Avant la sortie de Nous Finirons ensemble, la suite des Petits Mouchoirs, José Garcia passe par la case comédie, genre qui luis sied bien, avec Chamboultout d’Eric Lavaine. Au menu : humour, rôles sombres et franc-parler.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
José Garcia, « bankable or not bankable » ?
L’argent, il est là quand vous donnez dans le commercial. En France, si vous avez des sujets « costauds », il faut multiplier les coproductions. Et pas seulement pour des films d’auteur, intimistes. Dès qu’on a un sujet un peu fort, il y a comme une forme de découragement : « Impossible , on ne pourra pas le passer en première partie de soirée ! » Ce qu’il faut alors, c’est trouver le bon équilibre. Aller prendre des risques ailleurs. S’essayer à d’autres choses. Être là où vous n’êtes pas attendu. Comme Jugnot avait fait avec Les Choristes. Et quand ça marche, c’est génial !
Bande-annonce du Couperet avec José Garcia et Karin Viard, de Costa Gavras – 2009
Vous avez tourné en Espagne, aux Etats-Unis… Comédien français, faut-il savoir s’exporter ?
Oui. Surtout lorsqu’on veut aborder des sujets difficiles. Je m’en suis rendu compte à l’époque du Couperet de Costa-Gavras. Ou encore avec un film comme La Boîte noire (de Richard Berry, en 2005, ndlr). Heureusement que Luc Besson avait été là à l’époque. C’est rare, en France, les gens qui ont la puissance de feu nécessaire pour produire des films de genre et savoir les vendre à l’étranger. Pour revenir à « l’exportation », il faut que cela se passe dans les meilleures conditions. Si ce n’est pas pour un beau rôle, un projet captivant, ça n’a pas particulièrement d’intérêt. Vous risquez de perdre votre temps plus qu’autre chose.
Vous êtes à une constante de deux/trois films par an. Cette année, le Pascal Thomas, le Eric Lavaine et le Guillaume Canet. Satisfait ?
Oui, même si cela devient plus difficile de trouver des rôles comme j’aime : drôles, hauts en couleur, exubérants. Ils n’existent pratiquement plus.
« J’amène ce que je sais faire. C’est-à-dire donner le maximum à un metteur en scène pour qu’il soit content. Une fois que j’ai compris comment il fonctionne, j’essaye de transcender ce qu’il me demande pour que ça le réjouisse. »
Dans Chamboultout, vous incarnez le mari aveugle d’Alexandra Lamy : « Drôle, haut en couleur, exubérant » ?
Je l’ai joué dans un état proche de l’hypnose. Il a fallu accepter le risque de me cogner, de chuter. J’ai demandé aux équipes de ne pas laisser traîner les câbles sur le plateau. Une fois que tout le monde, acteurs comme techniciens, avaient intégré le fait que je ne voyais pas, ils se sont mis à prendre soin de moi. Le personnage est réellement né à ce moment-là. Alexandra (Lamy) venait me chercher dans ma loge, me prenait par le bras, je ne sortais plus sans ma canne… Au début du tournage, je suis allé voir mes partenaires pour m’excuser : je ne serai pas le camarade jovial auquel ils pouvaient s’attendre. Ce ne fut pas pour moi un tournage très drôle, mais cette discipline, c’était pour moi la seule façon d’aborder le personnage.
Vos deux filles sont comédiennes. Quelle relation entretenez-vous avec elles ?
Celle d’un papa qui essaye d’être le plus à l’écoute possible, le plus tendre possible… En veillant à rester toujours très attentif : je me suis toujours levé avant que mes deux filles soient réveillées le matin. J’essaye aussi de les faire rire du mieux que je peux.
Bande-annonce de Chamboultout avec José Garcia et Alexandra Lamy, de Eric Lavaine – 2019
On vous imaginerait presque mal dans la rôle de père avec ceux de trublions que vous enchaînez à l’écran…
Père, on n’est jamais prêt à le devenir. Les choses se font au fur et à mesure. C’est un vrai partage avec ses enfants. On se jette dans le vide en permanence, dès qu’on est confronté à quelque chose de fort. Avec l’âge, on s’imagine que les choses vont s’arranger, mais en fait, lorsque les enfants grandissent, d’autres doutes apparaissent. Je le vois bien avec mes propres parents : ils s’inquiètent toujours pour moi même si je vole de mes propre ailes depuis longtemps.
Dans Nous finirons ensemble, vous jouez le voisin envahissant et finalement sympathique de François Cluzet. Aimez-vous ça, les films « chorale » ?
