See Mag a interviewé Kim Chapiron1, le créateur du collectif Kourtrajmé, pour son nouveau film Le Jeune imam (sortie le 26 avril), écrit en collaboration avec Ladj Li2. Le Jeune imam s’inspire de plusieurs histoires vraies d’arnaques au pèlerinage à La Mecque et suit la trajectoire d’un jeune homme mystérieux, ex-délinquant devenu imam. Réalisé comme un thriller, le long-métrage montre l’islam d’une façon différente de celle souvent véhiculée par les chaînes d’infos. Rencontre.
Par Grégory Marouzé
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder l’islam, à travers différents genres comme le thriller ? Pourquoi cette histoire vraie vous a inspiré ?
Kim Chapiron : Je dirais que l’étincelle a été l’histoire vraie. Le mot arnaque et le mot pèlerinage sont tellement diamétralement opposés que d’un coup, ça crée une complexité qui mérite un personnage de cinéma. Quand on est tombé sur ce personnage, on s’est dit “c’est un personnage du réel, mais c’est tellement fou que ça doit être un personnage de cinéma”. On s’est dit qu’on allait entrer dans la chair de ce personnage pour exposer plein de sujets qui nous tiennent à cœur.
« Qu’est-ce qui amène le personnage interprété par Abdulah Sissoko de passer de la personne la plus aimée à la personne la plus haïe en l’espace d’une seconde ? »
C’est le point de départ. Chemin faisant, on s’est malheureusement rendu compte que cette histoire appartient à énormément de gens. Le chef décorateur nous a dit “mais vous parlez de l’imam de Limoges !” Malheureusement, les arnaques au pèlerinage sont courantes. Donc, on s’est inspiré de plein d’histoires vraies, à la fois des témoignages des victimes, et des gens qu’on a rencontrés. Ça a nourri la véracité du propos. Et, étant donné que cette histoire est impossible à résoudre, on s’est interrogé sur le passé de ce personnage. Qu’est-ce qui mène quelqu’un à se retrouver dans une telle situation ? Qu’est-ce qui amène le personnage interprété par Abdulah Sissoko de passer de la personne la plus aimée à la personne la plus haïe en l’espace d’une seconde ? C’est pour ça qu’on est entré dans le passé de ce personnage en essayant de comprendre comment il avait pu commettre une telle imprudence et se retrouver coincé dans cet endroit. Sans spoiler, voilà le film.
Une des forces du personnage d’Ali, c’est qu’il présente une ambivalence dès le départ. A la fois, on l’aime et on s’en méfie. Ne pas être manichéen, était-ce l’un des objectifs de votre film ?
Kim Chapiron : Absolument ! Généralement, quand on traite de ce sujet-là, on est face à une thématique qui sature l’espace médiatique. Quand vous me parlez de thriller, je suis ravi ! L’une de nos missions avec Ladj Li, était de récupérer ce sujet de l’espace médiatique pour l’amener dans l’univers de la fiction, créer des personnages de cinéma, générer une empathie, une intimité, afin de nous extraire de ces débats, de ces polémiques stériles. Après, quand on arrive avec un titre comme Le jeune imam, on a évidemment conscience de la portée politique du titre et du sujet.
« Ayant grandi dans les années 80, j’ai eu la chance de connaître un moment où dans notre pays, la France, l’islam n’était pas un sujet. »
Ayant grandi dans les années 80, j’ai eu la chance de connaître un moment où dans notre pays, la France, l’islam n’était pas un sujet. Faire un film dans lequel nos héros sont de confession musulmane, mais où l’islam n’est pas le sujet du film, ça faisait partie de notre mission. Raconter comment l’immense majorité silencieuse des musulmans pratique l’islam, c’était notre mission. C’est pour ça que j’aime beaucoup quand vous parlez de thriller. L’intrigue est hors du décorum de ce film. On parle souvent de l’islam avec les spectateurs parce que les gens sont peu habitués à voir ce type de personnages au cinéma. Donc, ça prend beaucoup de place. Mais si on doit parler du film, c’est avant tout une histoire d’amour, une histoire de blessure, de guérison, entre un fils et sa mère, son entourage, sa famille. C’est un film sur le pardon, la rédemption. Il y a plein de thématiques qui sont bien plus importantes à aborder que l’islam qui est le décor de ce film.
Abdulah Sissoko, vous incarnez Ali, le personnage principal du Jeune imam. Comment êtes-vous arrivé sur le film ?
