Avec Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, le photographe et réalisateur Bruce Weber retrace la carrière de Robert Mitchum, monstre sacré du cinéma américain.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Tout comme James Caan, Robert Mitchum n’hésitait pas à répéter qu’il faisait un métier de « pute »…
Savez-vous pourquoi des types comme eux tiennent ce genre de propos ? Je pense que c’est par embarras. Pourtant ce sont deux acteurs immenses. Mais, à leurs yeux, leur statut reste trop fragile. Pour eux, être acteur, ce n’est pas comme avoir décroché une médaille olympique ou avoir fondé seul une multinationale. Robert, même s’il jouait les rabat-joie, adorait son métier. Et il le faisait de manière très sérieuse. Surtout quand il tournait pour des gens comme Charles Laughton.
« Broken Noses était sur un boxeur poids plume que j’avais rencontré lors d’un projet sur les Jeux Olympiques de 1984. Il n’avait rien décroché mais je voulais faire quelque chose sur lui. »
Votre premier film, Broken Noses (1987), était loin du monde des stars. Le portrait, certes esthétique, d’un boxeur blanc des quartiers pauvres…
J’aime photographier et réaliser des portraits de gens que personne ne connaît mais qui, à mes yeux, mènent des vies incroyables ou font des choses extraordinaires. Broken Noses était sur un boxeur poids plume que j’avais rencontré lors d’un projet sur les Jeux Olympiques de 1984. Il n’avait rien décroché mais je voulais faire quelque chose sur lui. Il me répétait : « Jamais vous ne viendrez à Portland, Oregon. » Il avait créé un club de boxe où il prenait sous son aile des gamins des rues dont les parents étaient en prison ou qui les avait tout simplement abandonnés. Il leur donnait de quoi se vêtir, se nourrir, un peu un père de substitution pour eux. Il avait un côté Jack Palance jeune, c’était un dur-à-cuire mais avec un cœur énorme. Lui-même avait eu une enfance très difficile. Son beau-père avait eu la main lourde et ses sœurs et lui avaient été séparés pour aller dans différents orphelinats. Voilà un garçon que je trouvais spécial, unique, et j’ai voulu faire un film sur lui.
Extrait de La nuit du Chasseur de Charles Laughton – 1956
La question cinéphile : vos films préférés de Robert Mitchum ?
Pour commencer, c’est évidemment La Nuit du Chasseur de Charles Laughton. C’est là qu’il donne la plus extraordinaire, à la fois lumineuse, sombre et sensuelle, de ses interprétations. Et puis, il y avait toujours une alchimie qui se créait entre Bob et les enfants acteurs. Il avait beau avoir l’air menaçant, il s’entendait toujours très bien avec eux et c’est la raison pour laquelle cela fonctionnait si bien à l’écran. C’était une sorte de tonton qui s’amuse à vous faire peur pour vous offrir ensuite un cadeau.
Ensuite, ce serait Les Indomptables de Nicholas Ray avec Susan Hayward. J’ai toujours aimé photographier les champions du rodéo et je trouve admirable la manière dont Robert a su saisir leur style, leur manière d’être, de vivre ; ce « truc » que peu de femmes peuvent comprendre. J’aime également énormément Le Poney Rouge de Lewis Milestone.
On peut le voir y faire ce qu’il aimait dans la vie, loin des caméras : chasser, pêcher, monter à cheval, sa connexion avec les animaux, etc. Dieu seul le sait de John Huston est également un film remarquable. Le couple formé, malgré eux, avec Deborah Kerr sur une île du bout du monde est tout à fait crédible. Et puis, il y a Horizons sans frontières de Fred Zinneman. C’est un « western » assez inhabituel puisqu’il se déroule en Australie dans les années 20. Avez-vous vu Les Copains d’Eddie Coyle de Peter Yates ? C’est un polar d’excellente facture, tourné en très longue focale.
Sa composition dans le film, je la trouve parfaite. Il s’est accaparé à merveille l’attitude des gangsters de la Nouvelle-Angleterre. Mes neveux sont allés à l’école à Providence. Lorsque j’allais les voir, je les emmenais dans des restaurants italiens. Il n’y a guère d’autre choix de toute façon ! (Rires) On croisait ce genre de type à chaque fois, un peu louches et qui semblaient être revenus de tout.
« Bob était quelqu’un de très généreux intérieurement. Mais il avait toujours ce comportement très masculin, très macho à l’écran. »
Vous passez également dans Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, votre documentaire sur Robert Mitchum, un extrait des Nerfs à vif de Jack Lee Thompson. Il y est prodigieusement effrayant…
Bob était quelqu’un de très généreux intérieurement. Mais il avait toujours ce comportement très masculin, très macho à l’écran.
Il y a des années de cela, j’étais à un dîner chez mon ami le comédien Roddy McDowall. Je me retrouve assis à côté de Lee Remick, une actrice très belle et très talentueuse. Je lui ai demandé : « Pourquoi avez-vous toujours campé la chipie de service, la fille à problème ? » Elle m’a répondu : « Parce qu’à l’époque, personne n’en voulait. Moi, ça me plaisait. Ca reste tout de même les rôles les plus drôles à jouer ! »
Bob était une crème. Alors, lui aussi, très probablement, ça l’amusait beaucoup d’interpréter les salauds.
Bande-annonce de Nice Girls Don’t Stay for Breakfast de Bruce Weber – 2017.
Sortie le 27 février 2019.
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Découvrez les t-shirts BY SEEQui serait son « héritier » aujourd’hui ?
Personne ne peut le remplacer. C’était un homme vraiment unique. Mais, au plus proche, je dirais quelqu’un comme Sean Penn. Sean, c’est aussi un sacré personnage. Vous souvenez-vous de l’époque où il cognait les photographes, où il passait pour un fou ? A ce moment-là, j’ai eu à faire une séance photo avec lui dans le Montana. Il arrive au rendez-vous avec une gueule de bois terrible – un peu dans le style de Bob. Je lui conseille d’aller se reposer dans une grange abandonnée, au bout d’un champ, de dormir un peu. Trois heures plus tard, il revient en meilleur état. Je lui propose de trouver un endroit où prendre les photos et il me dit : « Je vais t’aider à porter ton matériel. » Et il embarque le tout. J’en ai fait une série photo, avec les appareils, le tripode à bout de bras. Je les adore parce que ces clichés correspondent exactement au contraire de ce que les gens pensent de lui.
« Christopher Mitchum, il a repoussé tellement de fois nos rendez-vous que j’ai fini par me dire : « Et merde, je ne veux plus avoir à me préoccuper de ça ! »
Pourquoi Christopher Mitchum, le deuxième fils de Robert, également acteur dans Rio Lobo, Chisum ou Les Prédateurs de la nuit, est-il absent de votre film ?
J’avais rencontré Chris. Mais à l’époque où je lui ai demandé de participer au film, il se présentait comme candidat au Congrès. C’est un Républicain convaincu. Il a repoussé tellement de fois nos rendez-vous que j’ai fini par me dire : « Et merde, je ne veux plus avoir à me préoccuper de ça ! » Un jour, je venais de faire une séance photo avec Bo Derek pour le Vogue Italien et je reçois un appel de lui : « J’ai vu les photos que tu as faites avec Bo. Tu peux lui demander si elle peut m’aider ? C’est pour obtenir des voix… » Elle était derrière moi. Je l’appréciais tellement que je n’ai pas pris la peine de lui demander quoi que ce soit ! (Rires)
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Notre chronique de Mitchum X Weber de Bruce Weber, édité par La Rabbia. Diffusion Acte Sud. 30€.