Beaucoup. Cela demande une rigueur extrême de la part des comédiens. Et aussi beaucoup de bienveillance des uns par rapport aux autres. c’est une position difficile pas simple à tenir. Tout les acteurs ne sont pas capables de donner autant d’eux-mêmes en champ qu’en contre-champ. Mais j’ai eu beaucoup de chance sur Chamboultout et sur Nous finirons ensemble. La coordination entre tous était parfaite.
« Tourner avec Costa-Gavras ou Carlos Saura, c’était quelque chose que, débutant, je n’aurais même pas imaginé. »
Votre expérience avec Guillaume Canet ?
C’est un super patron. Il est très agréable sur un plateau. Ce qui est génial lorsque vous avez un metteur en scène qui est également acteur, c’est que tout se fait plus facilement, plus rapidement. Un acteur, lorsqu’il passe derrière la caméra, a les mots pour communiquer au mieux avec ses pairs. Cela rend les choses, je pense, beaucoup plus virtuoses.
Et avec Eric Lavaine ?
Depuis qu’il a commencé à tourner, Eric m’a proposé des rôles. Moi, je ne m’y retrouvais pas, je ne voyais pas où était le défi. Pourtant, il a persisté. Il m’a rappelé pour me proposer celui de Frédéric, le mari de Chamboultout, en me précisant que, cette fois, il prendrait très mal le moindre refus : il y avait un vrai challenge avec ce personnage ! Il avait raison, ça m’a beaucoup plu.
Bande -annonce de Nous finirons ensemble avec José Garcia et François Cluzet, de Guillaume Canet – 2019
Quelle serait la « griffe » José Garcia ?
J’amène ce que je sais faire. C’est-à-dire donner le maximum à un metteur en scène pour qu’il soit content. Une fois que j’ai compris comment il fonctionne, j’essaye de transcender ce qu’il me demande pour que ça le réjouisse. Et puis, il faut aussi que je me fasse plaisir, que je me surprenne. Et je reste un accro au travail.
L’échec que peut connaître un film, le rendez-vous manqué avec le public, cela vous touche-t-il toujours, même après des années de carrière ?
Bien sûr. Il se peut que vous souhaitiez essayer des trucs sur certains films et que ça ne fonctionne pas. Le résultat, vous ne le découvrez que lors des premières projections du film. Et ça peut faire très mal. J’ai eu parfois l’impression d’une paire de baffes dans la figure, je sortais de la salle en boitant… Mais c’est une douleur « saine ». J’entends par là que c’est comme ça que vous continuez à avoir le mors aux dents, le désir d’aller plus loin dans les propositions de jeu. Je sais aussi reconnaître mes erreurs. Mais il ne faut pas non plus tout mettre sur ses épaules du comédien. Il y a aussi des metteurs en scène qui se trompent, des monteurs qui se plantent, des partenaires qui ne suivent pas le rythme…
« les histoires de couples qui se déchirent, je n’y suis pas très à l’aise. Je cède ma place aux confrères sans difficulté. »
Quid des rôles plus sombres ?
A l’époque du Couperet, les loufoqueries, je saturais un peu. J’avais très envie de films qui nourrissent, font grandir, restructurent un peu. Tourner avec Costa-Gavras ou Carlos Saura, c’était quelque chose que, débutant, je n’aurais même pas imaginé. Costa, contrairement à Philippe Harel, a la télé chez lui. Il avait pu voir ce que j’avais pu faire à Canal Plus. Revenir à des rôles plus « sérieux », oui, l’envie est là. Mais même le cinéma d’auteur connaît une période difficile en France actuellement. Le fait que vous ayez un succès populaire n’aide plus à financer des projets plus engagés. Je reviens à des choses comme Le Couperet ou Extension du domaine de la lutte. Sinon, les histoires de couples qui se déchirent, je n’y suis pas très à l’aise. Je cède ma place aux confrères sans difficulté.
Cas particulier dans le cinéma français, vous avez tourné à deux reprises (Rire et châtiment et Fonzy…) sous la direction de votre épouse, Isabelle Dorval…
Vous voyez une dresseuse de tigres ? Hé bien, là, le tigre est devenu un chaton mais la dresseuse lui crie toujours autant dessus ! Plus sérieusement, cela fait plus de 25 ans que nous sommes ensemble et Isabelle aime montrer de moi un côté plus sensible, romantique que loufoque. Elle sait m’arrêter quand je commence à partir en roue libre.