L’hommage de la Cinémathèque au cinéaste français Eric Rohmer se termine. Je l’avais rencontré en 2006, à l’occasion de la sortie des Amours de Céladon et Astrée, alors qu’il était âgé de 87 ans. Le regard d’un bleu intense, l’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma révélait les clés de son amour pour le septième art.
Propos recueillis par Marc Godin
Vos premiers souvenirs cinématographiques ?
Je suis très peu allé au cinéma durant mon enfance. En sixième, comme je faisais du latin, mes parents m’ont emmené voir Ben-Hur de Fred Niblo (1925), avec Ramon Novarro. J’ai vu également une version de L’Aiglon. Et c’est tout ! Puis au lycée, j’ai dû voir quelques courts-métrages de Chaplin et d’Harold Lloyd.
« Après la guerre, je me suis impliqué dans un ciné-club, celui du Quartier latin, qui passait de films américains qui n’avaient pas été distribué pendant la guerre. »
On ne peut pas dire que le cinéma était votre passion.
Non. J’ai vraiment découvert le cinéma en classes de khâgne à Paris car les élèves d’Henri IV allaient au cinéma les Ursulines. J’y ai découvert des René Clair et L’Opéra de quat’ sous qui m’avait fait beaucoup d’effets. Dans des salles plus populaires, j’ai vu Quai des brumes, des comédies américaines comme New York-Miami, La Grande illusion et La Bête humaine, deux films que je n’ai pas beaucoup aimés au premier abord. Puis Renoir est devenu un de mes cinéastes préférés. Après la guerre, je me suis impliqué dans un ciné-club, celui du Quartier latin, qui passait de films américains qui n’avaient pas été distribué pendant la guerre. A cette époque, j’ai donc vu énormément de films, puis il y a eu la Cinémathèque, une toute petite salle avenue de Messine, qui projetait les chefs-d’œuvre du cinéma : les Griffith, les films expressionnistes allemands, les Lang, les Abel Gance… J’ai mené alors une vie de cinéphile.
Jess Hahn et Jill Olivier dans Le Signe du lion, le premier film d’Eric Rohmer – 1962 © Les Films du Losange
Dans les années 40, vous étiez enseignant, vous avez écrit votre premier roman en 1944 (1). Comment vous êtes vous consacré à l’étude des films.
J’ai enseigné une dizaine d’années. Quand j’ai été nommé dans une petite ville proche de Paris, il m’était difficile de voir des films. J’ai donc décidé de prendre un congé et je me suis lancé dans la critique, aux Cahiers grâce à François Truffaut mais on ne gagnait rien. Puis je suis devenu le rédacteur en chef des Cahiers à la mort d’André Bazin. Puis j’ai réalisé mon premier film, Le Signe du lion.
« A ce moment, nous avions un principe, énoncé par Truffaut, qui était la politique des auteurs : on n’admirait pas un film, mais l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. »
Quels étaient vos cinéastes préférés aux Cahiers ?
Nos dieux étaient Hitchcock, sur qui j’ai écrit un livre avec Chabrol, et Howard Hawks. A ce moment, nous avions un principe, énoncé par Truffaut, qui était la politique des auteurs : on n’admirait pas un film, mais l’ensemble de l’œuvre d’un auteur. Nous n’aimions pas un film d’Hitchcock, mais tout Hitchcock, même si nous avions une préférence sur les films qui ne plaisaient pas (rires). J’ai également beaucoup aimé Renoir, Griffith, qui a inventé le découpage, mais surtout Murnau et ses chefs-d’œuvre Faust, Le Dernier des hommes, Tabou ou L’Aurore. Pour moi, c’est le plus grand et je le disais déjà dans mon premier article en 1948 ! Je viens juste de découvrir un film très rare de lui, Fantôme.
Fabrice Luchini et Pascale Ogie dans Les nuits de la pleine lune d’Eric Rohmer – 1984 © Les Films du Losange
Vous voyez encore des films en salles ?
Pour des raisons physiques, je ne vois les films qu’en salles de projection. Si je ne peux pas choisir ma place, cela ne va pas du tout. Mais je vois des films à la télé, en cassette ou en DVD.
« J’ai tendance à préférer les œuvres sans prétention aux œuvres prétentieuses. Je déteste la prétention ! C’est pour cela que j’aurais tendance à préférer parfois les téléfilms aux films. »
Quels sont les cinéastes que vous aimez ?
Je ne veux pas parler de mes contemporains, on n’a pas de recul suffisant pour en parler. Et je n’ai plus cette sûreté de goût que j’avais quand j’étais critique aux Cahiers. Néanmoins, j’ai tendance à préférer les œuvres sans prétention aux œuvres prétentieuses. Je déteste la prétention ! C’est pour cela que j’aurais tendance à préférer parfois les téléfilms aux films. Aucun film de télé n’est aussi mauvais que les films de cinéma…
(1) La Maison d’Elisabeth, écrit en 1944 sous un pseudo, est ressorti aux Editions Gallimard.
Eric Rohmer est décédé le 11 janvier 2010, il avait 90 ans.