A 69 ans, Daniel Auteuil, figure emblématique d’un cinéma français « old school », n’en sent pas moins le vent tourner. Il s’en est confié au micro de SEE. Entrevue et aveux.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
Avec Qui m’aime me suive !, votre filmographie dépasse largement les 80 longs-métrages. Heureux, à 69 ans, que le public vous soit toujours fidèle ?
Ai-je « mon » public ? Je l’ignore. Je l’ai s’il sent qu’il y a quelque chose derrière, une promesse. Je fais certainement partie d’une équation qui peut aider. Disons que « la braise rallume le feu ». Je suis une pièce de la mécanique. Mais, aujourd’hui, il y a une telle offre de titres, d’images, d’informations, qu’à chaque fois il faut provoquer un désir pour que les gens se déplacent.
Quel regard portez-vous sur les évolutions techniques du cinéma ?
Je sens bien que les choses changent, que les supports ne sont plus les mêmes. Mais je n’y connais pas grand-chose. J’essaye de pédaler dans ma propre semoule, de courir dans mon couloir…
« Je viens d’une époque où le cinéma a été longtemps fort de grands cinéastes et d’auteurs avant de devenir une affaire de franchises, de recettes. »
Des films que vous préféreriez oublier ?
Non, à mes yeux, tout est bon. Si, humainement, cela avait été des catastrophes, peut-être aurais-je des regrets. Mais le bonheur de tourner, je l’ai eu tout le temps. Sur tous les films, j’ai toujours pensé à moi en priorité, à mon plaisir. Et j’en ai toujours eu. Des Sous-Doués, que je revendique à 100%, à des petits objets prétentieux, qui se voulaient artistiques, en passant par les sagas populaires, tout cela reste des expériences formidables.
Bande-annonce de l’Arbalète de Sergio Gobbi avec Daniel Auteuil et Marisa Berenson – 1984
Mais passer du Placard de Francis Veber à L’Adversaire de Nicole Garcia, de Haneke ou des frères Larrieu à La Personne aux deux personnes, n’est-ce pas un peu hasardeux ?
Non. Vous ne prenez aucun risque en tournant une comédie avec Francis Veber par exemple. C’est du haut-vol, confortable tout le temps. Tout comme, pour moi, faire un film d’auteur avec un jeune metteur en scène inconnu. Je ne suis pas une marque, je n’ai pas d’image. Je n’ai pas à faire, à chaque sortie, plus de cinq millions d’entrées. Tant mieux si ça marche. Si ça ne marche pas, bien sûr, c’est embêtant, mais je veux dire que je n’ai pas de contrainte. Je viens d’une époque où le cinéma a été longtemps fort de grands cinéastes et d’auteurs avant de devenir une affaire de franchises, de recettes. J’ai encore la chance d’être acteur de cinéma.
« La comédie, j’adorais, mais à un moment, j’ai ressenti que j’avais autre chose à dire, à faire. Et je me suis retrouvé avec un couteau dans une main et un pistolet dans l’autre. »
Le public l’a peut-être oublié mais vous avez été, un court instant de votre carrière, avec L’Arbalète, Les Fauves ou L’Indic, un acteur… de films d’action !
Des séries B ! Ça n’existe plus maintenant. A l’époque, juste avant Jean de Florette, c’était le moyen que j’avais trouvé pour m’échapper de la comédie. La comédie, j’adorais, mais à un moment, j’ai ressenti que j’avais autre chose à dire, à faire. Et je me suis retrouvé avec un couteau dans une main et un pistolet dans l’autre. J’essayais d’expliquer au réalisateur : « Mais avec un revolver, c’est déjà bien assez ! » Mais lui était dans son truc, alors, même si je trouvais cela un peu couillon, je le suivais. Et ces films ont eu du succès, celui des salles de quartier ! Moi, ça me plaisait, je faisais un peu comme Belmondo, mon idole…
Bande-annonce de L’Adversaire de Nicole Garcia avec Daniel Auteuil et François Berléand – 2002
De quoi « y rester », cinématographiquement parlant…
Non. Ce qui vous bloque dans un genre, à la fois aux yeux du métier et du public, c’est le triomphe. Là, nous étions un peu à la traîne de La Balance de Bob Swaim qui venait de renouveler le genre. L’Indic, c’est totalement ça : une sous-déclinaison de La Balance… Moi, je ne m’en rends pas compte sur le moment ; je suis tellement content de faire du cinéma. Ma petite revanche, je l’aurai bien des années plus tard avec 36, Quai des Orfèvres, qui, à son tour, va relancer le polar en France. Après, il y a la période des films d’auteurs. Là, assurément, tout le monde m’aime bien. Mais pour moi, c’est d’un convenu… Ça me plaît, de temps en temps, de revenir à des choses moins clinquantes, moins chics. Il faut aussi que je m’amuse !
« Si Claude Sautet revenait aujourd’hui, arriverait-il à tourner un film ? »
Prenez-vous toujours autant de plaisir à tourner ?
Ma raison de vivre, c’est aussi de continuer ce métier. J’ai énormément de chance, à mon âge, de pouvoir toujours tourner, qui plus est à ce niveau-là. Vous n’imaginez pas le boulot que c’est de faire un film, de convaincre tout le monde…
Bande-annonce de Qui m’aime me suive ! de José Alcala avec Daniel Auteuil, Catherine Frot, Bernard Le Coq – en salles le 20 mars 2019.
Comment vous sentez-vous dans votre profession aujourd’hui ?
J’ai l’impression d’une période de flottement. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de grands metteurs en scène, en France, et que d’autres ne vont pas bientôt arriver. Nous sommes dans une autre phase, il y a des goûts différents, moins de mémoire, plus d’instantanéité. Il n’y a rien à regretter, c’est comme ça ! Mais nous avons connu des cinéastes tellement immenses… Je me pose souvent la question : si Claude Sautet revenait aujourd’hui, arriverait-il à tourner un film ?