Abdulah Sissoko : En sortant du cours Simon (j’ai fait l’école de théâtre pendant 3 ans), deux mois après, je tombe sur un casting. On cherchait un jeune noir de 25 ans qui savait réciter les sourates, qui avait des notions d’arabe. Je correspondais totalement à ce personnage. Plus jeune, j’ai fait une école coranique au Mali.
J’ai eu un peu la même histoire, dans le sens où mes parents m’ont envoyé au Mali quand j’avais 13 ans pour apprendre le Coran, la religion. J’ai été envoyé là-bas un an et demi et en 2017, j’ai fait une école de théâtre. Donc, j’avais un bon profil pour le personnage d’Ali. Le casting a duré quelques mois. J’ai rencontré Kim Chapiron et Ladj Li, j’étais honoré. On a commencé à travailler. Moi, je viens du théâtre, donc je jouais très gros. J’en abusais un peu. J’ai dû gommer mon jeu et j’ai pas mal travaillé avec un coach, qui m’a beaucoup aidé pour ce rôle. J’ai aussi pris pas mal de conseils d’amis imams avec lesquels j’ai beaucoup bossé.
« On parlait d’islam des caves parce que nos parents priaient dans les caves. On ne parlait pas de terrorisme, on ne parlait pas de toutes ces choses-là. »
Les gens de notre génération, nés dans les années 70/80, n’ont pas connu l’islam dont on parle aujourd’hui. Nous avions des copains noirs, des potes d’origine maghrébine, de différentes confessions. Cela n’avait pas d’importance…
Fathi Achour Tani3 : Moi, j’ai 50 ans. Nos parents priaient dans les caves des résidences. Donc, à l’époque, nos parents ne faisaient pas de bruit. Ils allaient travailler et puis, on n’avait pas de lieu de culte dans ces quartiers-là, en banlieue nord de Paris. On parlait d’islam des caves parce que nos parents priaient dans les caves. On ne parlait pas de terrorisme, on ne parlait pas de toutes ces choses-là. Aujourd’hui, les choses ont quand même évolué. Il y a de grands édifices et de grandes mosquées, même en région parisienne, dans toutes les villes de France. On retrouve des édifices assez importants, où on peut accueillir pas mal de fidèles. Le film regroupe plusieurs générations. C’est le reflet de la société d’aujourd’hui à travers la religion, l’islam, des réseaux sociaux. Si on regarde le film de plus près, on se rend compte qu’il y a Snapchat, Instagram. C’est un film qui parle aux jeunes. Moi, j’ai des enfants qui ont 25 ans. Ils ont TikTok, Instagram.
Kim Chapiron : Fathi, Nabile et Moussa sont du quartier de Montfermeil où a grandi ma mère. C’est comme ça que j’ai rencontré Ladj Li et tout le monde ! C’est là où a été tourné Les Misérables et Le Jeune imam aussi, de manière naturelle, parce que c’est un endroit où il y avait tous les décors du film. C’est là où il devait se passer.
Fathi Achour Tani : C’est un endroit chargé d’histoire, surtout. C’est là que les émeutes de 2005 ont débuté. Il y a un gros travail des associations sur place, avec des gens qui sont impliqués dans le quartier. On est tous des acteurs de la vie du quartier. Moi, j’étais entraîneur de foot à Montfermeil pendant plus de 10 ans. J’ai joué, ensuite j’ai été entraîneur. Pour revenir au film, c’est l’islam 2.0, avec l’imam de St Quentin. Il est apprêté. J’ai même envie de dire que le mec est beau gosse. Il présente bien.
« La jeunesse de France, dans les banlieues, de confession musulmane ou pas, est vachement mobilisée pour aider les autres. Elle va vers les autres. Les jeunes se renseignent quand il y a des gens démunis. »
Effectivement, le film représente l’islam vécu par la jeunesse. La jeunesse ne regarde plus la télévision. D’ailleurs, les médias et la télévision sont en dehors du film. Ils n’existent pas. Aviez-vous l’envie de faire un film qui montre l’islam différemment de la façon un peu négative dont les médias, et chaînes d’infos en continu, l’abordent régulièrement ?
Fathi Achour Tani : Vous avez vu juste parce que dans le film de Kim, il y a une scène de distribution de produits alimentaires. La jeunesse de France, dans les banlieues, de confession musulmane ou pas, est vachement mobilisée pour aider les autres. Elle va vers les autres. Les jeunes se renseignent quand il y a des gens démunis. Moi, je sais que Porte de la Chapelle, à l’époque, on avait pas mal de Roumains ou de SDF.
