Gaspard Ulliel est une figure à part dans le paysage du cinéma français. Alternant les œuvres d’auteurs et film plus légers, le comédien s’était confié au micro de SEE lors de la sortie des Confins du monde de Guillaume Nicloux. Dialogue avec un acteur à part.
Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso
On se dit, en regardant Les Confins du monde, que d’un point de vue humain, cela a dû être un bien étonnant voyage…
Il y a un souffle de cinéma qui prend ici une ampleur assez incroyable par rapport aux précédents films de Guillaume Nicloux, peut-être plus « modestes ». On retrouve le même dépouillement, mais il y a quelque chose d’autre qui s’opère dans l’agencement d’une scène à une autre, dans le rythme, une magie, quelque chose qui naît à l’écran d’une force incroyable. La première fois que j’ai vu le film, j’étais bluffé. Cela allait bien au-delà de ce que j’avais pu imaginer en le tournant.
« C’est sûr que ce n’est pas forcément ce que vous avez retenu à l’école. Comme avec l’Algérie, la Guerre d’Indochine fait partie de ces choses un peu mises à l’écart. »
Les confins du monde de guillaume nicloux – 2018
Que connaissiez-vous du Tonkin ?
C’est sûr que ce n’est pas forcément ce que vous avez retenu à l’école. Comme avec l’Algérie, la Guerre d’Indochine fait partie de ces choses un peu mises à l’écart. Mais ça n’a pas été un problème. Il y avait de la part de Guillaume une volonté de cultiver une certaine opacité, une forme d’incertitude, afin d’arriver sur le plateau à nus, vierges et surtout affranchis de tout préjugé pour laisser le film nous emmener ailleurs. Il l’a dit d’ailleurs clairement : l’Histoire, celle de ces événements, n’est qu’un point de départ. Il y a de nombreux récits de gens qui ont vécu cette guerre et qui, bizarrement, en ont gardé une sorte de nostalgique, comme si une part d’eux-mêmes était restée là-bas. Je peux le comprendre.
Comment vous êtes-vous préparé au rôle du soldat Tassen ?
Mon point d’entrée dans le film ne s’est pas fait à partir de documents précis, des recherches historiques approfondies. C’était beaucoup plus abstrait. J’ai essayé d’amorcer une forme de dialogue avec Guillaume, d’initier des lectures – c’est vrai que, dernièrement, j’aime bien arriver très préparé sur mes rôles. Mais, très vite, j’ai compris que ce n’était pas du tout son approche. Comme les questions sur la psychologie du personnage : il ne veut pas en entendre parler ! C’est assez déconcertant pour un acteur, mais, une fois qu’on l’a accepté, qu’on s’y abandonne, qu’on se laisse aller, c’est une expérience très exaltante. Ça m’a permis de redécouvrir l’exercice du tournage, l’approche de mon métier de manière totalement neuve. C’est pour cela que, tout de suite après, nous nous sommes retrouvés sur un projet de série pour Arte.
« La figure de Gérard Depardieu est devenue une sorte de fil conducteur au sein de l’œuvre de Guillaume. »
Et puis il y a un Gérard Depardieu qui revient à son plus haut niveau…
La figure de Gérard est devenue une sorte de fil conducteur au sein de l’œuvre de Guillaume. Avec des liens évidents d’un film à l’autre. Dans Valley of Love, Gérard recherche ce fils disparu. Est-ce que Tassen, finalement n’est pas la réincarnation de cet enfant ? Dans Les Confins du monde, Gérard, c’est un père de substitution pour mon personnage. Il y a cette thématique du deuil qui revient de manière récurrente également et qui lui parle de façon très puissante. Guillaume aime mélanger la fiction et le réel dans son cinéma. Cela provoque une émulation, créé un sentiment d’impalpable qui laisse une marque profonde. Les Confins du monde fait partie de ces tournages dont on ne sort pas indemne.
Vous a-t-il tant que ça impressionné ?
Gérard, c’est comme s’il avait arrêté de jouer. C’est quelqu’un qui se laisse vivre à travers ses personnages. Se retrouver face à un tel phénomène, pour un acteur, c’est quelque chose de très précieux. Ça a été une rencontre très importante. Le plus étonnant c’est qu’au départ, Guillaume n’avait pas écrit ce personnage. Mais c’est suite à The End qu’il s’est dit qu’il devait trouver un rôle pour Gérard. D’où ces séquences avec lui qui, à mes yeux, sont les scènes les plus importantes du film. Pour moi, son personnage, c’est celui qui fait le lien entre le monde des vivants et celui des morts. Une sorte de passeur. Enfin, c’est ce que je me suis raconté…
gaspard uliel et gerad depardieu dans les confins du monde © Ad Vitam
On a même droit, pendant le film, à une scène assez incongrue de « concours phallique », de virilité entre vous et Guillaume Gouix…
La scène n’était pas écrite. C’est une idée que Guillaume (Nicloux) a eue à un moment, en pleine journée. On s’est regardé avec Guillaume Gouix et on s’est dit : « Oui. Pourquoi pas ? Ok. » Sur le coup, je ne voyais pas trop ce que ça apportait. Après avoir vu le film, c’est vrai que cela nourrit le désir homosexuel qui peut poindre entre les deux personnages. Le plus amusant, c’est qu’après la présentation à Cannes, il y a eu plusieurs articles mettant en lumière cette omniprésence du sexe masculin dans le film, toute une théorie un peu psychanalytique sur le sujet. Quand on tourne une scène, on ne devine jamais à quel point cela peut impressionner un spectateur ou un critique.
« Nous étions dans un environnement assez hostile, assez éprouvant physiquement. C’était une forte valeur ajoutée. »
Quelle a été l’ambiance sur le tournage ?
Ce qui est sûr, c’est que Guillaume Nicloux entretient une forme de tension, qu’il sait cultiver le danger, l’incertitude, l’inconfort même. Il aime vous faire ressentir de la fragilité, quitte même à en jouer. C’est même parfois éprouvant. Surtout pour les personnages secondaires, des comédiens qui ont moins d’expérience, dans lesquels il va aller puiser différemment. Je l’ai vu user de stratagèmes, utiliser l’humeur sur le plateau pour diriger des comédiens novices, des expatriés que nous avions trouvés là-bas et pour qui c’était une première fois. Cela reste des tournages particuliers, où vous vous retrouvez presque en immersion totale, dans des conditions quasi-réelles – sans que, bien évidemment, nos vies soient mises en péril. Mais nous étions dans un environnement assez hostile, assez éprouvant physiquement. C’était une forte valeur ajoutée.
Et cette série télévisée ?
Après, la télévision, c’est la finalité qui compte, comme au cinéma. C’est la même approche même si les contraintes de temps sont différentes. Je n’y ai pas vu un grand changement. Pour faire court, Il Était une seconde fois, c’est une histoire d’amour avec un élément fantastique : un jeune homme reçoit un colis par erreur qui contient un cube en bois qui lui permet de retourner dans le passé. Il va essayer de reconquérir la femme qu’il a perdue.