je pense que tout le monde est content. Est-ce qu’on vit la même chose à la télé que sur un stade ? Non, pas du tout ! C’est comme pour un concert. Vous allez voir Mylène Farmer en vrai, ça n’a rien à voir avec une écoute dans sa voiture.
Vous avez-eu des propositions des plateformes ?
Ouais, sûrement ouais !
« Je ne suis pas très consommateur de séries. Je n’arrive pas à trouver 9 h pour regarder des trucs, je ne sais pas comment font les gens mais moi je n’y arrive pas. »
Vous avez décliné, vous restez sur le grand écran ?
Il y a des coureurs de 100 M, il y a des coureurs de 5000. Ce ne sont pas les mêmes. Je ne sais pas exactement comment ça fonctionne. Je ne suis pas très consommateur de séries. Je n’arrive pas à trouver 9 h pour regarder des trucs, je ne sais pas comment font les gens mais moi je n’y arrive pas. J’aime aller dans la salle, j’aime prendre mon popcorn, j’aime m’asseoir avec les gens, j’aime rire et pleurer avec eux. Je n’ai pas d’Atmos 4K chez moi.
Luc Besson : Quel est le premier film de moi que vous avez vu ? Si ça ne vous embête pas que je pose la question…
Subway.
Luc Besson : C’est fou, hein !
Mais c’est Nikita qui m’avait explosé la tête, à 17 ans.
Ah, c’est vrai ?
Oui, car je suis un fan de cinéma américain, de cinéma de genre. En cinéma français, gamin, j’aimais beaucoup les polars d’Alain Corneau, de Melville, bien sûr. Mais le cinéma, pour moi, a longtemps été américain. D’un seul coup, des Français faisaient avec leur sensibilité, ce que je croyais que seuls les Américains pouvaient faire.
Ouais mais Corneau, Melville, ces gens-là ont réinventé le cinéma. Ce qui est drôle c’est que dans les années 50, je ne vous apprends rien, dans plein de pays comme le Japon, le cinéma numéro 1, c’était le cinéma français ! Avant le cinéma américain ! Les Américains ont une spécialité : nous, on fait un billard à 3 bandes. Ils inventent un billard avec 12 boules et de la couleur. Ils arrivent toujours à rendre Entertainment les choses où on n’y arrive pas. Nous, on est trop appliqués, on est trop amoureux, trop cérébral, trop…
Vous avez réussi à faire de l’entertainment…
Oui, sûrement. Mais sous une autre forme, pas la même. Parce qu’on a une liberté qu’eux, n’ont pas. Eux suivent des codes. Nous, quand on teste un film aux États-Unis, on veut savoir s’il y a des choses qu’ils ne comprennent pas. On n’analyse pas les tests de la même façon qu’eux. Eux, regardent en pourcentages et ils changent en fonction … C’est assez froid, quoi. Alors que nous, on essaie de ressentir les choses.
1 – Accusé de viol par l’actrice belgo-néerlandaise Sand Van Roy, Luc Besson a bénéficié d’un non-lieu définitif en juin 2023.
Synopsis : L’incroyable histoire d’un enfant, meurtri par la vie, qui trouvera son salut grâce à l’amour que lui portent ses chiens.
DogMan de Luc Besson Avec Caleb Landry Jones, Jojo T. Gibbs, Marisa Berenson – Musique : Eric Serra – Durée : 1h54 – Sortie le 27 septembre 2023
Visuels : Shanna Besson – 2023 –LBP– EUROPACORP–TF1 FILMS PRODUCTION–TOUS DROITS RÉSERVÉS
Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Remerciements : Christophe Caron – La Voix du Nord