L’hiver, les gens montaient des maraudes. Ils y allaient avec des colis alimentaires, des couvertures, des couches pour bébés, des vêtements chauds. Ils ne regardaient pas si les gens étaient musulmans ou pas. Mais, par rapport à ma génération, je trouve que les jeunes d’aujourd’hui sont plus mobilisés que nous. Ils sont plus actifs grâce à l’aide des réseaux sociaux, aussi parce que ça va très vite. L’information circule à 200 à l’heure ! Nous, pour voir un pote, il fallait traverser la cité. On pouvait marcher 2 à 3 km pour avoir des copains ou des copines. Aujourd’hui : “T’es où ? Je suis à New York !” Ça va 200 à l’heure ! A travers le film, on voit l’importance des réseaux sociaux pour cette jeunesse. En lien ou pas avec l’islam, on voit que ça joue un rôle hyper important.
Le film n’est pas manichéen par rapport à l’islam. Le spectateur se demande quelles sont vraiment les intentions du personnage ? Est-il un peu voyou ou sincère ? Voire un peu les deux ?
Kim Chapiron : Le côté voyou, je n’irai pas jusque-là. Parce sinon, on arrive vite à la question “voleur un jour, voleur toujours”. On a le droit de changer et d’évoluer au cours de vie. Au début, Ali grandit dans l’opposition. Il naît dans un foyer avec un père absent. On apprend petit à petit que le père est décédé. Il grandit avec une mère seule. On rencontre la sœur, on la voit bébé quand ils sont plus jeunes. Ali semble être un enfant turbulent. On l’imagine dans le hors-champ. Moi, j’aime beaucoup le travail du hors-champ au cinéma. On s’imagine qu’il a fait plein d’autres bêtises. Sa mère l’envoie donc au pays. Et là, on assiste à ce court-circuit, cette sorte de révélation mystique, qu’il va voir au pays, avec le chef Boubakar.
« On laisse beaucoup de mystères par rapport à ce qui va se passer après, avec le retour du personnage, chargé de tout ce qu’il a appris au pays. On voit à quel point ça a libéré ses potentiels. »
On laisse beaucoup de mystères par rapport à ce qui va se passer après, avec le retour du personnage, chargé de tout ce qu’il a appris au pays. On voit à quel point ça a libéré ses potentiels. C’est la première fois qu’on le considère. C’est pour ça que j’en reviens toujours à la notion de pardon, d’acceptation, sur la compréhension de ses failles. Est-ce que ce film aurait existé si sa mère ne l’avait pas laissé au pays ? Au lieu de le punir, le chef Boubakar le regarde et le comprend. Dans les débats, les gens nous parlent beaucoup de cette scène. Ils sont très touchés par elle. Ce moment-là libère ses potentialités. C’est là qu’il va se révéler, devenir un grand récitateur, avec un vrai talent d’orateur, d’une éloquence parfaite. Ce que j’aime me raconter, c’est qu’à la fin, quand sa mère fait la même chose que Boubakar, au lieu de le punir encore une fois, qu’elle lui fait confiance, le rassure en lui disant que les gens vont lui faire confiance, c’est que ça va aussi libérer les potentiels d’Ali.
A ce moment-là, sans spoiler la fin, vous jouez aussi du hors-champ.
Kim Chapiron : Bien sûr ! Parce que c’est avant tout la trajectoire du point A de cette blessure au point B cette guérison. Le film, pour moi, se passe vraiment autour de ça. Grâce à cette trajectoire qu’on suit. On traite de plein de sujets mais c’est le cœur du film, avec, justement, tout l’aspect thriller. C’est peut-être aussi en référence aux films d’Asghar Farhadi, que j’adore, où il y a cet art d’une intrigue dramatique assez puissante pour nous faire ressentir des sensations de cinéma, mais où le cœur du film est essentiellement basé sur l’intime.
Comment avez-vous fait pour raconter et équilibrer ces histoires en 1h38 ?
Kim Chapiron : J’ai eu la chance d’avoir des comédiens qui m’ont permis de nourrir les personnages du film. Que ça soit Abdulah, comme il l’a raconté, avec sa vraie histoire. C’est bien évidemment une des raisons pour lesquelles on s’est dirigé vers lui avec son bagage. Le réel a une place très importante, en général, dans mes films, parce que je trouve que c’est un ingrédient assez pratique pour attraper mon spectateur et faire sauter toutes les barrières. A partir du moment où le spectateur, se dit que c’est vrai, il est beaucoup plus tranquille et se laisse aller. Donc, les acteurs ont énormément participé à toutes ces histoires qui ont nourri le film.
Avec Ladj Li, on a visité plusieurs écoles coraniques au Mali, au Sénégal, pour essayer de capter la réalité de ces écoles qu’on ne voit quasiment jamais, ni dans les documentaires, ni dans les reportages, et encore moins dans les fictions. C’est encore un avantage pour nous, étant donné que le spectateur n’a aucun référent. Ça lui permet d’accepter ce qui va se passer. On a mis un point d’honneur à avoir énormément de précision dans l’art et la manière d’explorer ce film. Notre travail, c’est avant tout de saisir le réel, de l’observer en amont. On a fait ce qu’on appelle des Italiennes. Moi, je n’aime pas répéter parce que je pars toujours du principe que ça va abîmer la scène.
« Quand on répète une scène plusieurs fois, elle perd toute sa saveur. »
Donc, je demande aux comédiens de ne pas être à fond. Et puis on fait ça un peu comme si de rien n’était et on voit ce qui marche. Ça nous permet aussi de faire ce qu’on appelle des mécaniques. On voit comment les personnages vont se mouvoir. On travaille les mouvements de caméra. Il ne faut pas s’essouffler parce qu’à un moment, quand on répète une scène plusieurs fois, elle perd toute sa saveur. Quand on arrive sur le plateau, on est tous exténués et elle est vide. Je n’aime pas trop répéter. J’aime parfois faire de petites impro, juste pour sentir les couleurs. Tout le monde a joué le jeu de manière assez naturelle et je dis “jeu” parce que ça reste avant tout notre métier, de jouer. Il y a quelque chose de très plaisant, de très jovial dans tout ça.
Même si on fait un drame, ça reste toujours un jeu. Quand on termine une scène dramatique, on explose de rire, comme après la scène où Corona se fait encastrer dans la porte. On a d’ailleurs tourné chez Ladj, et il lui a réellement cassé sa porte. C’est une scène d’une extrême violence, avec la petite qui se fait secouer. Quand la scène s’est terminée, on a tous explosé de rire. Ce qui est génial dans notre métier, c’est qu’on fait de la chorégraphie. On joue avec les émotions, mais ça reste avant tout de la chorégraphie.
Que vouliez-vous à tout prix réussir et éviter avec Le Jeune imam ?
Kim Chapiron : Ce que je voulais à tout prix réussir, c’est bouleverser les gens autant que je l’ai été pendant tout le processus de création de ce film. Durant l’écriture, les rencontres, les moments de vie qu’on a vécus. Je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes en disant ça, mais c’est assez exceptionnel de faire un film.
Quand on traite de sujets aussi fragiles et délicats, je dirais que c’est encore plus exceptionnel parce que tout le monde a l’impression de marcher sur la lune pour la première fois. On est rarement, voire jamais entré dans une mosquée pour un film. Avec ce film, plein de gens vont pouvoir le faire. On a eu beaucoup d’échos de gens qui sont entrés pour la première fois dans une mosquée grâce au film, et c’était très émouvant. Ce que je voulais absolument, c’était toucher, émouvoir, interroger.
Pour l’instant, je suis assez serein parce que ce sont des choses qu’on ressent dans les différentes projections qu’on a pu faire. Et ce que je voulais absolument éviter, c’était embarrasser, créer des polémiques, faire un film clivant. Ce que l’on reproche la plupart du temps quand on traite de ce genre de sujets. Je voulais absolument éviter d’avoir des personnages caricaturaux, stéréotypés. Je pense qu’on s’en est bien sorti.
Synopsis : À 14 ans, Ali est un adolescent à la dérive. Sa mère qui l’élève seule ne trouve d’autres solutions que de l’envoyer au village au Mali pour finir son éducation. Dix ans plus tard, Ali revient. Malgré les doutes de sa mère auprès de qui il est prêt à tout pour briller, il devient l’imam de la cité. Adulé de tous et poussé par ses succès, Ali décide d’aider les fidèles à réaliser le rêve de tout musulman : faire le pèlerinage à la Mecque.
Le Jeune imam de Kim Chapiron – Écrit par Kim Chapiron, Ladj Li, Ramzi Ben Sliman, Dominique Baumard – Production : Srab Films, Lyly Films, 7 Ciel – Avec : Abdulah Sissoko, Moussa Cissé, Hady Berthé – Sortie : le 26 avril 2023 – Durée : 1h38 – Visuels : Le Pacte